Depuis le début de l’affaire Cahuzac, lancée par Mediapart, Laurent Wauquiez (UMP) adopte une attitude sibylline : il exige à présent une audition parlementaire publique de celui « dans la bonne foi duquel nous voulons croire ». Côté presse, Hervé Fabre (Voix du Nord), Jacques Camus (République du Centre) ou Bruno Roger-Petit (Le Plus), voudraient plutôt entendre Fabrice Arfi, de Mediapart, lequel devrait s’exprimer ce soir lors du Grand Journal. Vont-ils illustrer l’adage voulant qu’en politique comme dans l’univers des médias, il faut se méfier de ses amis, ou qu’un adversaire compréhensif vaut mieux qu’un allié à cheval sur vos présumés principes ?

Du chanteur Michel Sardou, Guy Bedos dit qu’il s’agit « d’un anarchiste doux qui paie ses impôts ». Or, « moralité », si ce n’est à la marge, Sardou excelle à se mettre à dos tant la droite que la gauche.
Pas assez cela, trop ceci.
Dans l’affaire Cahuzac, j’ai surtout retenu hier soir l’intervention d’Edwy Plenel, sur i>Télé, évoquant « un gouvernement supposé de gauche » (voir « Mediapart insiste »). On pourrait paraphraser, genre « une presse présumée soucieuse de l’intérêt public ».

Issue confuse ?
Il est plus que catilleux de traiter d’un sujet dont l’issue est incertaine, soit avant que Fabrice Arfi fournisse d’autres éléments ou qu’une éventuelle audition publique de Jérôme Cahuzac – réclamée en franc-tireur par Wauquiez – permette à ce dernier d’établir qu’en dépit d’apparences, il y a confusion sur la personne.

Rappelons deux précédents… Denis Robert, des affaires Clearstream I et II, avait été plus ou moins lâché par une large partie de la presse, dont Le Monde d’Edwy Plenel (lequel a plus ou moins fait amende honorable par la suite).

La « confraternité » n’est pas loin d’adopter la même attitude à l’endroit de Mediapart. Qui en a « trop dit… ou pas assez », selon Jacques Camus (République du Centre), qui évoque le rapport de Lord Leveson,  lequel, après les affaires d’accusations de pédophilie visant des personnalités de l’audiovisuel ou de la classe politique, réclame que le Royaume-Uni se dote d’un « vigile vraiment indépendant et efficace afin de protéger [d’une presse « outrancière »]les personnes innocentes ». On subodore le sort qu’un tel « watchdog » aurait réservé à Denis Robert.

On se souvient que voici juste un an, Eva Joly avait été condamnée avec sursis à une amende pour avoir, en 2009, accusé David Douillet de détenir un compte au Liechtenstein. Elle a fait appel, on attend. Rue89 et Radio France ou Bakchich (devenu bakchich.info) avaient été attaqués par le même Douillet pour les mêmes faits. En première instance, tout le monde s’en sortait, en appel, Bakchich se voyait lourdement condamner, contraint de cesser de paraître et d’être diffusé : le titre se survit petitement sur son site (et se préserve de se prononcer à ce jour sur l’affaire Cahuzac).

La justice se montrera-t-elle dure aux faibles, indulgente avec les plus puissants ? Car à moins d’avancer des éléments totalement irréfutables, pour le moment, Mediapart ne peut faire état que de son entière bonne foi et de l’absence de vouloir nuire particulièrement à un ministre fort estimé par ailleurs.

L’issue semble « simple » : soit le ministre démissionne et retire sa plainte (ou s’arrange pour qu’elle s’enlise), soit Mediapart se voit légèrement admonesté ou au contraire, expulsé du paysage médiatique de premier plan (faute de pouvoir rétribuer des investigateurs, de financer des enquêtes longues, le titre subit le sort de Bakchich).

Au stade où nous en sommes, tout est envisageable. Ce soir, demain, après-demain, il en sera peut-être tout autrement. Mais quelle que soit l’issue, il en restera forcément quelque chose, qui démontrera peut-être qu’on s’accommode mieux d’adversaires avec lesquels on peut discuter que de présumés alliés plus vigilants que soi-même sur la déontologie, les principes, les objectifs proclamés.

Arrangements entre « faux amis »

Hormis Wauquiez, qui trouve là une bonne occasion de se faire mousser dans un contexte très particulier, celui des accusations réciproques de fraude de Copé et Fillon à la tête de l’UMP, et dont les suggestions ménagent cependant Jérôme Cahuzac, la classe politique observe un silence prudent (Front de gauche ou Front national, UDI, autres centristes) ou paraît unie pour préserver « l’un des siens ».

On voit même la droite UMP asséner une volée de bois vert à Mediapart, réaction que le PS se préserve de reprendre trop véhémentement à son compte. Peut-être parce que la bande sonore des propos attribués à J. Cahuzac a été consignée, comme l’indique Sud-Ouest, par « une personnalité du Lot-et-Garonne », chez un notaire. L’ennui est que selon le quotidien, « le détenteur, honorablement connu », aurait « confié depuis des années à son proche entourage et quelques amis sûrs » ses certitudes. Pourquoi donc se confie-t-il à présent à Mediapart ? Soit, est-ce Mediapart qui l’a contraint à se dévoiler anonymement, ou a-t-il (avec d’autres qui pourraient être l’ex-inspecteur des impôts Rémy Garnier) attendu trop longtemps le retour d’ascenseur qu’aurait dû lui valoir son silence ? Ou, pire encore, s’agit-il d’un homme intègre, qui n’a pas voulu nuire à quelqu’un dont la carrière politique locale ou nationale lui semblait méritée en dépit d’errements passés, mais qui voit s’installer, comme l’estime Plenel « un gouvernement supposé de gauche » poursuivant, quelques à côtés sociétaux à part (mariage pour tous, vote local éventuel des étrangers, &c.), la politique de ses prédécesseurs depuis mai 2002 (soit les gouvernements Juppé, Raffarin, &c.) ?

Car Mediapart est désormais, davantage encore que Le Canard enchaîné, le déversoir des déçus du changement, notamment ces fonctionnaires qui s’étaient plus ou moins « mouillés » ou n’avaient fait que leur devoir, ont été sanctionnés sous Sarkozy, restent au placard ou mis à l’écart de la fonction publique ?

Les articles de Louise Fessard, de Mediapart, portant sur la commissaire Jacqueline Bernard, l’ex-commandant de police Philippe Pichon, le CRS Laurent Cuenca, sont tout aussi édifiants que l’affaire Cahuzac. Mieux vaut ne pas trop s’appuyer sur des « imprévisibles », fussent-ils de son bord ou proches de ses thèses affichées, autant leur préférer des gens susceptibles de retourner leurs vestes ou de passer des compromis.
Au moins sait-on à qui l’on peut avoir à faire.
De plus, à trop vouloir remuer le passé, il pourrait vous revenir à la figure…

Promesses esquivées ?

Je ne ferai pas le mauvais procès à Mediapart de rester sur sa faim à propos d’une révision plus équitable des aides à la presse (on se souvient qu’avec d’autres sites d’information, Mediapart avait appuyé sur le rapport du député PS Michel Françaix, sur celui de l’expert Aldo Cardoso, et souscrit à la démarche du SPIIL, Syndicat de la presse d’information en ligne, négligé par Frédéric Mitterrand, peu écouté de fait par Aurélie Filippetti). Come4News, qui n’est pas membre du SPIIL, en avait fait état. D’autres avanceront que l’affaire Cahuzac est une réponse de la bergère au berger. En effet, si le ministre du Budget s’oppose à une refondation des aides à la presse, c’est aussi un adversaire financier.
Mais non, je ne suis pas « dans le déni » (soit l’utilisation de la dénégation pour mieux appuyer le trait, ni même n’évoque un déni d’équité).
De même, C4N ne sollicitant rien d’Aurélie Filippetti ou de Jérôme Cahuzac, n’étant pas moi-même stipendié, ni jaloux du succès mérité de Mediapart (site sur lequel je n’entretiens plus, par fainéantise crasse, mon espace de blogue), peu déçu d’un « gouvernement supposé de gauche » dont je n’attendais pas grand’ chose de vraiment substantiel, je ne me sens pas plus solidaire de Mediapart que critique à son égard pour faire valoir mon point de vue : une presse qui tend la sébile n’est pas forcément suspecte, mais elle gagnerait à privilégier d’autres pistes. Cela va mieux en l’écrivant.

Mediapart, que Mélenchon ne se prive pas de conspuer (mieux vaut des adversaires déclarés que des sympathisants tièdes et surtout incontrôlables ?), mord où cela fait mal…

Celles et ceux qui attendaient davantage de changement ne peuvent que s’étonner du sort réservé à la commissaire Jacqueline Bernard, ex-patronne des RG de Charente-Maritime, qui, jugulaire, jugulaire, avait appliqué les textes. La patronne des RG, sollicitée pour fouiller la vie et les intentions de Ségolène Royal voulant s’implanter à La Rochelle, avait rappelé ses troupes à l’ordre. « J’exige de chacun un strict respect de la déontologie, de la confidentialité et de la neutralité. ».
La suite est connue : sanction, mutation dans un placard (au contentieux, à Lille), mise à la retraite et depuis, aucune nouvelle de sa demande de reprise d’activité. Le changement, ce n’est pas pour elle.

L’ex-commandant de police Philippe Pichon, mis à la retraite d’office à la suite d’un « dossier pipé » qui semble avoir été monté de toutes pièces, s’est vu refuser sa réintégration par Manuel Valls. Sans doute ne fallait-il pas faire valoir les « engagements progressistes » des deux protagonistes. C’est très suspect, quelqu’un qui se réclame des proclamations d’un politicien.

Dans le cas de Laurent Cuenca, soutenu par l’association SOS Fonctionnaires victimes, qui attend du changement « un État juste et exemplaire », il avait été allégué que ce CRS jusqu’alors exemplaire avait été déstabilisé par les morts successives par pendaison de son père et de sa mère. Le père est toujours vivant, la mère avait été victime d’un malaise fatal dû à une surdose médicamenteuse. Jean-Jacques Urvoas (député PS) est intervenu en vain en sa faveur mais Manuel Valls laisse faire « la machine disciplinaire ».

Quant à l’affaire de la Bac Nord de Marseille, ceux qui avaient enterré les rapports (dont certains de policiers mutés opportunément) n’ont pas été sanctionnés. On attend aussi les suites des déclarations de Manuel Valls sur les dérives mafieuses en Corse impliquant parfois des élus locaux.

Populisme dangereux

Cela laisse une impression de « je te tiens, tu me tiens par la barbichette » que Mediapart, prudent, ne relève pas. Rappelons aussi que Jérôme Cahuzac avait été parfaitement mis au fait de certaines pratiques de la hiérarchie du ministère de l’Intérieur sous les gouvernements RPR ou UMP, mais qu’il n’avait pas jugé utile d’approfondir sa réflexion.

Mediapart, « média à part » (enfin, un peu, il en est d’autres), dénonce la confiscation du débat public « par une oligarchie appuyée sur une élite où s’organise la fusion entre affaires, politique et haute-fonction publique ». Ce devrait être la mission permanente de toute la presse d’information.

Voilà Gilles Carrez (UMP) qui vient soutenir que « comme à son habitude, Mediapart a recours à des méthodes doublement critiquables en procédant par allégations (…) et en faisant fond sur un populisme dangereux. ». Lequel, dans le cas de DSK, par exemple, semblait totalement justifié du temps de Sarkozy.

Ce populisme s’exprime aussi dans les multiples commentaires du style « c’est à la justice de se prononcer ». Les Français auraient-ils la mémoire si courte, oubliant toutes les erreurs judiciaires qui émaillent l’histoire de la magistrature ? Désolé, mais la justice est la résultante de décisions de magistrats qui tendent peut-être à ce que jugements et arrêts s’approchent au mieux d’une justice immanente qui n’est pas de leur ressort, et qui peuvent se tromper. De même, les journalistes qui remettent en cause des décisions judiciaires, en toute bonne foi, se sont aussi parfois trompés.
Cette simplification outrancière qui veut que seule la justice peut trancher relève du populisme, des idées reçues qui arrangent, d’un conventional wisdom un peu trop commode.

Je l’admets : Mediapart (et non le seul Patrice Arfi, car son papier a été relu, débattu) aurait gagné à faire usage du conditionnel – en l’état des choses, soit de ce qu’il publie à ce jour – et à se cantonner au, à réfugier dans le « on dit, qu’en dites-vous ? ». Ce n’est que mon appréciation d’observateur. Titrer : « Une cabale vise-t-elle Jérôme Cahuzac ? » et le tour « était joué ». Ce qui n’empêchait nullement de creuser et d’aboutir – peut-être – à estimer que les éléments étaient fondés ou douteux.

C’était plus idoine que, peut-être, l’attitude de Sud-Ouest. Sébastien Rochat (d’Arrêt sur Images, site en connivence avec celui de Mediapart, mais non inféodé), pose une bonne question. «  Sud-Ouest connaissait-il l’enregistrement ? ». Yann Saint-Sernin, de Sud-Ouest, a préféré éluder : il n’avait pas le temps de répondre à Arrêt sur Images. Et « ne veut pas répondre ». Pas le temps de placer la question suivante : « et depuis quand ? ».

Finalement, qu’est-ce qui distingue les deux titres ? Sud-Ouest indique en substance que l’interlocuteur laissant des traces sur un répondeur « pourrait fort bien être Cahuzac » tandis que Mediapart affirme «&bnsp;c’est Cahuzac ! ». Subtile nuance ?
Ce qu’on croit savoir, c’est que l’enregistrement provenait bien d’un numéro de Cahuzac, à savoir son numéro personnel. Le problème de qui parle n’est pas secondaire : ce pourrait être quelqu’un présent chez Cahuzac. Cependant, « la voix » fait état de la possibilité de devenir maire de Villeneuve.

Ivan Rioufol, du Figaro, a beau jeu de remémorer l’affaire Baudis (accusé de participer à des parties fines) qui « avait déjà vu la presse salir un homme sur des rumeurs ». Charitablement, nous ne ressortirons pas de ses archives les divers papiers consacrés par le Figaro à l’affaire Baudis.

Comme une gêne…

Si Mediapart voulait s’acharner sur Jérôme Cahuzac, il pourrait insister à longueurs de colonnes sur l’affaire Tapie : député, Jérôme Cahuzac critiquait très fort Christine Lagarde et la commission arbitrale qui a concédé plus de 400 millions d’euros à Bernard Tapie. Qu’en est-il à présent.

Ou tarabuster le gouvernement sur l’affaire de l’hippodrome de Compiègne : Jérôme Cahuzac semble bel et bien avoir tenté de l’enterrer en missionnant un « expert » en droit, Philippe Terneyre,  concluant que des poursuites n’auraient guère de chance d’aboutir.

On attend de voir si ses déclarations sur les partenariats public-privé « trop onéreux » seront réellement suivis d’effets.

Propriétaire, avec son épouse avec laquelle il est en instance de divorce, d’une clinique et d’un appartement avenue de Breteuil, mais aussi d’un autre rue Pierre-de-Serbie (« 300 m² selon la presse et la police », « 140 m² selon l’intéressé »), Jérome Cahuzac, frère d’Antoine, d’HSBC Private Bank, prête certes le flanc à des commentaires « populistes ». Mais il y a quand même plus grave.

C’est un peu fou, c’est de la fiction, tout comme « on ne veut pas croire » qu’un Jérôme Cahuzac ait jamais détenu un compte à l’étranger, on n’ira jamais croire qu’une officine gouvernementale ait fabriqué de fauses-vraies et vraies-fausse preuves pour déstabiliser Mediapart. Pourtant…

Saviez-vous que Pierre Moscovici a cessé son abonnement à Mediapart le 4 septembre dernier et l’a fait savoir par texto de sa chargée de communication du ministère des Finances adressé à Laurent Mauduit&bnsp;
Saviez-vous que le même Laurent Mauduit et sa consœur Martine Orange sont désormais « tricards » auprès de Bercy tels des faits-diversiers interdits de main courante dans les commissariats pour avoir déplu à on ne sait quel gradé ? Ce dès juin dernier ? Écartés des « points presse » ? Balladés au téléphone par les directeurs de cabinet ? « Black listés » par le ministère du Budget depuis des semaines et des mois ?

Voici Rue89 (très liée au Nouvel Observateur, très critique, lui, de Mediapart) qui rappelle que, comme Alain Minc en 2004 (impliqué dans l’affaire Clearstream II), qui suggère à Jérôme Cahuzac de « délier l’UBS du secret bancaire ». C’est un peu naïf, bien sûr. La direction d’UBS peut communiquer ce qui lui chante. De plus, la loi suisse interdirait de dire si une personne est ou n’est pas cliente dans une banque helvète… sauf si la personne « délie explicitement de cette obligation ». Conclusion de Pascal Riché, redchef de Rue89, « À vous de jouer, Monsieur Cahuzac ». Mediapart avait révélé qu’un Marc D. était (pardon, serait) le correspondant de Jérôme Cahuzac à l’UBS.

Didier Louis, redchef du Courrier Picard, relève : « Jérôme Cahuzac a pourtant décidé, en déposant plainte, d’inverser la charge de la preuve (…) en jouant la transparence, il prend le risque de l’exposition (…) Est-ce tenable, fût-ce pour un adepte des sports de combat, d’entrer dans un schéma politique où il devra démentir encore et encore et encaisser coup après coup ? ».

Ce soir, sur Mediapart, avant l’intervention de F. Arfi sur Canal+, François Bonnet est remonté au créneau.

Peu de précisions supplémentaires, juste le rappel de « la nécessité absolue de protéger l’identité de nos sources, qui risqueraient aujourd’hui d’être soumises à de fortes pressions. ». Mais des remarques à propos de l’exposé du financement de son appartement de la rue de Breteuil par J. Cahuzac. « Le prêt parental date du 21 novembre 1994, il est postérieur à l’achat de l’appartement, à la date du 28 octobre 1994. La revente de l’appartement est elle aussi postérieure et date de décembre 1994. L’apport personnel versé par chèque est [ndlr. C4N – de fait, plutôt serait présumé] endossé par BNP Paribas, qui n’existait pas à l’époque (…) Le ministre a promis de publier des documents originaux. ».

On voudra bien admettre qu’entre les explications du ministre et ce qu’a pu dénicher Mediapart, et peut l’avoir conduit à en tirer des conclusions, qui pourraient être ou non erronées, il y a comme des disparités qui plaident plutôt, en l’état, en faveur du titre en ligne. Pour le reste… À suivre…