16 ou 17 heures, ce dimanche, les dés sont jetés. Au moins pour les deux candidats favoris des sondages à la présidentielle. Les votes par correspondance sont enregistrés, les procurations faites, et je doute fort que, même si on publiait les résultats heure par heure, cela influerait sur les résultats du scrutin. Paradoxe, nous sommes censés nous abstenir de commentaires jusqu’à 20 heures alors que Jean-Luc Mélenchon, ayant voté, indique que ce n’est pas la première fois qu’il vote pour lui-même, que Bernadette Chirac a déclaré que son mari, Jacques, « regrettait » d’avoir exprimé une préférence pour François Hollande. Bah… on peut au moins chanter avant la clôture.

Quand bien même exprimerai-je une préférence et que ce texte soit diffusé par haut-parleurs, en braille ou langage des signes dans toutes les communes, c’est plié, assurément, pour la plupart des « petits » candidats, sauf pour celui ou celle qui risquerait de frôler les 5 % lui permettant de se faire rembourser ses frais de campagne. J’ai une pensée un peu émue pour toutes et tous…

Ce soir, on ne me verra sans doute pas place Stalingrad (réunion du Front de Gauche), rue de Solferino (siège du PS où, comme tant d’autres, j’ai été convié), encore moins ailleurs et surtout pas au Crillon où je ne sais trop où.

Mais je n’en fredonnerai pas moins ce qui aurait pu être l’hymne de cette campagne, à savoir Foule sentimentale, d’Alain Souchon. Petit rappel du refrain :

Foule sentimentale
On a soif d’idéal
Attirés par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle…

Franches hésitations

Pour évoquer les préférences de l’électorat sans trop se mouiller, Libération a choisi de faire se mettre à table les déçus du sarkozysme. Déçus mais récidivistes pour certains, par défaut, résolus à ne pas perseverare dans le diabolicum pour d’autres. Plutôt des gens de droite, ou du centre, y compris du centre-gauche ayant d’ailleurs pu préférer Mitterrand à Giscard. Ils voteront donc Bayrou, voire Hollande, ou en traînant les pieds, le sortant, par crainte que Hollande soit pris en otage par Mélenchon… Aïe : voter Mélenchon ne serait pas sans risque de voir un sursaut pro-Sarkozy ?

Bah, encore une fois, c’est trop tard, à cette heure.

Un professeur de médecine, hospitalier, votera donc Bayrou aussi en raison du discours de Mélenchon et du fait de ce qu’impliquent les 35 heures pour les hôpitaux. Oui, mais, pourquoi ? Pourquoi donc la fonction hospitalière n’a-t-elle pas bénéficié de crédits pour embaucher ou régler des heures supplémentaires tandis que d’autres postes budgétaires ont été copieusement garnis ?

Cela, c’est raisonner en fonction de ses intérêts personnels, de son portefeuille… Ou d’autres critères en pensant que, par exemple, des infirmières et des médecins surmenés, même s’ils repassaient aux 40 heures, se verraient encore moins nombreux, du fait de nouvelles réductions d’effectifs, et se verraient contraints, comme en Grande-Bretagne, de négliger les patients. Tout se discute, tout est question d’appréciation…

Et puis, il y a le vote sentimental.

Crainte de décevoir

Antan, je devais faire la tournée des soirées électorales dans les mairies ou aux sièges des partis. Il y a des gens biens partout et je ne pouvais m’empêcher d’éprouver de la compassion ou de la sympathie pour ces personnes sincèrement affligées, même si j’avais voté pour un candidat concurrent. De même, certaines explosions de joie étaient contagieuses et, bon perdant, il m’arrivait de sourire avec « les vainqueurs » qui, même se doutant des opinions des journalistes venus recueillir des déclarations ou éléments d’ambiance – en province, tout se sait ou presque –, offraient plus gentiment que narquoisement le verre de… la consolation, mettons.

Là, ce soir, j’éprouverai sans doute un sentiment mitigé, un petit pincement, non pas tant pour Éva Joly, ou François Bayrou, ou Mélenchon, Poutou ou d’autres, ou encore Marine Le Pen, mais pour leurs partisans, leurs ferventes électrices qui y auront cru et seront affligés. Pour les plus jeunes surtout. Pour les salariés mais aussi pour ces tout petits patrons qui ne se rémunèrent pas parfois afin de tenter de préserver un ou quelques emplois, dont le leur. Dans ce pays, à moins d’être agriculteur, et encore, le petit indépendant au bord perpétuel du gouffre, n’a guère droit à l’attention. Alors, il se donne parfois l’illusion qu’un président, un député ou un autre, changera quelque peu son sort ou tentera de le conforter dans ses efforts. Il vote au sentiment, parfois pour ne pas désespérer tout à fait, et quelques soient ses illusions, je comprends sa déception si ses compatriotes ont pris d’autres options.

Je sais, c’est un peu larmoyant.

Mais j’éprouve parfois du mal à me départir de l’émotionnel. Quelque part, même si je vote différemment, j’éprouve un regret d’avoir « déçu » les unes ou les autres, de ne pouvoir partager leur affliction ou leur exubérance à l’unisson de leurs propres émotions. Évidemment, « comme on leur parle », comment ne pourraient-ils pas exulter ou se sentir contrits ? Finalement, ne vais-je pas voter tout à l’heure comme on m’aura parlé ? Ou chanté…

De Ferrat aux Saltimbanks

Tout le monde ou presque, à droite comme à gauche, s’accorde pour considérer que le Front de Gauche a mené la meilleure campagne. Il le doit certes à lui-même et à son chef de file, mais aussi, suggère Bakchich.info, à la chanson d’HK et des Saltimbanks, On lâche rien.

Petit extrait :

Que pèse notre bulletin de vote
Face à la loi du marché,
C’est con mes chers compatriotes, mais on s’est bien fait baiser
Que pèsent les droits de l’homme face à la vente d’un Airbus
Au fond y a qu’une règle en somme
Se vendre plus pour vendre plus…

(…)

Maintenant tu sais pourquoi on s’bat
Notre idéal, bien plus qu’un rêve,
Un autre monde, on n’a pas l’choix.

Dos au mur. Qu’il est loin le temps de la consolante Ma France, de Jean Ferrat, qui portait l’espoir que soit venu le temps « que le malheur succombe ».

Eh, les « travailleurs » étaient sans doute malmenés, mais la plupart pouvaient travailler, ou du moins s’employer suffisamment pour, d’une année sur l’autre, nourrir l’espoir de se payer, une fois ou l’autre, des vacances. Enfin,  au moins pour les enfants, dans la famille, la sienne ou celle des voisins, ou avec le Secours populaire, dans une « joyeuse » colonie de Pierre Perret.

Ce sentiment d’être le dos au mur, partagé aussi par une partie de l’électorat du Front national, l’emporte de loin sur l’espoir d’une sociale, qu’elle soit « nationale » ou internationaliste. Je ne sais trop si les avocats, chefs d’entreprise, journalistes en vue, hauts-fonctionnaires, déçus par le sarkozysme et réunis dans un cossu restaurant parisien par Libération en sont si conscients.

Même du côté du sortant, ce sentiment est partagé : plus trop question de prospérer, de grimper l’ascenseur social bloqué, mais pour beaucoup, même si ce n’est pas forcément la majorité, la crainte du pire. Le désarroi et la peur, souvent mauvaise conseillère.

Je ne crois plus trop que…

Du ciel dévale
Un désir qui nous emballe
Pour demain nos enfants pâles
Un mieux, un rêve, un cheval…

Comme le chante Souchon…

Les jeux sont faits, les dés jetés. Ce qui me console un peu, c’est qu’il y aura peu de rêves brisés (sauf peut-être pour certains candidats, ou leurs proches, ou ceux qui pouvaient en espérer carrières ou retombées propices). Juste de l’amertume ou une fugace satisfaction.

Alors au moment de me décider, je vais tenter de concilier ce que je crois être le plus réaliste et le moins désespérant. Au risque de me tromper. Voter, c’est souvent « se lâcher » pour ne pas se laisser totalement se lâcher, dériver. Et puis peut-être, sans doute aussi, ne pas en lâcher trop d’autres à leur sort, soit le moins possible, dans le pire pour eux des mondes.

Et puis, si le résultat ne me satisfait pas, je fredonnerai Souchon… jusqu’à la prochaine.