Christine Tasin et Pierre Cassen, de Riposte laïque, nous promettaient un entretien avec Marine Le Pen sur la question du voile musulman. La présidente du Front national ne dévoile pas grand’ chose de neuf sur la question. En revanche, si Jean-Luc Mélenchon vient d’être hissé sur le pavois du Front de gauche, l’autre (Front) lui fait sérieusement baisser les voiles. Marine Le Pen souligne qu’un sondage établirait que 62 % des électeurs du Front de gauche voteraient pour elle au second tour des présidentielles 2012. Ach, les gaucho-communistes donneraient du gîte idéologique ? Voilez cette malsaine dérive que je ne saurais voir ! Mais tâtons un peu cette étoffe moelleuse…

Ce n’est guère toutes voiles dehors que Marine Le Pen s’en est pris aux couvre-chefs des religieuses catholiques, protestantes et orthodoxes – on s’en doutait un peu – dans son entretien avec Riposte laïque intitulé « En France, le voile n’a pas sa place dans la sphère publique ». Sur la question, elle a répété : « je ne suis pas une adversaire des religions, la laïcité permet à chacun dans notre pays de croire ou de ne pas croire. Ce qu’elle ne permet pas et auquel je suis profondément attachée, c’est qu’une religion déborde dans la sphère publique pour y substituer aux lois civiles des lois et des revendications d’ordre politico-religieuses (sic). ».

Politico-religieux (pour l’ordre, celui de moniales, par ex.) ou politico-religieuses (pour les revendications, celles du Vatican sur l’identité nationale chrétienne de la France) ? Bah, ne la chipotons pas, j’en ai commis bien d’autres. À Djerba, où les transfuges et réfugiées de Lybie ainsi que les logisticiens des ONG sont plus nombreux à présent que les touristes habituels, les femmes voilées et se baignant tout revêtues jusqu’aux chevilles font tiquer les Tunisiennes. Trop d’ « Auvergnates » rendent plus sympathique le vacancier venu d’Auvergne, même en marcel à trous-trous, lequel se fait rare. Pour les déclarations musclées, voyez du côté d’Hortefeux ou de Guéant, Marine Le Pen est à présent aux abonnées absentes. Il faut cependant lire entre les lignes : eux, ceux de Nations Presse Info, c’est eux, et moi, Marine, c’est moi le Front national, qui n’admettrait pas qu’une femme voilée s’engage au FN. Ou alors, j’ai mal compris son propos… Duquel on peut aussi déduire l’inverse : une immigrée indonésienne voilée pourrait fort bien adhérer au FN et y être la bienvenue tant qu’elle ne cherche pas à faire modifier des lois ou progresser des revendications à connotation religieuse. Il y a de quoi boire et manger.

Donner des gages aux uns (Riposte laïque), sans s’aliéner les autres (NPI), c’est tout un art. Relever que l’immigration arabo-berbère n’est pas forcément synonyme d’invasion musulmane, cela confine à la désinformation… aux yeux de certaines et certains qui en font leur principal argument de soutien au FN. Mais comme on constate très peu de lâchers de Saoudiennes intégralement voilées en France (et qu’elles sont bienvenues en bikinis sur les plages tropéziennes ou vêtues à leur guise dans les grands magasins parisiens), il est préférable de parler d’autre chose.

Or donc, ce titre sur le voile de Riposte laïque ne reflète que très peu la teneur de l’entretien qui porte en fait surtout sur l’Europe, la délinquance (dont l’extinction à l’heure du couvre-feu par le FN est aussi certaine que celle de la pauvreté par le communisme), et divers autres sujets. À questions plus ou moins convenues, réponses encore plus consensuelles, plus ou moins floues, hormis sur la question des places en détention : le FN en fournira 40 000 supplémentaires. Construites par des ateliers nationaux d’ouvriers d’État et gérées par la seule administration pénitentiaire : on peut y croire… ou pas.

En tout cas, « les organisations liberticides habituelles » (entendez la Ligue des droits de l’homme et autres) peuvent scruter, il n’y a rien à reprocher aux propos de Marine Le Pen, ou de Riposte laïque, qui peuvent cette fois bénéficier de l’indifférence – et non pas de la « mansuétude » du système judiciaire – voire de l’indulgence plénière des « chiens de garde du système ».

Le seul truc susceptible de m’interloquer dans cet entretien porte sur l’électorat de Jean-Luc Mélenchon : « Selon un sondage, 62 % de ses électeurs voteraient pour moi au second tour. ».

Cela découlerait d’un sondage Harris Interactive. Lequel crédite Mélenchon, tout comme Ipsos par la suite, de 7 % des voix. Ces sondages ne sont guère fiables aux yeux de l’intéressé qui considère par ailleurs que l’indication de ce report de 62 à 64 % des voix de ses électeurs présumés sur le FN revêt « au moins autant d’utilité que Paul Le Poulpe ». Car en fait, pour lui et ses sympathisants, Le Pen ou Sarkozy, « c’est bonnet-blanc et blanc-bonnet » (repris de Jacques Duclos, en 1969, à propos de Pompidou et Poher). Cela mérite réflexion.

Il y a les sympathisants, qui voteront ou non pour Mélenchon (le vote utile peut en dissuader), et les électrices et électeurs. Lesquels, déjà, pour certains, tout aussi anti-farouchement anti-Chirac qu’anti-FN, avaient été pour partie tentés de voter Jean-Marie Le Pen au second tour, histoire de se débarrasser tant de Chirac que, après quelques mois ou trimestres, de Le Pen, en s’imaginant que la rue lui réglerait son compte. Certaines pensaient aussi, plus tard, que Sarkozy imploserait en plein vol dès que ses impostures deviendraient patentes. Pour Le Pen, on ne saura jamais, pour Sarkozy, on a vu.

Admettre, en bloc, qu’une fraction de l’électorat partage le sentiment que Mélenchon ou Marine Le Pen pourraient influer sur la mondialisation et la construction (ou déconstruction) européenne, ce n’est pas tout à fait farfelu. Mélenchon prône davantage une autre Europe, Le Pen préconise aussi moins d’Europe, sans trop entrer dans les détails. On peut les croire sur parole. Ou pas. À tout prendre, l’un et l’autre seraient, aux yeux d’aucunes et d’autres, susceptibles d’essayer.

Sur d’autres thèmes, c’est beaucoup plus mitigé et contrasté. Ce qui est quasiment sûr, c’est que si Mélenchon arrivait au second tour, il ne récolterait sans doute que peu de voix de lepénistes privés de candidate. La détestation de Sarkozy est forte dans tous les camps (même à l’UMP), mais pas au point de renier des fondamentaux ; ou des avantages acquis (même des surimposés de droite s’imaginent que ce serait pire si « la gauche » l’emportait). Mais ce que craint surtout cette classe politique, c’est qu’un vote blanc pris en compte soit largement majoritaire. L’abstention laisse la réelle représentativité de ses membres dans le flou, beaucoup moins le vote blanc ; le vote « bonnet », pourrait-on avancer.

Quant au vote « laicard », ce sera une autre paire de bretelles. On revoit à présent Jean-François Copé laisser entendre que Martine Aubry (et pourquoi pas d’autres, genre Mélenchon) ferait preuve d’un « comportement totalement ambigu » sur la laïcité. En cause, la fameuse affaire des créneaux horaires pour des musulmanes dans les piscines lilloises. D’autres maires (UMP peut-être, allez savoir) ont ménagé des créneaux réservés aux femmes, de toutes religions. Alors qu’en Suède certaines féministes revendiquent de fréquenter les piscines les seins nus, il y a aussi en France des féministes laïques favorables à des créneaux horaires, des naturistes qui en bénéficient (piscine Roger Le Gall à Paris, en d’autres villes). En Tunisie, à Djerba, on ne sait ce qu’il adviendra, donc encore moins ce que pourra en déduire Riposte laïque.

La réalité est sans doute que les thèmes du communautarisme (confessionnel, d’orientation sexuelle ou « textile », autre…) sont trop souvent utilisés à tort et à travers, si ce n’est par tous les partis, du moins par des groupes clientélistes affiliés se targuant d’apporter des suffrages, donc d’obtenir des postes. La pêche à l’électorat « flottant » (couvert ou à loilpé) prend des proportions parfois cocasses. Le rappel du sondage Harris, très peu fiable, par Marine Le Pen sur le site de Riposte laïque est de ce point de vue assez significatif. C’est à la fois dérisoire et marquant. Clin d’œil aux uns, clin d’œil aux autres (avec Laurent Ozon, du FN, ou Jean-Marie Le Pen courant nu, mais non pas en compagnie de la famille de Laurent Joffrin, dans un stade grec), messages codés contradictoires, font florès. Cela donne parfois envie de jeter tous ces bébés prétendants à devenir président·e·s avec l’eau du bain.

Chasse, Pêche, Nature et Traditions (CNPT) entre à son tour en lice. Au moins, c’est clair, il s’agit de braconner des sièges, des fonctions (ou des « missions »). Depuis son nouveau pays « de terre et de chemins d’eau », Ségolène Royal va aussi tenter de lancer des filets et poser des rets pour ne pas s’aliéner les chasseurs sans trop mécontenter les écolos. Marine Le Pen a désormais les mêmes soucis : ne pas snober ses soutiens du genre Riposte laïque sans trop heurter les sensibilités de l’électorat de seconde ou troisième génération maghrébine dans son ensemble (et diversités). Gratter du côté d’une gauche qui se voulait radicale (même du côté de Mélenchon) sans s’aliéner les radicaux de son fonds de commerce. Dur métier ! Cela fait de plus en plus songer à une représentante en aspirateurs au porte-à-porte dont l’appareil devient, le seuil franchi, spécial tapis, ou parquet, ou carrelage… si ce n’est terre battue. Le crédit est assorti. Mieux vaudrait quand même lire attentivement les lignes du contrat écrites en tout petit, elles pourraient réserver des surprises.