Il y a quelques mois, j’avais eu l’occasion de dire que les départs étaient des moments de vérité. C’est aussi vrai des moments de crise. Je m’explique : depuis les mois que nous sommes ici, je m’efforce de ne pas suivre l’actualité du seul point de vue israélien mais aussi à travers le point de vue français. Il n’y a aucune raison pour que, sous prétexte d’avoir émigré de France, je perde une partie de mes références. Ces derniers jours, toutefois, j’avoue avoir subi une certaine frustration. Depuis mercredi soir, tout Israël vit au rythme des événements de Bombay. Directement via CNN, ou via la télévision et la radio israélienne qui interrompaient régulièrement leurs émissions, la couverture des médias a été à la hauteur d’un événement mondial. Il me semble que la presse française l’a évoqué, mais comme un simple événement international parmi les autres.

On me dira que cet intérêt s’explique par la présence de victimes israéliennes. Sauf que le battage médiatique avait commencé avant que celle-ci ne soit connue. Depuis, il est vrai, la couverture journalistique a aussi fait écho au deuil national. Reste que j’ai observé un réel hiatus entre la France et Israël. A quoi cela peut-il être dû ? On ne peut pas dire que les médias n’y auraient pas trouvé leur compte : qu’y a-t-il de plus générateur d’audience qu’un journaliste qui couvre un événement littéralement sous les explosions de l’Hôtel Taj Mahal (c’était le cas de la correspondante de CNN) ? Est-ce dû à l’éloignement tant physique que culturel ? Tout le monde sait bien qu’aujourd’hui l’un et l’autre ont disparu. Est-ce dû au fait que les terroristes s’attaquaient en priorité aux ressortissants américains, britanniques et israéliens (et/ou juifs) ? Je ne le pense pas (en tout cas, n’ose pas le penser) et pourtant, j’imagine que si l’on avait entendu, dès les premières heures de l’attaque : « Les terroristes se sont introduits dans l’hôtel et ont abattus spécifiquement les ressortissants français », les médias français auraient réagi différemment. Est-ce normal ? L’Union Européenne n’existe-t-elle réellement que pour l’argent ? La conscience culturelle européenne est-elle si faible ?

Pourquoi Israël a-t-il vécu ces derniers jours au rythme de Bombay ? Je me risquerai à une explication : il y a un miroir grossissant au-dessus d’Israël, un miroir grossissant qui fonctionne dans les deux sens. Les événements qui ont lieu en Israël ont souvent un retentissement plus important dans le monde que ce qu’ils méritent. Par exemple, prenons l’élection de Tzipi Livni et celle de Martine Aubry : elles ont toutes deux été élues à la tête de leur parti, elles sont toutes deux femmes, l’une pourrait se trouver à la tête d’un pays de 7 millions d’habitants et l’autre à celle d’un pays de 60 millions d’habitants. Or, on a beaucoup plus parlé de l’Israélienne que de la Française.

Quand on observe le monde depuis Israël, le miroir grossit les événements comme si tout ce qui se passait concernait Israël. Cette semaine a apporté la preuve que c’était souvent vrai. Parmi les victimes de Bombay figure un petit garçon devenu orphelin à la veille de son deuxième anniversaire. Il était le fils du rabbin et de son épouse qui ont été tués. Tout le pays pense à ce petit garçon.