Peu avant Noël dernier, un viticulteur champenois d’Avize (Marne), a fait parler de lui dans toute la presse anglaise (et française) : à l’instar des grandes maisons de champagne qui ont multiplié les vignobles et les succursales en Californie, Colombie Britannique, Afrique du Sud ou Australie, il a opté pour l’Outre-mer, à savoir l’Outre-manche, pour y produire du vin effervescent. Méthode anglaise ?

Petite introduction pour les néophytes et un peu de réminiscence pour le nostalgique que je suis. Un champagne, c’est quoi ? Un vin effervescent produit dans la région d’appellation, qui s’étend au-delà de Colombey-les-Deux-Églises (Haute-Marne) à l’est, de Château-Thierry (Aisne) à l’ouest, et dans l’Aube, au sud, mais peu au nord de la Marne, aux confins des Ardennes. C’est généralement un blanc ou un rosé (le Bouzy, rouge, est aussi champenois mais non champagne), élaboré selon la dite méthode champenoise.
C’est, généralement, un assemblage de diverses provenances (sauf millésime, la plupart du temps issu des seules terres du propriétaire-récoltant-manipulant), « rectifié », comme le Porto, avec de la liqueur provenant d’une foudre contenant de (très) vieux champagnes. Qu’est-ce qui fait vraiment le champagne ?
Le terroir, la méthode, et… la vigilance et les investissements en honoraires d’avocats que le CIVC, l’une des deux organisations patronales champenoises consacre à la défense de l’appellation.

Même les viti-viniculteurs de Champagne, en Suisse, élaborés selon la méthode champ… euh, helvète de Champagne (pays de Vaud), ont dû plier. Et pour ne pas casser leurs ventes, les plus renommées maisons de Reims ou d’Épernay ont soigneusement évité de commercialiser leurs effervescents méthode « californienne » ou « sud-africaine » en France. Pourtant, comme les saumurs testés à l’aveugle, ces vins peuvent bien sûr rivaliser avec les productions françaises de l’appellation. Laquelle a aussi interdit de faire usage de la dénomination « méthode champenoise », naguère employée pour les saumurs et d’autres effervescents d’autres régions que l’Anjou…

J’avais autrefois réalisé des reportages sur les maisons champenoises implantées, avec ceps mais aussi maîtres de chais, dans les vallées de Napa et Sonoma, en Californie du Nord.
Un « avisé » secrétaire de rédaction, qui a fait son chemin depuis (comme quoi…) avait osé modifier mon titre pour faire état des « champagnes californiens ». Ce fut un tollé inouï. Standard du quotidien saturé dès 7 heures du matin.
On ne rigole pas avec ces choses. Et pourtant…

Vins joueurs

J’atteste que certains, rares, « vins joueurs » de Crimée (igraskoye vino) peuvent rivaliser en arômes, finesse, tenue, &c., avec les meilleurs vins de la Champagne. Toutefois, ils diffèrent, ne serait-ce qu’en raison d’un climat différent et de sols de composition fort éloignée des fameuses « crayères » (à la fois anciens silos à grains romains et sols crayeux, loin d’être présents sur l’ensemble de la zone d’appellation). Question climat, les brumes matinales de la Californie du Nord tempèrent le bel ensoleillement des après-midi et les têtes de cuvée (de premier pressage) sont sublimes. Or l’Angleterre cumule le climat et les sols, proches de ceux de la Champagne, et peut faire croître et embellir les mêmes cépages (pinots blancs, noirs, meuniers, et chardonnays notamment).

Ces vins anglais sont éduqués à l’anglaise (non point maltraités comme l’évoquerait la dénomination « éducation anglaise », chargée d’histoire d’O), et selon la « méthode anglaise » – en français dans le texte sur les cols des flacons de Gusbourne, l’un des plus connus de ces vins – qui risque de céder devant celle de « Cuvée Merret », du nom de Christopher Merret (1614-1695), précurseur, en 1662, de peu, du fameux Dom Pérignon (1639-1715), initiateur de la méthode champenoise.

Pour le moment, on joue davantage sur les mots que sur le goût. En dégustation aveugle, le Nyetimber rivalise avec de très bons champagnes.

Les Anglais peuvent aussi s’enorgueillir des Carr Taylor, des Rigdeview Estate, des britagne, et bientôt, avec le temps, d’une quarantaine d’effervescents. Dont, au bout de quelques années d’élaboration, le tout nouveau « bubbly » Meonhill, de Didier Pierson-Whitaker (Whitaker étant le patronyme de son épouse), dont les ceps furent plantés en 2005 dans le comté de Hampshire. Il parie aussi sur le réchauffement climatique (en juin, le différentiel par rapport à la Champagne est de trois ou quatre degrés).

Restera aux Champenois de se montrer beaux joueurs. Et de laisser faire en sorte que ces concurrents britanniques, qui peuvent contribuer à former le goût des amateurs français, puissent trouver d’autres débouchés de circulation en France que le Marks & Spencer des Champs-Élysées et de rares boutiques ou cavistes français.