Damned! On a beau saisir au clavier à près de soixante mots minutes et savoir pisser de la copie plus vite qu’on ne pense à la phrase suivante, rédiger quelque chose sur Marlon Brando, cela vous casse le rythme. Par où commencer ? Comment évoquer tant l’acteur que l’homme, le personnage, les personnages, lesquels, &c. ? Allez, commençons par Marlon Brando Jr. (3 avr. 1924-1er juil. 2004), fils de l’actrice Dorothy Julia Pennabaker et de Marlon Brando Sr.

Dodie, après son divorce, retourne chez sa mère avec ses trois enfants, Jocelyn, Frances (Frannie) et Marlon, le benjamin, alors âgé de 11 ans. Grand ma’ Bessie Gahan Pennabaker vit à Santa Ana. Dodie est un peu une pétroleuse, une garçonne, comme Marie Holloway, la mère de Brando Sr. Elle fume, elle cause, &c., et on peut imaginer que de la Christian Science – qui l’influence – elle n’a conservé que le côté libre-penseuse et pas le mode de vie sobre et équilibré prôné par cette religion qui mêle philosophie et spiritualité sans sectarisme. Mon ami Billy Lloyd Hults, ministre de la Rastified Church of the Comboy Buddha (qui vous emballait un mariage pour vraiment pas cher et jouait de la planche à savonner comme personne de surcroît, et célébrait à l’occasion gratuitement les enterrements), vient de mourir. J’attends de découvrir son Billy (Billy Hults, the Anthology). Il m’a envoyé le CD peut avant de mourir. « Washboard legend », l’appelait-on. J’imagine assez Dodie danser sur la musique de Billy et le jeune Brando Jr. en train de mimer Billy. Car Marlon imite tout le monde. Mais c’est un élève turbulent, on ne sait plus trop que faire avec lui, et donc on l’expédie chez les enfants de troupe, à la Shattuck Military Academy, dans le Minnesota. À Faribault, on s’ennuie ferme, mais peut-être que la troupe de théâtre amateur permet de se frotter aux jupons des filles de Saint-Mary Hall, le pensionnat épiscopalien voisin. Il ne supporte plus l’école, devient cantonnier ; puis il suit sa sœur, Frannie à New York où elle prend des cours de théâtre. Il finira par s’inscrire au désormais prestigieux Actors’ Studio. Il parvient donc à trouver des rôles dans les théâtres de Broadway.

 

Le moins qu’on puisse écrire est que Marlon aura une vie personnelle mouvementée. Il demandera à ce que ses cendres soient mêlées à celle de son ami d’enfance et amant, Wally Cox, et elles furent ensemble dispersées à Tahiti et dans la Death Valley. Mais il eut aussi douze enfants (trois adoptés, un mort de pneumonie, l’aîné, fils d’Anna Kashfi, une qui se suicide, Tarita Cheyenne, fille de Tarita Teriipia) dont neuf de cinq femmes dont l’une est restée à ce jour inconnue. Avant de souffrir de diabète et de peser 140 kilos, Brando est ce qu’on appelle un chaud lapin. Il aurait été l’amant de Marylin Monroe, ce qui l’a peut-être rapproché des frères Kennedy et des grandes campagnes des démocrates et des libéraux étasuniens. Peu d’actrices ont refusé ses avances mais Marina Vlady l’avait envoyé sur les roses.

 

Il est pour les cultures amérindiennes, contre le racisme, pour le sionisme des origines (l’humanisme prédomine encore, il n’est pas encore question de faire fuir les voisins arabes…), et on peut penser qu’il avait un peu tout lu sur Gauguin en français. En effet, sur le tournage du Bounty, il fait la connaissance d’un jeune tendron de 18 ans sa cadette, Tarita Teriipia. Elle est francophone, il sera francophone. Vous pouvez retrouver les bandes de ses entretiens en français sur le site de l’Ina ou sur Dailymotion. Il a un accent américain influencé par le tahitien. Coïncidence insolite, quand vous recherchez des vidéos de Marlon Brando sur le site de l’Ina, vous tombez aussi sur un entretien avec Patrick Dewaere qui commente un festival de Cannes. Patrick Dewaere dit qu’il ne sera « jamais vieux » et le premier acteur qu’il cite, c’est Marlon Brando. Dewaere, par son côté un peu voyou, évoquait souvent une partie de la personnalité de Brando. « J’aimerais bien jouer comme Marlon Brando, » reprendra-t-il plus tard…

 

Brando est la France, ce n’est pas que la fameuse réplique « passe-moi le beurre… ». Il este parfois présent aux galas parisiens de l’Unicef, il a aussi tourné, âgé de 33 ans, dans Le Bal des maudits, au château de Chantilly. Ce n’est pas la première fois qu’il revient à Paris. Il est d’ailleurs, dès 1954, un général Bonaparte pour Désirée, film d’Henry Coster (le sujet ayant déjà été abordé au cinéma par Sacha Guitry, en 1942, avec Le Destin fabuleux de Désirée Clary). Dans le Bal, d’Edward Dmytryk (1958), il est le lieutenant Christian Diestl.

 

Au cinéma, la carrière de Brando débute en 1950, avec C’était des hommes, de Fred Zinnmann. C’est d’emblée un premier rôle aux côtés de Teresa Wright. Le Tramway nommé Désir de Kazan suit, et Kazan le réemploie l’année suivante pour Viva Zapata ! La suite, elle est plus ou moins bien connue. Le Parrain, Apocalypse Now, L’Île du docteur Moreau, &c., suivront. Dans les et cætera il y a le film du Québécois Yves Simoneau, Free Money, de 1998, et encore deux films en 2001. Notons que Johnny Depp l’emploie pour The Brave en 1997. À présent, Marlon Brando est une marque déposée confiée à Brand Sense Partners (L.A., Ca). Il représenterait une sorte de mâle traditionnel qui ne serait pas un macho quelconque, et un bon vivant. Avra Douglas, ex-assistante de Brando, ayant concédé une forte somme à son ex-gouvernante et compagne, Angela Borlanza, pour qu’elle cesse de dire et écrire quelle, Avra, avait imité la signature de Brando sur son testament, veille donc à l’utilisation du nom Brando.

 

On mesure aussi la notoriété d’une personne aux nombres de pages Wikipedia lui étant consacrées en diverses langues. Pour Brando, outre le breton, l’ukrainien, le volapük, l’anglais simplifié, on a le vénitien, le papiamentu, le mongol, le lëtzebuergesch, l’aragonais et quelques autres langues qu’on va qualifier de rares. Bref, je n’ai pas compté, mais ce doit être le double de celles consacrées à Alain Delon. C’est dire…

 

Pour toute une génération, Brando reste aussi le Paul du Dernier Tango de Bernardo Bertolucci. Partenaire de Jeanne (Maria Schneider), Brando remplace Jean-Louis Trintignant, Delon, Belmondo, qui ont tour à tour refusé le rôle. Dominique Sanda, enceinte, refuse aussi de jouer Jeanne. Brando refuse d’apprendre les dialogues, dont ceux d’Agnès Varda, qui s’est inspirée de la mort de Jim Morrisson, l’année précédant le tournage. Brando veut écrire certaines répliques sur les lombes (les fesses) de Maria Schneider. Il paraît qu’elle accepte mais que Bertolucci refuse. La fameuse scène dite « du beurre » ne figurait pas au scénario. Maria Schneider commentera plus tard : « heureusement, il n’y a eu qu’une seule prise ». Elle quittera plus tard le tournage de Caligula et se fera interner avant de reprendre une carrière un temps amoindrie : elle refuse de tourner la moindre scène à caractère sexuel. La scène est, dit-on, suggérée par Brando, et Bertolucci, de suite, veut la tourner. Schneider, fille de Marie-Christine Schneider et de Daniel Gélin († nov. 2002), un ami de Brando, se laisse convaincre à demi.

Tant Brando que Schneider ont regretté d’avoir tourné cette scène, mimée, ou, du moins, l’ont proclamé. Schneider dira qu’elle a pleuré d’humiliation lors de la scène.

Robert Altman, après avoir vu le film, déclare qu’il s’est demandé s’il aurait encore le cran de filmer après cela : « Ma vie personnelle et créative sont à tout jamais bouleversées. ». En France, on fait la queue pendant une heure ou deux pour voir le film. Des Espagnol·e·s font le voyage pour le voir. La fameuse scène est coupée pour la diffusion au Royaume-Uni, le film est interdit au Chili, en Espagne, puis, après une semaine de projection, en Italie. On peut revoir le film en Italie depuis 1987. Au Brésil, il sort en 1980 mais est rapidement censuré. Il sera censuré à Singapour, en Nouvelle-Zélande, au Portugal, en Corée du Sud. La première, à New York, le 14 octobre 1972, est précédée et suivie d’un vrombruissage assourdissant. Des membres de l’équipe de tournage (n’ayant pas participé au montage) quittent la salle, des femmes du monde vomissent lors de la projection. Nando Cicero tournera, en 1973, une parodie : Ultimo tango à Zagarol. Le critique italien Goffredo « Oggi » Fofi écrira qu’il préfère cette parodie à l’original. Simultanément ou presque, on aura La Dernière Bourrée à Paris de Raoul André avec Michel Galabru, Francis Blanche, Daniel Prévost, Micheline Dax, Paul Bréboist, Annie Cordy  et Patricia Lesueur (qui joue une jeune femme fascinée par le personnage de Jeanne).

 

Le film a bénéficié d’un extraordinaire succès auprès de la plupart des critiques. Le traitement des éclairages, le soin apporté aux décors, le très bon travail des directeurs de la photo et du son, sont remarqués. La distribution prestigieuse (Schneider n’est pas très connue, mais Catherine Allégret, Catherine Breillat, Jean-Pierre Léaud, Laura Betti – amie de Pasolini, dont on ne conservera que la scène des tagliatelles, selon les versions – ou la Roumaine Veronica Lazar, qui tournera pour Antonioni, sont déjà connu·e·s, et même Mimi Pinson fait de la figuration) fait aussi la réputation du film tout autant que le scandale qui l’entoure.

 

Mais il y a bien sûr des anecdotes. Jean-Pierre Léaud est si intimidé par Brando qu’il tourne ses scènes uniquement le samedi, jour de repos exigé par Brando. Ingmar Bergman considère publiquement que le film aurait dû être une histoire entre deux homosexuels. Les répliques que Brando improvise font l’objet de commentaires. Certaines sont difficilement traduisibles et doivent être adaptées. Les dialogues sont très crus, parfois franchement obscènes. Serge July réalisera Il était une fois… Le Dernier Tango à Paris (scénario de Yann Le Gal) en 2004. Il s’agit d’un documentaire réunissant Bertolucci, Allégret, Schneider, Germaine Greer… Il sort peu après Les Innocents (The Dreamers), de Bertolucci, qui revisite les thèmes de la libération sexuelle post « soixante-huitarde », du ménage à trois.

 

Ce Dernier Tango n’est pas vraiment un film libertin. En tout cas pas dans la veine de La Grande Bouffe (de Marco Ferrari, sorti en 1973, donc tourné à peu près à même époque). La Grande Bouffe fut huée à Cannes et Philippe Noiret commentera : « Nous tendions un miroir aux gens et ils n’ont pas aimé se voir dedans. C’est révélateur d’une grande connerie… ». Nous ne sommes pas loin de La Maman et la putain, des Valseuses… Dans ce film de Ferrari, Ugo Tognazzi imite Brando interprétant son personnage du Parrain.

 

Ce film reste un film culte et c’est de fait, le tout dernier film de Brando. Les autres seront tournés par nécessité financière (Brando se ruine pour le procès de son fils, Christian, assassin de Drag Drollet, l’amant de sa demi-sœur, Cheyenne), ou par amitié pour les réalisateurs. The Score, son dernier film, pour Franck Oz, lui aurait rapporté 15 millions d’USD mais il en devait encore 20. L’affiche montre Robert de Niro et Edward Norton et mentionne les noms d’Angela Bassett et de Brando. Il a fait des voix pour Superman (et un rôle de trois minutes) et pour un dessin animé…

 

Marlon Brando meurt pauvre. Il vivait dans un bungalow de deux pièces à Los Angeles, parce que la maladie ne lui permet pas d’accepter un cachet dans Scary Movie II. Il devait aussi jouer son propre rôle dans Brando et Brando du Tunisien Ridha Behi.