Bogart, c'est les années 1950 au cinéma. Soit la fin de sa carrière puisqu'il meurt en janvier 1957 à l'âge de 57 ans. En France, il est célèbre dès les années 1940 avec Le Faucon maltais (John Huston, 1941) et srutout Casablanca (Michael Curtiz, 1942). Ses rôles en duo avec Lauren Bacall (Le Port de l'angoisse, Les Passagers de la nuit…) ou Ava Gardner (La Comtesse aux pieds nus), en font le séducteur type, même si, pour son dernier film, Plus dure sera la chute (Mark Robson, 1956), il interprête un anti-héros solitaire, le journaliste et arnaqueur sportif Eddie Willis, sans partenaire féminine notable.

À l'époque, vous l'aurez remarqué, la cigarette (ou la pipe pour Tati, les interprêtes des Maigret, &c.) est indissociable du premier rôle masculin. Pour les rôles de journalistes, c'est le chapeau avec la carte de presse (ou de son titre ou agence) glissée de biais sous le ruban. Un gumshoe, un « privé », ne sort pas dans la rue sans son chapeau, même pour aller acheter des Lucky Strike ou des Chesterfield au coin de la rue, même s'il ne pleut ni ne vente. Cigarette et feutre mou, à l'occasion lunettes noires et blouson de pilote, vont donner le la de l'élégance masculine urbaine pendant quelques décennies. Bogart y est pour beaucoup (enfin, plutôt, déjà, ses producteurs et les marques de vêtements, chapeaux, cigarettes, whiskies, ainsi que les fournisseurs de starlettes, de petites pépées…).

Contrairement à Steve McQueen, Bogart, en dépit de ses quatre mariages (celui avec Lauren Bacall, en mai 1945, sera le dernier et le bon…), n'est pas un homme à femmes, si ce n'est à l'écran. Il est issu de la bonne société étasunienne et si ses ancêtres n'étaient pas passagers de la Mayflower, il peut se targuer d'ascendences royales britannique et espagnole. Destiné à faire Yale, il s'engage dans la marine de guerre, est blessé au cours de la Grande Guerre, ce qui lui laisse une cicatrice sur une lèvre (en fait, il y a au moins quatre versions de l'incident, dont deux tout à fait civils et bien antérieur ou postérieur à son engagement dans la marine et sa démobilisation ; Louise Brooks considérera qu'il l'avait à la suite d'une bagarre dans un bar fréquenté par des actrices et acteurs). 

C'est par le théâtre, grâce à sa bonne tête et ses relations, qu'il se fait connaître. Sa carrière à Hollywood débute au tout début des années 1930 avec un film de John Huston, Up the River, avec Spencer Tracy et Claire Luce. Il interprête son premier rôle de mauvais garçon à l'écran. Mais c'est surtout ses duos de premier rôle avec des actrices marquantes qui lui valent une réelle notoriété. Ainsi, dans Femmes marquées (Marked Woman, de Lloyd Bacon, 1937), il partage l'affiche avec Bette Davis (la première fois qu'il joue avec elle, il a un second rôle dans The Bad Sister, en 1931).

Mais sa carrière cinématographique a longtemps stagné et il joue les utilités ou les personnages secondaires ; son franc-parler, son dédain à l'égard de la publicité et des réceptions, ne lui valent pas que des amis. À l'exception de John Huston, qui est son partenaire dans High Sierra, de Raoul Walsh (1941, titre traduit en français par La Grande Évasion, mais il s'agit d'une échappée de prison, et non de stalag comme pour le second film du nom).

Huston passe derrière la caméra et réalise, en 1941, Le Faucon maltais. Bogart est Sam Spade, un privé très dans la note des romans de Dashiell Hammett. L'année suivante, avec Ingrid Bergman dans Casablanca, il joue sur talonnettes (Bergman est à Bogart moins que ce que Carla Bruni est à Nicolas Sarközy, mais supérieure en élévation néanmoins). Bergman ne le met pas dans son lit, ni même à sa table, car elle l'ignore copieusement. Mayo Methot, une actrice devenue Madame Bogart en 1938, s'imagine le contraire. Et ses scènes de jalousie feront croire qu'il y avait d'autres sentiments entre Bergman et Bogart que ceux exprimés dans leurs scènes.

En Avoir ou pas (1944) réunit Bogart (45 ans) et Lauren Bacall (19 ans). Howard Hawks, le réalisateur, comprend leur romance naissante, et donne davantage de scènes à la jeune femme que Bogart couve et met davantage en valeur que ce que prévoyait le scénario. Mais bientôt Hawks s'éprend lui aussi de sa starlette et les deux hommes se battront froid. Ce sera le producteur, Jack Warner, qui devra les raisonner. Hawks, réalisant Le Grand Sommeil avec le futur couple, finit par faire, avec bonne fortune (le premier film a du succès), bon cœur… En mai 1945, le couple est uni après que Bogart ait obtenu son divorce, et après quelques mois de relatives tensions, dues à leurs modes de vie et personnalités parfois plus opposées que complémentaires, ils deviennent parents (Stephen Humphrey en janvier 1949, Leslie Howard en août 1952).

Le Trésor de la Sierra Madre (Huston, 1947) le trouve un peu à contre-emploi, sans partenaire féminine. Il obtient un trophée de meilleur second rôle mais le film ne connaîtra le succès qu'à la longue, et surtout à l'étranger. Opposé au McCarthyisme, Bogart se distancera cependant des dix principaux accusés de sympathies ou activités communistes (Jules Dassin, et tant d'autres, ne seront pas du nombre, mais de justesse). Il pourra donc tourner, toujours pour Hudson, The African Queen, avec Katharine Hepburn (1951). C'est son premier film en Technicolor. Il lui vaut son premier trophée de meilleur premier rôle. Son rôle auprès d'Audrey Hepburn, dans Sabrina (1954), ne lui laissera pas ses meilleurs souvenirs car il tient le réalisateur, Billy Wilder, en piêtre estime.

La Comtesse aux pieds nus (Joseph Mankiewicz, 1954, avec Ava Gardner) est son dernier grand film. Quatre autres suivront dont le Mark Robson, Plus dure sera la chute, son dernier.

Était-il « de l'étoffe dont sont faits les rêves » ce feutre Fedora appelé le Bogart ? L'habit ne fait pas le moine ni le chapeau l'acteur, mais dans À bout de souffle, de Godard, Belmondo fait un Bogart à la française tout à fait crédible. Son personnage, Michel Poiccard, contemple des photos de Bogart derrière les vitrines des cinémas. Who will Play it again ? Sam ? Ce film de Woody Allen est un hommage parodique. Mais ce sera Robert Sachi qui sera The Man with Bogart's Face en 1981.

Au fait, saviez-vous qu'en anglais, le fait de s'enrouer en prenant une voix plus basse que son timbre naturel est nommé le Bogart-Bacall Syndrome (BBS) ? Je ne sais si la blogue-noteuse Prof-ondefatigue, qui officie sur Le Post, en est parfois affectée, mais j'imagine qu'elle a peut-être au moins une fois imité Bacall (ou Bogart), ou cité l'une de leurs répliques, dans ses cours d'anglais. Mais il n'est pas sûr que ses élèves – sauf s'ils regardaient parfois la chaîne Arte – comprennent l'allusion. Le BBS est une dysphonie. Be back soon… avec une autre digression lors d'une nouvelle Bios Boot sequence à la faveur d'une autre chronique des Vieilles gloires dorées.

Mais vous pouvez « babiller » sur ce babillard amélioré (ou Bulletin Board Service) qu'est C4N. À propos de Bacall et de Bogart, c'est gratuit, c'est brut bulletin de salaire, et si cela peut rapporter le cœur gros (de nostalgie), c'est déjà cela de pris.

Au fait, lisez ce que disait, en 2004, Lauren Bacall à propos des salaires et cachets des vedettes de l'écran : « les patrons des studios ne se préoccupaient pas de vos états d'âme parce qu'ils pensaient que vous étiez remplaçable. Ça rendait plus humble. Tout le monde n'était pas forcément d'accord avec un Jack Warner. Je ne l'étais pas. Mais ces gens-là connaissaient la valeur d'une star et se préoccupaient avant tout de faire de bons films. L'argent comptait déjà mais n'avait pas l'importance qu'il a aujourd'hui. Qui peut gérer un salaire de 20 millions de dollars ? Le plus gros salaire que Bogey a jamais eu est 200 000 dollars. » (entretien avec Alain Lorfèvre, La Libre Belgique, éd. datée du 14 déc. 2004). Autres temps, autres mœurs, pas si sûr…