Abril, c’est la « bonne copine » à l’écran. Une gouaille à l’Arletty, une fraîcheur à la Marlène Jobert ou Miou-Miou, et elle peut à peu près tout interpréter, depuis des rôles d’anonymes à la Marie Dubois dans Bof, de Faraldo,  aux performances de grande star mythique mais avec le naturel d’une Marylin. On la retrouve en téléfilm, dans le rôle de la mère d’une jeune ado enceinte (Clem) fin février 2010. Ce sera l’occasion d’apparitions promotionnelles qui montreront, espérons-le, qu’elle n’a pas plus la langue dans sa poche que lors des précédentes.

 


abril_2.pngElle a un pseudonyme printanier, et l’esprit d’à propos primesautier. Montaigne écrivait : « ce que je vois à la première charge, je le vois moins en m’y obstinant ». Pourtant, Victoria Abril a aussi tout de la chevrette de Monsieur Seguin, combative et têtue, très consciencieuse sur les plateaux de tournage. Mais on la sent folâtre. Et jamais démontée, avec un sens de la répartie qui rappelle Arletty. Je me souviens qu’elle avait été invitée par Ardisson qui lui lança tout de go : « Et la sodomie ? ». Toute autre aurait éclaté de rire, trouvé une diversion. Pas Victoria Abril qui écarquille les yeux un quart de seconde, se compose une moue ravissante et réplique : « Ah… si c’est bien fait ! ». La belle, il faut le dire, n’a pas froid au postérieur et on la vit monter les marches à Cannes en robe totalement fendue par derrière, révélant une toute petite culotte moulante. Culottée, oui, et on lui doit le fameux « mieux vaut tourner nue dans un chef-d’œuvre qu’habillée dans un navet ».  De même, lors d’une émission de Sébastien Cauet, avec lequel elle avait joué dans Les Aristos de Charlotte de Turkheim (elle était un marquise, il était un huissier), elle avait interprété avec lui mais à sa manière la célèbre phrase de Sacha Guitry : contre… tout contre… De quoi faire s’éclore l’huis de tout huissier. Pour elle, dans ce genre de cirque, il faut faire le clown, et elle le fait moins à la manière éthérée de Miss Loulou, l’épouse de l’auguste Atoff De Consoli, que des « paillasses » légèrement paillardes de la fin du dix-neuvième siècle.

 

Née Victoria Mérida Rojas, elle se destine, comme Guesh Patti, très tôt à la danse classique. Mais elle décroche très vite, dès 1975, des rôles au cinéma, d’abord dans Fascination (Obsession, de Francisco Lara Polop). Elle y va hardi, car si son père est un très sérieux ingénieur castillan trop absent, maman, très belle infirmière, a figuré dans divers films américains des années 1950. C’est Vicente Aranda qui, en 1977, confie à la jeune Victoria un premier rôle difficile, celui d’un homme dans Cambio de sexo, puis celui de Marina dans La Muchacha de las bragas de oro. Elle tourne pour la première fois au mois d’avril, d’où le choix de son nom de scène. Carlos Saura la fera attendre jusqu’en 2004 pour lui faire rater un dixième prix Goya (le prix du Meilleur espoir féminin allant à Yhana Cobo pour ce Septième Jour et il était difficile de primer aussi Abril). Sur ses onze nominations aux Goya, elle ne l’emporte qu’une fois, pour Nadie hablará de nosotras cuando hayamos muerto, d’Augustin Diaz Yanes, en 1995.  Mais elle a remporté un Ours d’Argent (pour Amantes, de Vicente Aranda) et une palme cannoise. C’est pour élever ses enfants qu’elle a renoncé au théâtre, qu’elle pratiquait en Espagne. L’adieu aux planches n’est peut-être pas définitif depuis que ses enfants sont devenus des grands. Mais bon, elle a déclaré (pour E-spagne.com et CanalEurope.com) vouloir mourir en chantant.

 

Elle est déjà très célèbre en Espagne, autant en tant qu’actrice que chanteuse ou présentatrice de jeux télévisés lorsque, en 1982, elle vient s’installer à Paris avec son mari d’alors, Gérard de Battista, un directeur de la photographie. Elle sera Barbara dans La Guerrillera de Pierre Kast (1981, avec Gérard de Bastista pour chef opérateur), Véronique dans Le Voyage de Michel Andrieu, tournera Le Bâtard, de Bertrand Van Effenterre, et J’ai épousé une ombre de Robin Davis. Mais c’est l’année suivante que le public français la découvre vraiment dans La Lune dans le caniveau de Jean-Jacques Beinex. Peu de films français suivent car elle est très demandée à l’étranger et hormis Gérard Jugnot ou Josiane Balasko (fameux Gazon maudit, de 1994), ou encore Charlotte de Turkheim (Mon père, ma mère, mes frères et mes sœurs, en 1998, puis Les Aristos, en 2005), auxquels elle se refuse peu, par amitié, les cinéastes français n’ont pas vraiment l’occasion de l’employer. Il faut être une Jeanne Labrune (Cause toujours ! en 2004) ou un Jean-Pierre Mocky ou une jeune réalisatrice prometteuse pour « se la payer » (à cachets d’amis). Ou alors, elle trouve le temps de s’amuser à tourner Les Gens honnêtes vivent en France (de Bob Decout, 2005). Retour à la bande du Splendid en 2008 avec Musée haut, musée bas, de Jean-Michel Ribes.

 

Bien évidemment, c’est Attache-moi, et les deux autres films qu’elle tourne avec Pedro Almodovar, Talons aiguilles (1991) et Kika (1993), qui lui valent une renommée réellement mondiale auprès de tous les publics.  Depuis, elle est très famille (avec sa sœur Maria Isabel, ses enfants) et copains-copines : plus question de s’embarquer sur un tournage avec des gens antipathiques ou distants. Un rapide passage à Hollywood l’avait dégoûtée du cinéma américain (« on m’a fait jouer une Mexicaine, puis une pute, cela m’a suffit, merci ! »).

 

C’est aussi une excellente chanteuse. D’aucuns peuvent regretter que son phrasé en français soit un peu trop policé en studio (Casa Limon, Madrid, pour l’album Olala !). En espagnol, ou portugais, elle se lâche davantage. Sans doute séduit-elle mieux en concerts. C’est peut-être qu’on l’apprécie encore davantage en version originale dans ses films espagnols et qu’on aimerait retrouver la même voix.  Mais en interprétant Colette Renard (Les Nuits d’une demoiselle), elle prouve, selon le proverbe italien, que « le lit est l’opéra du pauvre ». En moins affectée, car elle surveille sa diction et pourrait enseigner à l’Alliance française, elle n’en n’est pas moins devenue notre Jane Birkin version andalouse. À elle seule, elle a incarné notre movida nationale. « J’ai l’âme française et le cœur gitan, » résume-t-elle.

 

Clem, téléfilm de TF1, devrait marquer le public français. L’histoire serait tirée de celle, réelle, de la grossesse non désirée de la filleule du producteur qui avait l’avait découverte au bout de cinq mois. Victoria Abril est « la p’tite maman » de Clem, une maman qui a « arrêté de travailler pour s’occuper de Salomé et moi et je dois dire que c’est cool (…) des bons petits plats au dîner, mon linge toujours clean… une vraie p’tite mère quoi !!! » (extrait du blogue-notes de promotion de Clem, que la jeune personne est censée tenir). Caro, la maman, a l’aplomb et le bon sens d’Annie Duperey dans Une Famille en or, avec une forte personnalité, on s’en serait doutés.

 

Victoria Abril a un site, pas toujours très à jour, mais qui présente sa filmographie complète et quelques extraits de ses concerts. On la retrouve aussi sur MySpace et FaceBook où figurent quelques-unes de ses amies et beaucoup d’admirateurs. Devenez « fan », vous serez en bonne compagnie…

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