Interrogée par Marianne et des étudiants de l’école de journalisme de Nice, l’eurodéputée Corinne Lepage, a considéré que le scandale des viandes d’équidés (chevalines, asines et de mules) dérive du refus de la France d’exiger un meilleur étiquetage de la part des agroindustriels et des distributeurs. On s’en doutait un peu. En revanche, on célèbrera en grandes pompes, avec les mêmes, en septembre prochain, la Fête de la Gastronomie (de pain de minerai de cheval, aurait pu chanter Boby Lapointe).

C’était voici peu, et nous évoquions, avec David G., ancien grand chef devenu patron de restaurant, le scandale de la viande de cheval. David me confirmait ce que la plupart des clients des restaurants savent, y compris ceux des plus grands. « Tu mets une glace “maison” à ta carte : pas de problème, tu peux prendre de la glace industrielle, ajouter du coulis industriel, provenance Metro ou autre, mais ton pâtissier rajoute par exemple une petite feuille de menthe dessus, et c’est légal, tu as servi de la glace maison. ».

À sa table de naguère, du pain sorti tout chaud du four, avec du beurre aux olives vraiment manié en cuisine. David G., issu d’une école hôtelière, était passé directeur (notamment de la brasserie parisienne Flo), puis avait monté sa propre affaire. Mais il restait très présent en cuisine et n’envisageait pas de confier son nom à on ne sait quel industriel de l’agroalimentaire emballant des préparations issues de la Comigel, de chez Spanghero, ou d’on ne sait vraiment trop où.

Pour les surgelés ou le sous-vide (il y a sous-vide et sous-vide, dont celui de grands restaurateurs comme Émile Jung, du Crocodile à Strasbourg, chez lequel j’ai mangé son sous-vide dans sa cuisine), c’est pareil : comme le jambon « de Bayonne » salé dans les Pyrénées-Atlantiques et de diverses provenances « communautaires et non-communautaires », le « maison » de très grandes tables ne l’est qu’en raison qu’un mitron, un apprenti-commis, va peut-être passer, comme au bonneteau, de la muscade.

Et c’est bien un jeu de bonneteau auquel se sont livrés Findus, Picard, marques de distributeurs, Comigel, la Spanghero, &c. On s’en doutait, c’est « calculé pour », comme l’aurait dit Fernand Reynaud et le confirme Corinne Lepage.*

Fêtons la gastronomie

Lisez un peu le billet de blogue de Claude-Marie Vadrot sur le site de Politis (blogue-notes en accès libre). Le journaliste, issu de Politique-Hebdo, spécialisé en environnement et agroalimentaire, n’y va pas avec le dos de la louche : « pour que la sauce médiatique de l’illusion gastronomique prenne tous les jours de l’année, il suffit de pimenter en permanence avec de la poudre de “Grands Chefs” autoproclamés. Ces escrocs qui, loin de leurs restaurants étoilés hors de prix, mitonnent des plats industriels, souvent surgelés, assaisonnés d’un faux savoir-faire qu’ils vendent des fortunes. ». Après, l’industriel colle dessus un label quelconque. Ou on vante fort « la tradition du goût ».

Pour Corinne Lepage, ancienne ministre, dissidente de la droite chiraquienne puis sarkozyste, tout cela est voulu, calibré tels des pains de minerai de déchets de viandes chevalines ou autres.

« Il y a un an, au Parlement européen, j’ai voté pour qu’il y ait un étiquetage obligatoire des produits dans les plats cuisinés. Notamment pour la viande. Cette mesure n’a pas été adoptée car les lobbies agro-alimentaires ont fait ce qu’il fallait. Comme d’habitude… Cela dit, nous n’avons pas été soutenus par le gouvernement français non plus ! Il soutenait l’étiquetage obligatoire à partir de 50 % de viande dans les plats. ». Comme pratiquement aucune préparation culinaire industrielle n’atteint cette proportion, le tour était joué. De plus, depuis 2007, les gouvernements Fillon successifs ont tout fait, vraiment tout fait, pour rendre quasi-impossibles les contrôles : près de 700 postes de vétérinaires ou techniciens supprimés, éclatement de la Répression des fraudes dégraissée au maximum.

« S’il n’y a pas eu d’étiquetage, poursuit-elle, c’est parce que la France n’en a pas voulu. ». Mais ça, c’était avant. Et après ? Idem. D’ailleurs l’affaire de la choletaise Colvi, dans laquelle Lur Berri et d’autres groupes sont impliquées, en reste au stade de l’instruction depuis 2008 pour des faits décelés fin 2006, confirmés en 2007 : des viandes avariées, potentiellement dangereuses, avec tromperie sur la marchandise. Le changement, c’est pour après et on surveillera quel lampiste sera désigné à la vindicte administrative chez Spanghero : il ne faut surtout pas, sans doute, chercher à remonter plus haut, et l’administration n’a pas les moyens d’aller contrôler Labeyrie en permanence, et surtout, de recracher publiquement les bas morceaux.

L’Union européenne met en place des règles que des États comme le Royaume-Uni ne veulent pas vraiment voir appliquées : c’est pourtant un contrôle en Ulster qui a tout déclenché. Ce n’est que lorsque Findus, avec retard considérable, s’est inquiété pour son image de marque que les ministres britanniques ont fait semblant de s’alarmer, avant de faire, bien plus tard, semblant de s’indigner.

Cela faisait plus d’un lustre que Spanghero se fournissait chez le transitaire chypriote. Sud-Ouest titre « Lur Berri est éclaboussé ». Mais non, submergé. Avec Arcadie Sud-Ouest, Lur Berri contrôle encore sept abattoirs mais s’en est débarrassé d’autres : mieux vaut importer. En fait, après de lourdes pertes, tout a été tenté pour revenir à l’équilibre. « L’avenir dira si, à force d’aller de l’avant, Lur Berri n’a pas pris le risque d’aller dans le mur, » conclut Bernard Brouslet, de Sud-Ouest.

Soyez sûr que ce ne seront pas les parlementaires du Sud-Ouest ou les ministres passés ou présents qui donneront le coup de pouce. Ce ne peuvent être que les consommateurs, enfin, ceux qui le peuvent (car comment encore cuisiner au gaz ou à l’électricité autre chose que des préparations culinaires à bas prix en raison du coût de l’énergie ? C’est hors de portée de très, de trop nombreux foyers) ou pourront le tenter : fuir TOUTE marque, c’est la seule condition d’une remise en état.

Ce qui a été possible d’une manière antan ou naguère le redeviendra d’une autre façon, ce sera de nouveau calculé pour, sous la pression de groupes qui hantent ministères, couloirs des parlements nationaux, de la Commission européenne. C’est inéluctable.

Les officines de communication vont tout faire pour nous convaincre du contraire. À prix d’or qui se retrouvera en bout de caisse de super et hypermarchés. L’agence chargée de la gestion de crise pour Spanghero, va peut-être conseiller à Lur Berri et Arcardie Sud-Ouest de faire la part du feu. De toute façon, elle assure le service miminum : personne au bout du fil un samedi soir alors qu’une boîte sérieuse (je pense à la gestion de crise de Perrier en Amérique du Nord) était sur la brêche de jour comme de nuit, fins de semaines incluses.

L’actuel scandale remonte en fait à un semestre, mais tout ce qui aurait pu se produire auparavant est oublié, enfoui. Eh bien, à présent RTL révèle qu’une société du Calvados, Chiron ACVF,  que Jan Fasen, de Draap Trading, l’avait fournie voici trois ans et s’était retrouvée dans le circuit de revente de cheval argentin transformé en bœuf halal par un jeu d’écritures.

Barthélémy Aguerre ne sait pas lire un code douanier, mais dans ce milieu, tout se sait, tout se dit, rien n’échappe : hors, Lur Berri, Acardie Sud-Ouest, Spanghero, &c., vont sans doute nous soutenir à présent qu’ils n’avaient rien vu, rien entendu ? Je me souviens d’un trafic de bêtes enlevées ou achetées (avec règlement ultérieur qui ne vint jamais) par des margoulins dans le centre de la France (et au-delà) et revendues en Picardie. Les vendeurs n’étaient jamais réglés. Toute la France des éleveurs ou presque s’était mobilisée et, ne voyant pas la gendarmerie réagir, m’avait localisé les aigrefins : j’ai donc filé depuis Reims, siège du service reportage de L’Union, dans l’Aisne. Comme l’affaire avait eu un retentissement médiatique – enfin ! – les pouvoirs publics ont promptement réagi. L’entreprise française Chiron, qui à deux reprises, avait refusé des lots provenant du trader Jan Fansen (dont pour la dernière affaire, en 2011), de Draap, aurait-elle gardé l’information pour elle ou ne serait-elle pas parvenue aux oreilles de Lur Berri ?

Remettez le couvert, aux deux sens du terme

Sans la réaction de la presse britannique, le scandale actuel en serait-il un ? Elle révèle actuellement que des cantines scolaires étaient livrées en viande de cheval labellisée bœuf. Idem pour des hôpitaux en Irlande du Nord. Au Royaume-Uni, aussi, depuis 2010, les inspecteurs sanitaires, qui n’étaient déjà alors plus que 25, ne sont plus que la moitié, exactement une douzaine, signale The Mirror. La chaîne Tesco avait embauché un ancien de l’autorité sanitaire britannique, la FSA, pour se donner un vernis. Il apparaît qu’il avait auparavant donné toute garantie de complaisance à l’industrie agroalimentaire. Le Royaume-Uni essaye aussi d’empêcher des contrôles ou réglementations plus contraignantes.

À présent, le groupe d’hôtellerie et restauration (et débits de boissons) Whitbread admet avoir écoulé, bien sûr en toute ignorance, de la viande de cheval (enfin, sans doute des résidus javellisés).

Pensez-vous sincèrement que si un enfant de ministre mourait d’intoxication alimentaire, on ne le ferait pas taire s’il voulait s’attaquer, non au lampiste, mais à l’industrie agroalimentaire et à la grande distribution ? 

Au Pays basque espagnol, l’an dernier, plus de 9 000 inspections sanitaires ont été menées (portant sur seulement 14 389 établissements). Comparons donc avec la France… On attend des explications de Bruno Le Maire, l’ancien ministre de l’Agriculture. Il y a bien eu, en Euskadi d’Espagne, chez la plus grande chaîne de distribution, Eroski, un problème détecté avec de la viande de cheval, mais il provenait de l’abattoir basque, et il a été rapidement décelé.

Dans l’affaire de la Comigel et de Findus, la Roumanie avait d’abord été incriminée. Dans celle des hamburgers irlandais de Silvercrest, c’était la Pologne. Pays dont le ministre de l’Agriculture, Stanislas Kalemba, dément cette hypothèse. Il demande à son homologue irlandais de démentir. 

L’Italie estime que les tests doivent être faits dans les pays d’origine des viandes, l’expéditeur, mais l’institut de prophylaxie animale de Turin (Instituto Zooprofillatico di Torino) a procédé à des premiers tests, négatifs. L’Italie a été le seul pays européen à voter contre la recommandation communautaire instaurant des contrôles généralisés mais 150 analyses seront menées dans ce pays. Le ministre italien de l’Agriculture a estimé que la réponse devait être plus « structurelle » et approfondie que les mesures adoptées. Est-ce un hasard ?

Et la formation professionnelle ?

Au fait, B. Aguirre fait part de l’ignorance des codes, et des procédures, par les employés de Spanghero. Et la formation professionnelle ? Eh bien, c’est comme partout : au mieux, on forme les subalternes à respecter les procédures, à ne se poser aucune question, à ne pas réfléchir ni remettre en cause les méthodes de la direction. Pour les cadres dirigeants, c’est autre chose : hôtel de luxe dans îles et magistrats invités pour examiner (une ou deux heures sur douze) comment ne pas franchir la ligne rouge. Tout est payé, et les extras sont en notes de frais (y compris ces dames si elles peuvent facturer sous un intitulé anodin).

L’agence va-t-elle répondre, pour Spanghero et Lur Berri et Arcadie Sud-Ouest sur ce point, en étalant au grand jour toutes les actions de formation, avec le détail pointé soigneusement, de ces dernières années ? Bien sûr que oui : on attend, sans la moindre impatience.

Cela prendra le temps qu’il faudra, mais quant à rogner l’os pour récupérer les déchets pour faire du minerai, on peut prendre vraiment, vraiment, tout son temps.

Ah, au fait : la presse britannique indique que les autorités sanitaires irlandaises ont gardé les informations sous le coude pendant dix semaines. En fait, dès le 30 novembre 2012, tout le monde était censé savoir. Mais surtout, pas question de propager la panique. On a attendu le 15 janvier.
Histoire de laisser tout l’industrie agroalimentaire européenne le temps se « former » à l’idée, et de se réunir, se concerter ?

Et de voir, avec des officines de gestion de crise et d’image, comment se préparer à répondre ?
Un petit problème : la presse française va noyer les poissons de Labeyrie, mais la presse britannique va tout faire remonter à la surface. Et on va reparler d’Arcadie Sud-Ouest. Allez, encore un effort pour faire oublier tout cela. Chez eux, c’est bien simple, tout le monde se gave de Findus, Picard, et autres, et s’extasie : c’est délicieux, et il faut que tout le monde en profite. D’accord, convoquez donc les photographes et vidéastes pour vous voir ingurgiter ce minerai de cheval (et de raclures d’ânes, de mules, de chèvres). Chiche ?