Partout on entend que le plus fort de la crise financière est passé, que la reprise « légère » est pour 2010. A les écouter la crise serait même sur le point de finir. Pourtant, de nombreuses voix dissidentes se font entendre et l’avenir ne paraît malheureusement pas si rose !

Bien que l’impact de cette crise se fasse ressentir de manière différente entre les pays du Nord et les Pays en Développement (PED), chacun est touché de plein fouet et comme d’habitude au final, c’est le peuple qui paiera. Socialiser les pertes et privatiser le profit a été et reste le leitmotiv de nos dirigeants capitalistes. Les différents plans de relance sont plus un cadeau fait aux amis banquiers et assureurs privés qu’une stratégie visant à sortir d’un modèle de développement productiviste capitaliste qui spécule à tout va. La victoire est double à court terme : les arnaqueurs sont sauvés et récompensés tandis que la machine capitaliste est relancé. Mais la victoire est bien plus importante à moyen et long terme. Car l’énorme coût de ces plans de relances, qui atteignent 2 300 Mds de dollars aux Etats-Unis et dans la zone Euro, va peser sur les finances publiques en augmentant de manière importante les dépenses de l’Etat, donc des contribuables. Pour en finir avec la crise, il faut une décision radicale : en finir avec le capitalisme !

Qu’est ce que la dette publique ?

  

Il faut tout d’abord distinguer la dette intérieure et la dette extérieure.

 

La dette intérieure est composée de toutes les dettes des publics – Etat, collectivités locales, organismes publics – ou des dettes privées garantis par l’Etat.

 

La dette extérieure résulte d’un prêt conclu avec un créancier se trouvant à l’extérieur du pays. Elle se décompose en 3 parties : la part multilatérale lorsque la dette est due aux Institutions Financières Internationales (IFI), la part bilatérale due aux autres Etats, et la part privée.

  L’augmentation de la dette publique comme outil du capitalisme 

Pour aborder cette question, il faut tout de suite sortir de la propagande actuellement utilisée qui consiste à faire croire que les pays riches « aident » les pays pauvres (ou les pauvres tout simplement d’ailleurs) soit avec l’aide publique au développement (APD) soit avec des partenariats privilégiés ou des prêts …

 

En effet, c’est l’inverse qui se produit. Ce sont habitants du Sud qui « aident » les créanciers du Nord grâce à l’APD, les partenariats privilégiés ou la dette issue des prêts.

 

La dette publique extérieure est un puissant outil néocolonial de domination des pays du Nord sur les PED. Revenons brièvement sur l’évolution de la dette extérieure des PED depuis les indépendances.

 

  • Une dette à la fois illégitime et odieuse !

 

Au sortir de la 2nde Guerre Mondiale, deux Institutions d’une grande importance voient le jour : le Fond Monétaire International (FMI), et la Banque Mondiale (BM). Ce que l’on appelle les IFI.

 

Maintenant remettons nous dans le contexte de ces années. L’Europe est dévastée sur le plan humain et matériel. Deux grandes puissances (les Etats-Unis et l’URSS) s’imposent au plan international. Les EU gagneront l’Europe de l’Ouest dans cette bataille tandis que l’URSS se gardera l’Europe de l’Est. Ce qu’il reste, très vite appelé Tiers Monde par Sauvy en 1955 constituera le champ d’affrontement des deux grandes puissances. Celui-ci, pillé et spolié depuis déjà cinq siècles par la folie Occidentale ne tarde pas à rentrer en confrontation avec les colons impérialistes, à qui ils opposent leur désir d’indépendance. Le premier coup de maître des impérialistes Occidentaux fut alors de faire croire à un phénomène que l’on qualifia égaiement de « décolonisation ». Tout en gardant le pouvoir, l’influence et la main mise sur les différents pays rebelles on se contenta de remplacer la couleur des maîtres que l’on appellera maintenant gouvernement. Les colons avaient « développé » les colonies selon une vision qui voulait maximiser les profits, au détriment d’une bonne logique. Ainsi, seuls des routes reliant les mines aux ports pour en faciliter l’exportation vers la métropole étaient jugés intéressantes. Des écoles ou des hôpitaux pour garantir les droits humains ne faisaient pas partie de la logique de développement (et ne le fait malheureusement toujours pas …).

Pourtant, lors de l’accession à l’indépendance des anciennes colonies, les dettes contractées pendant la colonisation ont été transféré de manière totalement illégale à la charge des nouveaux gouvernements. Là fut le deuxième coup des maîtres des colons ! Imaginez les Zairois (habitant de la République Démocratique du Congo actuelle) qui paient pour continuer les travaux du palais de Léopold II, Roi de Belgique !

 

Le Tiers Monde mis sous tutelle pendant la colonisation fut ensuite maintenue dans cette dépendance par l’intermédiaire du mécanisme de la dette ou de l’aide publique au développement. Plusieurs hauts dirigeants africains qui voulaient un développement autonome et favorable à leur population ont été assassinés sur ordre de Paris, de Bruxelles, de Londres ou de Washington (Patrice Lumumba en 1961, Sylvanus Olympio en 1963, Thomas Sankara en 1987, Allende en 1973…). Les potentats mis au pouvoir (Mobutu, Bongo, Eyadema, Pinochet, Suharto, Amin Dada, Bokassa, Biya, Sassou Nguesso, Idriss Déby…) n’eurent que deux mots d’ordres : endettez vous ! Et ils l’ont fait !

 

  • Endettez vous !

 « Dans de nombreux cas, les prêts étaient destinés à corrompre les gouvernements pendant la guerre froide. Le problème n’était pas alors de savoir si l’argent favorisait le bien être du pays, mais s’il conduisait à une situation stable, étant donné les réalités géopolitiques mondiales »

Joseph E. Stiglitz, L’autre mondialisation, Arte, 7 mars 2005

 

Les banques privées des pays du Nord ont joué un rôle majeur dans l’évolution de la dette externe entre 1960 et 1970. Le marché Européen fût inondé de dollars suite à Plan Marshall. Les banques privées vont alors profiter de ces « eurodollars » pour les prêter à des conditions avantageuses pour le développement des pays du Sud. La corruption des dirigeants aidant,  ces capitaux se retrouvaient instantanément sur les comptes des dictateurs dans les mêmes banques occidentales qui avaient fait le prêt ! La part privée de la dette externe, proche de zéro en 1960 atteint 36 Mds de dollars en 1970 et 380 Mds en 1980.

  

L’autre acteur est la Banque Mondiale, et notamment depuis l’arrivée de McNamara en 1968. De cette date à 1973, il accorda plus de prêts que pendant les 23 années d’existence de la BM[1]. Les données géopolitiques constituent donc la grille de lecture pour l’endettement des PED. Elle a favorisé des dictatures partout ou les intérêts géostratégiques des USA étaient « concernés », c’est-à-dire partout ! De Pinochet au Chili à Suharto en Indonésie l’objectif de la BM est le même : soutenir des dictatures et empêcher le développement autonome des PED.

 

  • La crise de la dette de 1982

 

Le choc pétrolier de 1973 marqua la fin des Trente Glorieuses pour l’Occident. Face à ce phénomène, les gouvernements du Nord souhaitèrent ouvrir les marchés du Sud à leurs produits et exportations, afin de les inciter à acheter des produits du Nord. D’où les prêts sous forme de crédits d’exportations. Les PED ont été poussé à s’endetter depuis les années 1960 et toujours plus depuis 1970. Les taux d’intérêts de l’époque étaient alors faibles voir négatifs. Il était donc intéressant de s’endetter. Mais comme toujours, le Nord détient le pouvoir. Suite à un virage ultralibéral opéré dans les années 1980 avec le tandem Reagan-Tatcher, le néocolonialisme pris une nouvelle tournure.

 

La hausse unilatérale des taux d’intérêts de la FED et la chute du prix des matières premières  eurent un impact dramatique sur les PED, ce qui les amena directement à la crise de la dette de 1982. En 1970, les taux d’intérêts étaient de l’ordre de 4 à 5% tandis qu’ils sont passés à 16-18% au plus fort de la crise. Du jour au lendemain, les pays du Sud ont ainsi du rembourser trois fois plus d’intérêts alors même que leurs revenus d’exportation étaient en chute libre.

 

  • Le FMI rentre en action

 

L’Amérique du Sud qui fut le premier laboratoire du néolibéralisme sera le premier continent touché. Les autres ne tardent pas à suivre et les PED sont alors contraints de s’abandonner au Fond Monétaire International qui « aide » les pays lorsqu’ils affrontent des crises. Mais celui-ci a le même objectif : l’exploitation des pays pauvres pour le développement des pays riches.

Et pour ce faire le FMI dispose d’une arme ultime : les Plans d’Ajustements Structurels (PAS) remaquillés il y a peu en Document de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté (DSRP) dont l’appellation néolibérale est moins marquée.

 

Des années 1980 aux années actuelles, les PAS appliquent toujours la même recette : libéralisation du marché des capitaux, privatisations en masse, réduction des dépenses publiques, modèle économique basé sur les monocultures et les exportations, réduction des protections douanières et arrêt des subventions publiques concernant certains produits de première nécessité (riz, blé, gaz …). La spirale infernale de l’endettement continue et l’effet boule de neige assure son rôle.

       

  • De la dette extérieure à la dette intérieure

 « La prétendue baisse de la dette externe s’est en fait accompagnée d’une forte augmentation

de la dette interne pilotée par les IFI dont le secteur privé sort grand gagnant »

Damien Millet et Eric Toussaint, 60 Questions, 60 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque Mondiale.   Nous avons vu que les gouvernements des PED doivent payés toujours plus pour rembourser les dettes. Depuis plusieurs décennies, les montants à rembourser sont tellement énormes que les PED sont obligés d’emprunter à nouveau pour rembourser. C’est l’effet boule de neige. Le milieu des années 1990 marque un tournant pour l’endettement public des PED. La méfiance qui entoure les Institutions Financières Internationales (IFI) et la grande opération de déréglementation financière qui toucha la planète permis un transfert de la dette externe vers la dette interne. La dette publique interne de l’ensemble des PED est ainsi passée de 1300 milliards de dollars en 1997 à 3500 milliards de dollars en septembre 2005[2] . L’application du Consensus de Washington a amené les gouvernements des PED à renoncer aux contrôles des changes et des mouvements de capitaux. Les banques privées ont pris toujours plus de risque alors que parallèlement, les capitaux sortaient en masse des PED. Cela amena directement a la vague de crises financières qui touchèrent notamment l’Amérique Latine et le Sud Est asiatique dans les années 1994-2002.  

  • Les populations des PED financent les pays riches : une dette illégitime ! 

 « Le service de la dette est le signe visible d’une allégance » Jean Ziegler, L’empire de la honte 

En 1970, le stock total de la dette extérieure des PED était de 70 milliards de dollars. Il a presque été multiplié par 8 en 10 ans atteignant 540 Mds $ en 1980. En 2007, il est de 3 360 Mds de dollars. Entre 1970 et 2007, la dette extérieure totale des PED a été multiplié par 48.

Et entre temps, les PED ont bien sur presque toujours remboursé ces dettes. Ainsi, par l’intermédiaire du service de la dette, les PED consacrent chaque année une part importante de leur budget au remboursement de la dette. Ce montant est de 520 Mds de dollars juste pour l’année 2007. Et lorsque l’on se penche sur une longue période, le résultat est tout simplement scandaleux. Le total des remboursements entre 1970 et 2007 atteint la somme pharaonique de 7 150 Mds de dollars.

 Entre 1970 et 2007, la dette extérieure totale des PED a été multiplié par 48. Entre temps, ils ont remboursé l’équivalent de 102 fois ce qu’ils devaient en 1970 ![3]Le service de la dette publique totale (interne et externe) dépasse la somme astronomique de 800 Mds de dollars remboursés chaque année par les pouvoirs publics des PED.[4]    

En résumé, la dette externe et interne publique est un puissant outil de domination néocolonial qui ponctionne les richesses des PED. Au travers de la Banque Mondiale, du FMI, du Club de Paris ou autres, les grands argentiers du Nord imposent un modèle de développement qui plonge les habitants des PED dans une misère et une pauvreté grandissante. Les richesses n’ont jamais été concentré dans un nombre de main si petit. Les fanatiques du capitalisme et du libre marché ne laissent pas de place à la contestation et aux alternatives. Ce modèle est le plus grand danger du XXIème siècle, et notre avenir dépendra de notre capacité à radicaliser les luttes.

 Capitaliste à quel prix ? 

Ainsi, avec la crise financière débutée en 2008, les gouvernements du Nord ont massivement injecté de l’argent public pour sauver les banques et les assurances privées. Tout comme les crises financières des années 1990-2000 ont permis au FMI de faire appliquer des PAS ou DSRP aux pays touchés, il en va de même en ce moment. Les pays Baltes (Lettonie, Lituanie …) ou d’Europe de l’Est (Ukraine) sont sacrifiés au FMI. Et il en ira de même pour les pays de l’Europe Occidentale ou même des Etats-Unis. Ils ne seront évidemment pas sous le contrôle du FMI (puisque ce sont eux qui le contrôlent) mais la situation de crise leur permettra de couper drastiquement dans les dépenses publiques. Car il est certain que l’augmentation stupide de la dette interne (qui est la conséquence des sauvetages sans contrepartie) va intensifier le poids du remboursement de la dette, donc du service de la dette. Pour l’année 2009, c’est le deuxième poste budgétaire de l’Etat Français juste derrière l’Education Nationale[5]. Mais qu’en sera-t-il en 2011 ou 2012 ?

 

Regardons la dette publique de l’Etat Français. Elle n’est pas le fruit d’un investissement matériel. Elle enfle chaque année pour combler le déficit public. On emprunte donc pour rembourser et non pas pour développer ! Mais quelle est la cause du déficit ? Cela peut être soit une baisse des dépenses, soit une baisse des recettes. Dans le cas Français, c’est la deuxième qu’il faut prendre en compte. Le déficit ne résulte non pas de dépenses qualifiées d’excessives par le Président Sarkozy mais plutôt des différents allégements fiscaux fait discrètement au fil du temps au bénéfice des plus riches.

 

Heureusement, la protection sociale est plus ou moins efficace en France. C’est ce qui a d’ailleurs atténué les effets de la crise. Pourtant, on nous bassine tout les jours d’une propagande visant à faire croire que l’Etat est trop présent dans l’économie, qu’il dépense trop. Que s’il est normal qu’il intervienne en temps de crise, une fois la tempête passée, les libres forces du marché doivent reprendre le dessus. Le libre échange est la règle et l’interventionnisme l’exception. Apprécions ainsi les déclarations suivantes provenant de l’OCDE et du FMI :

 « Pour aider les personnes en difficulté, certains pays ont étendu la durée et les niveaux de la protection sociale. Si une telle action est compréhensible dans les circonstances actuelles, ces mesures devront être réduites lorsque l’activité se sera redressée » OCDE  « Les mesures prises pour soutenir la réduction de la durée de travail et l’augmentation des avantages sociaux – aussi importantes qu’elles soient pour accroître les revenus et maintenir la main d’œuvre sur le marché du travail – devraient être intrinsèquement réversibles » FMI 

Le discours qui consiste à faire croire que la dette est « un fardeau pour les générations futures » est un argument imparable pour les néolibéraux. Mais il s’avère réducteur, car elle pèse sur la génération actuelle qui rembourse tout les jours cette dette par l’intermédiaire du service de la dette.

 A l'heure actuelle, 1.2 milliards de personnes dans le monde  souffrent de la faim[6]. Des millions d’autres sont touchées par différentes maladies curables. Ainsi, 2 à 3 millions de personnes décèdent chaque année du paludisme (principalement en Afrique Subsaharienne)[7]. Selon Médecin Sans Frontières, seul 0,2% du budget global de la recherche pharmaceutique, qui oscille entre 50 et 60 milliards de dollars, est consacré aux maladies respiratoires aiguës, tuberculose et maladies diarrhéiques, responsables de 18% des décès dans le monde . » Les conditions sanitaires sont éprouvantes, les hôpitaux ou centres de soins quasi inexistants dans certains endroits. Actuellement, 1 être humain sur 5 n’a pas accès à l’eau potable, et 1 sur 3 n’a pas accès à l’électricité. Une personne sur 3 vit avec moins de 2$ par jour selon la BM. Pourtant, il n’y a jamais eu autant d’argent !  

Il existe une solution pour sortir de la crise, sortir du capitalisme !

 


[1] 6O Questions 60 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque Mondiale, Eric Toussaint, CADTM Syllepse, p63.

[2] World Bank, Global Development Finance 2006, p. 44.

[3] Les chiffres de la dette 2009, CADTM, www.cadtm.org

[4] 60 Questions 60 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque Mondiale, D.M et E.T

[5] Voir loi de finance 2009.

[6] http://www.fao.org/news/story/fr/item/20690/icode
[7] http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/medecine/d/plus-de-deux-milliards-de-victimes-du-paludisme_14774/