Après de Gaulle, Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement reprend l’antienne que le régime de Vichy n’était pas la France. Argument recevable, mais qui implique une réciproque : le régime nazi n’était pas l’Allemagne. Les Forces françaises libres (de l’intérieur, FFI, ou FAFL, FNFL et forces terrestres de la France libre) se sont retrouvées dans le camp des vainqueurs, et prises pour la règle, tandis que la résistance allemande est passée pour l’exception… Voilà une argumentation que devrait aussi développer Henri Guaino.
La France de la Libération, n’était-ce point quelques réfugiés allemands ayant échappé aux rafles du régime de Pétain et les républicains espagnols de la 2e DB, qui en formaient le gros du contingent ayant libéré Paris ?
C’était certes aussi des policiers et des gendarmes – peu nombreux, mais significatifs – qui avaient prévenu des Juifs de l’imminence de la rafle du Vel d’Hiv.
Mais refaire une France unanime pour condamner l’Occupation et la collaboration, c’est une fiction commode.
Ainsi, les États-Unis de Joseph McCarthy ou de G. W. Bush (ancien président réélu) ne seraient pas les États-Unis ?
Le Watergate de Nixon ne serait, comme le Woerthgate, qu’un impair malencontreux ?
A-t-on vu en France, comme en Bulgarie, des milliers de manifestants rassemblés devant le palais du tsar Boris III pour exiger que cesse la déportation des Juifs et un vice-président du Parlement biaiser avec l’occupant en réclamant que les Bulgares juifs (et sans doute d’autres Juifs) soient assignés en Bulgarie à des travaux d’intérêt général ?
A-t-on vu en France, comme au Danemark, les propriétaires de bateaux faire passer massivement des Juifs à l’étranger et ne laisser à l’occupant que 450 personnes, ravitaillées par colis du gouvernement dans le camp exigé par les nazis ?
A-t-on vu en France, comme aux Pays-Bas, des grèves s’opposer à la déportation des Juifs ? Par la suite, certes, la police et un bataillon SS hollandais seront mobilisés, en 1942 et 1943 pour faciliter leur extermination, mais les Néerlandais, y compris dans les sphères du pouvoir, furent quand même plus nombreux que les Français à tenter de se mobiliser pour freiner le rythme de l’Holocauste.
Comparaison n’est pas raison. Refus de comparer est déraison.
La participation active à l’éradication des Juifs, Francs-Maçons, Tziganes et autres personnes destinées aux camps de la mort fut davantage la règle en France, Hongrie, Roumanie ou Pologne, que l’exception.
Mais au moins, en Roumanie, les Juifs seront-ils rackettés et incités à partir en Palestine. Le débat, en Roumanie, est similaire à celui qui persiste en France. Pour certains, c’est une parenthèse, pour d’autres cela reste constitutif de l’identité nationale, et d’autres encore développent une voie médiane plutôt sinueuse et incertaine.
Tout comme l’Italie, la Roumanie s’est retournée contre les nazis. Mais le sort réservé aux Roumains par les Alliés différa de celui réservé aux Italiens. La Turquie, qui tourna casaque deux mois avant la fin du régime nazi et la défaite allemande, sera beaucoup mieux traitée.
Croit-on aussi que la Résistance française n’était composée que de personnes sans la moindre idéologie antisémite ? La plupart, au fil des mois, de par la révélation des persécutions et la fraternité d’armes (notamment lorsque les Juifs d’Afrique du Nord rejoignent les FFL), renieront leurs opinions initiales (voire désavoueront leurs actes antérieurs).
Dédouanement dangereux
Je ne veux pas douter de l’intégrité de Jean-Pierre Chevènement, dont les évolutions – de l’extrême-gauche autogestionnaire à un centre-gauche souverainiste – plaident pourtant pour le sentiment que parfois, pour lui, la fin justifie les moyens.
C’est sans restriction que je considère, jusqu’à nouvel ordre, qu’il ne vise absolument pas à dédouaner un antisémitisme « bénin ». D’une part parce que sa vie et ses actes montrent que la xénophobie ne l’anime aucunement. D’autre part car ses actuels propos ne prêtent aucunement à une telle interprétation.
Reconnaître que l’antisémitisme (qui peut se mâtiner de philosémitisme, notamment à l’égard des sémites de lignées arabes) est partie intégrante d’une part de l’identité nationale française (notion floue s’il en est, notamment du fait des « régionalismes »), c’est faire preuve de lucidité.
La France est, sera, comme en d’autres nations, ce que les Françaises et Français en font, en feront. Mais pour avoir « une conscience claire de son histoire », il convient peut-être de ne pas chercher à la magnifier.
Que le régime pétainiste n’est pas été la République, soit. Les deux empires napoléoniens non plus.
Deux parenthèses ? Certes, jusqu’à nouvel ordre…
La question outrepasse largement la prégnance de diverses communautés juives (beaucoup plus visibles que la masse des Juifs français, qui le restent culturellement ou superficiellement) dans le jeu politique ou l’imaginaire de nombre des Français et Françaises se définissant tel·le·s.
Va-t-on aussi nous soutenir que la France en Algérie, c’était uniquement Albert Camus ? Puis, du fait qu’il existait un Camus, le même serait aujourd’hui enclin à penser que « trop, c’est trop », et que, fondamentalement, soutenir progressivement que certains sont « inassimilables » ne relève pas de la xénophobie et devient acceptable ?
Sens de l’État ?
Vouloir faire de la France un pays (comme s’il avait d’ailleurs été immuable) qui n’aurait pas été antisémite, notamment sous l’Occupation (et antérieurement, donc…), cela revient à en faire un pays n’ayant jamais toléré la prostitution. À d’autres…
Ne faisons pas de l’histoire de la France ce que Marthe Richard, née Bétenfeld, ancienne prostituée, affabulatrice notoire, fit de la sienne. En 1945, elle promeut la fermeture des maisons closes. En 1951, elle se prononce pour leur réouverture. Bah, elle aura au moins fait parler d’elle deux fois sur le sujet.
Là, on entend Henri Guaino, né en 1957, déclarer crânement que « sa » France n’était pas à Vichy, mais à Londres, ou dans les maquis. Comme lui-même et sa mère ? Aussi à la chute du mur de Berlin et à Fukushima ? La vérité historique reste sans doute ce que l’historiographie en fait.
Eh bien, pour le temps que cela pourra durer, autant dénoncer la xénophobie de manière à, possiblement, mieux la combattre. C’est le pari de Jacques Chirac et François Hollande. Le négationnisme en est un autre ?
Pour aller plus loin, on peut lire Itinéraire d’un salaud ordinaire (Gallimard) de Didier Dæninckx et l’entretien de ce dernier avec Bastien Bonnefous (sur Polar Blog). Dæninckx souligne : « j’ai voulu (…) insister sur l’antisémitisme ordinaire, pas forcément meurtrier, qu’on entend un peu partout, comme aujourd’hui les réflexes anti-arabes ou anti-chinois. Ces petites choses qu’on laisse s’installer sans vraiment en avoir conscience et qui peu à peu font système. ».
Le mythe de la France de Londres et des maquis a mieux fait système, non sans quelques solides raisons. Mais les risques de dévoiement existent aussi. Avec indulgence, on voudra bien considérer que Chevènement et Guaino aient pu penser que l’écorner revenait à le saper. Ce qui n’est nullement certain. C’est en tout cas plus convenable que d’imaginer qu’ils ne se soient prononcés que pour faire parler d’eux-mêmes, sans en mesurer les éventuelles conséquences.
Peut-être sont-ils aussi guidés par leur propre sens de l’État. Chevènement, ministre par deux fois démissionnaire, par sens de l’État, avait critiqué la faute « involontaire » de Jacques Chirac de faire reconnaître par la République « une certaine légitimité à Vichy » (Libération, 7 août 1995). Il craint qu’il soit ainsi contribué à « dédouaner l’esprit vichyssois ». Cela se tient, car il entend ainsi « conjurer les renoncements dont l’avenir est gros. ». On comprend donc mieux qu’il se soit prononcé de nouveau pour renforcer son argumentation.
Mais l’incantation d’un Guaino, « Papon bénin » du sarkozysme, ne semble guère de même nature. Il s’agit surtout de draper la « droite forte » dans les plis du drapeau tricolore. Pétain l’avait déjà fait aux Françaises et aux Français. Là, il s’agit de se distinguer du Front national. Assez bien joué, mais dérisoire…
[b]Qui était précisément les ministres du gouvernement à cette époque ?[/b]
[b]Très bon article, très bien expliqué, comme d’habitude si l’on peut dire, sourires. Juste une petite précision à savoir que j’aimerais saluer le courages des policiers de Nancy lors de la Rafle avortée qui devait se tenir là bas quelques jours après la Rafle ayant conduit au Vel d’Hiv (notamment), et qui faisait partie de l’opération Nazi, « Vent Printanier ». 😉
Amitiés Jeff
Tom[/b]
Lorsque je lis les âneries de MM. GUAINO et CHEVENEMENT en réaction au discours de François Hollande pour le 70ème anniversaire de la rafle du VEL d’HIV, je m’interroge….
J’ai un frère qui est né en 1941, un autre en 1943.
[b]
Mes frères ne seraient-ils donc pas Français, puisque déclarés à l’état-civil du régime de Vichy ????[/b]
J’ai comme l’impression que les sieurs Guaino et Chevènement étaient juste en mal de faire parler d’eux….
jf.
« courage des policiers de Nancy » catholiques?
« Il est important de comprendre que le fascisme et le nazisme étaient des dictatures socialistes. » Ludwig Von Mises
On a une autre vision des choses … http://ragemag.fr/vel-dhiv-sucer-les-memoires-cest-tromper/
Merci de vos appréciations.
Pour Zélectron : il faut peut-être distinguer une dictature « socialiste » dont les dirigeants finissent par accaparer les richesses à la manière des capitalistes d’une (très rare) autre.
Ce furent surtout d’ailleurs au départ des mouvements prônant un socialisme en trompe-l’œil.
Mais on toujours des idéologues de droite ou de gauche pour considérer que tout ce qu’ils décident est bon et tout ce qui vient de l’autre bord est mauvais.
Pour Jacques : j’opère un distinguo entre ce que répète Chevènement (c’est très logique qu’il dise que, depuis 1995, il n’a pas varié, et que ce soit un PS ou un autre au pouvoir, cela ne change rien pour lui) et ce que déclare tout à coup Guaino dont je ne me souviens plus trop des déclarations antérieures en 1995.
[b]@Jef
bien d’accord avec toi,
« un socialisme en trompe-l’œil » il en est de dangereux, d’autres d’irresponsables et encore le meilleur: le socialisme en soi est un trompe l’œil (surtout celui qui est sans limites)
ps Je me garderais bien de louer le capitalisme sans limites qui en soi est une abomination.[/b]
[quote][i][b]Mes frères ne seraient-ils donc pas Français, puisque déclarés à l’état-civil du régime de Vichy ????[/b][/i][/quote]
Pour rappels, [b]Jacques[/b], le [b]Régime de Vichy n’a jamais existé[/b] ! Pour vous en convaincre, je vous invite à lire ceci : [b][i]Pourquoi toujours cacher l’histoire derrière la Géographie ?[/i] [ [url]http://blogs.mediapart.fr/blog/dominique-dutilloy/311210/pourquoi-toujours-cacher-lhistoire-derriere-la-geographie[/url] ][/b]
Merci M. [b]Dutilloy[/b] de ces précisions.
Mais c’est tout de même un peu à coté de ma question.
Je pense que tout le monde a compris le sens de celle-ci….
jf.
[quote][i][b]… Mais c’est tout de même un peu à coté de ma question…[/b][/i][/quote]
Justement, [b]Jacques[/b], c’est bien à côté de la question… En effet, Vichy, qui est une ville, est en France, et, de ce fait, la France est à Vichy !
Partant de ce constat, il est indéniable que vos frères auraient très bien pu naître à Vichy… Et, en toute logique, ils auraient été déclarés à l’Etat Civil de la Mairie de Vichy !
Donc, il aurait été beaucoup plus juste pour la vérité historique que vous écriviez ceci :
[quote][quote][quote][i][b]Mes frères ne seraient-ils donc pas Français, puisque déclarés à l’état-civil du régime de l’Etat Français ????[/b][/i][/quote][/quote][/quote]
[quote][i][b]… Je pense que tout le monde a compris le sens de celle-ci…[/b][/i][/quote]
Justement… La France, à cette époque, était dirigée par un régime celui de l’Etat Français voulu par le Maréchal Pétain et par Pierre Laval, ledit Etat étant installé à Vichy : le régime de la IIIème République ayant été aboli, ce régime était administrativement, constitutionnellement, institutionnellement reconnu par certaines forces politiques et par certains pays étrangers !
Le Régime de l’Etat Français n’existe pas ! Il y eut la Constituante, puis la IVème République ; il y a la Vè République…. Mais, la France persiste et signe, puisqu’elle existe toujours : donc, vos frères sont toujours Français et les Vichyssois sont toujours Français !