Sur C4N (Come4News, le réseau social des reporters citoyens), l'initiative de Manuel Valls préfigure, pour certains, l'instauration d'un bipartisme à l'anglo-saxonne permettant de préserver, quoiqu'il arrive, les intérêts fondamentaux de la sphère industrialo-financière. Bien évidemment, Manuel Valls assure le contraire, sans bien sûr évoquer la question. Mais tant le choix du support que la teneur de ses propos dans The Financial Times valent appel à financement de futures campagnes électorales.


Il a un nom de pastille pharmaceutique, genre mentholé, à rendre les dents blanches. Comme celles de Jean Lecanuet, auteur de La Passion du centre, candidat dit «atlantiste » (et pro-européen) contre De Gaulle à la présidentielle. De Lecanuet, il possède la prestance. Et il rassure autant qu’un Alain Poher, ancien président du Sénat, candidat centriste contre Georges Pompidou en 1969, lors d’une campagne dont le dirigeant communiste Jacques Duclos dira qu’elle opposait « blanc bonnet [et] bonnet blanc ». Pour un peu, Valls, pavé dans les bains des éléphants (mais soutenu par Lang avide d’arrosage pour « l’arbre sec » du PS), nous jurerait qu’il relèvera le défi financier américain. Tel un Jean-Jacques Servan-Schriber, auteur du Défi américain (co-fondateur de l’Express, président du Parti Radical puis rallié à Valéry Giscard), Valls est du genre à nous sortir des « le défi américain n'est pas essentiellement d'ordre industriel ou financier. Il met en cause, avant tout, notre fécondité intellectuelle… ». Remplacez « américain » par « sarközyste » et vous aurez l’essentiel de la pensée Vallseuse, qui est surtout vaseuse et empilage de lieux communs. Il y avait Vicks, l’inhalateur, qui chassait le rhume. Voici Valls, la pilule qui redore le blason de la démocratie sociale et qui, en plaquette, chasse les mites de l’oripeau socialiste. Et les mythes aussi, car il est à double action. Valls, le coup de l’haleine fraîche. Est-ce bien sûr ?

 

D’où nous parle Valls ? Bernard Henri Levy, dit le BHV de la pensée prête à porter, avait choisi un titre Lagardère, Le Journal du dimanche, pour appuyer l’offensive de scission du Parti dit socialiste. Pour Valls, c’est donc The Financial Times. C’est en rubrique Opinion. Choix de Valls, sollicitation du FT, ou sollicitude d’une tierce partie ? Peu importe. Ce qui est significatif, c’est ce qu’il annonce, et que la presse française semble avoir – est-ce un hasard ? – négligé. La critique essentielle qu’il adresse au sarközyste n’est pas d’avoir réduit l’imposition (en fait, on n’aura jamais autant créé de nouvelles taxes pour tenter de compenser la baisse des retours d’impôts directs). Mais c’est bel et bien d’avoir failli d’ouvrir la porte à la mondialisation, d’avoir manqué cet  « opening up [of] an economic system that is biased in favour of insiders ». Plus sarkö-libéral que Sarközy, voici Valls. Si je comprends bien, le système n’est pas assez ouvert et profite trop aux Lagardère, Bolloré, Bouygues, Areva, Arnault SAS ou Printemps-Pinault-Redoute selon les cas. Et pas assez aux Wall Mart, Goldman Sachs, Boeing et consorts. Pourtant, que l’on sache, le sarközysme n’a pas trop nuit aux néoconservateurs étasuniens et à la famille Bush avec Olivier Sarközy à la tête du groupe financier et immobilier Carlyle Group, que l’on sache…

 

Le reste est platitudes convenues. Sa contribution aligne les appels à profiter des opportunités d’affaires que la crise ne peut manquer de susciter (« the positive implications of current developments »), et qui bien sûr protégeraient les plus faibles puisque la globalisation pourrait, c’est donc bien sûr, bon sang, « create new opportunities for those who are losing out ». C’est du Jean-Marie Boeckel passant de l’autogestion ouvrière à l’autorégulation des marchés aidés par quelques judicieux coups de pouce. Valls n’a peut-être pas la main verte, mais il a le pouce doré pour que les gagne-petits d’hier et de toujours et les perdants d’à présent gagnent un peu mieux demain, demain, demain…

 

On a compris. Le message est « ne rêvons plus » et « back to basics », mais avec des accommodements. Ironiquement, lorsqu’on consulte la prose vallsienne (à deux temps : libre concurrence et imagination à la JJSS avec retour de la confiance à la Lecanuet), c’est un sondage sur les garde-temps de luxe qui apparaît en premier plan (notre capture d’écran).

 

Valls, Lang, Allègre, Dray, cela fait VLAD, comme l’empaleur. Du sarközysme ? Que nenni. La manœuvre paraît pour ce quelle est. Une sorte de tentative de créer une opposition responsable, respectable, mais moderne et innovante, forcément, et faisant le pendant de l’UMP, et qui, dans un dialogue aussi convenu qu’avancé (quant à l’élévation des idées), si ce n’est convenu d’avance, apporterait le complément d’agitation médiatique à la méthode présidentielle. Que Valls se déclare candidat pour 2012 ne doit pas faire illusion. Certes, si Sarközy était par trop usé le moment venu, il conviendra de financer aussi la campagne de la roue de secours des fameux intérêts plus « ouverts » que Valls appelle à la rescousse. Valls n’a aucun espoir de faire financer sa campagne par un nouveau parti, même s’il était conforté par des cotisations à un euro provenant de jeunes séduits par sa posture médiatique.

 

Comment habiller le bébé et le vendre à l’opinion ? Voulant créer un centre-droit au jasmin (la rose à fait son temps, l’œillet portugais remémore de vilains souvenirs, et le jaune irait si bien), fleurant bon la réussite pour tous, Valls ne peut l’appeler le Parti des Petits Possédants (espérant l’être moins et se payer avant cinquante ans la tocante de la réussite qui sied si bien à Dray et Ségala). Après Sarközy, tout ce qui est centre-droit peut paraître à la gauche d’un Parti radical à la Borloo-Tapie. Cela devrait éviter à Valls d’entendre trop de mots qui fâchent, sinon le la part d’une « ultra-gauche » se sachant instrumentalisée.

 

Là où les sensibilités et la misère devenue criante favoriseront localement les radicaux-socialistes que sont devenus les notables du Parti socialiste, cet ancien PS se maintiendra dans ses fiefs, régions, cantons, municipalités. Là où la crise sera moins mal ressentie, le nouveau PV (Parti de Valls) se dressera, l’emportera ou non, se verra offrir quelques lots de consolation  par l’UMP, à charge de revanche dans d’autres circonscriptions. Si, en 2012, Sarközy l’emporte, il aura une opposition à sa convenance. S’il devait avoir trop déplu, on lui ménagerait ainsi une porte de sortie convenable, et les perdants ne seraient pas trop étripés : quelques bonnes triangulaires leurs conserveraient des bases arrières.

 

C’est bien joué, bien ficelé, et cela épargne un redécoupage électoral un peu trop outrancièrement voyant. Billancourt étant mort et enterré ou transféré dans les pays d’Europe centrale (en attendant de migrer plus loin), il convenait de ne pas laisser désespérer la fille et le fils Dugommier cantonnés depuis de si longues années dans des petits boulots. Voici un « aîné » pas trop loin de leur âge, aussi médiatique de dynamique. Avec de vieilles recettes, on fait du neuf, du Lecanuet nouveau, du JJSS (Servan-Schreiber) ripoliné de frais. C’est aussi creux, convenu, « téléphoné », si ce n’est dicté, qu’auparavant. On nous refait « Monsieur X » (un Gaston Defferre, notable marseillais, patron de presse, grand employeur d’électeurs, annoncé par JJSS tel un Ange bleu masqué sur le ring électoral présidentiel). Mais cette fois, à visage découvert. C’est plus « transparent ». En effet, on en voit bien la trame, soigneusement ourdie.

 

Valls, ce n’est pas la pilule à faire maigrir la majorité présidentielle, c’est son complément annoncé « vitaminé ». L’important, en Sarközye, n’est pas d’être cru, mais de faire crédible, d’être véritable, mais d’avoir l’odeur, le goût du vraisemblable. L’effeverscent Valls est tout indiqué, vu à la télé, plébiscité par la presse, et recommandé par votre parapharmacien de proximité… Et n’oubliez pas que la crise pourrait vous offrir l’opportunité de décrocher un emploi-jeune ou un poste de fonctionnaire municipal à Évry !

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P.-S. –  Soyons clair, le futur parti de Manuel Valls, Julien Dray et quelques autres n'est pas davantage le « parti de l'étranger » (invective ayant servi par le passé) que d'autres. De même, évoquer la potion Valls qui transformerait le corps électoral français en organisme bipartisan à l'anglo-saxonne ne vise pas à ridiculiser le patronyme Valls, qui est sans doute celui de gens tout à fait respectables par ailleurs. Sur le bipartisme, on se reportera aux commentaires suscités par cet autre article sur C4N, « BHV vs PS : pas le bon bouffon… ». BHL chez Hachette-Lagardère, Manuel Valls chez Pearson (le FT est la propriété de ce groupe d'édition), est-ce une vraie diversité ? Valls chez Berlusconi et Sarközy chez Murdoch (deux patrons de presse tantaculaire, apparemment opposés), serait-ce une réelle opposition ?

Voir aussi :
• L'article de Sophy (ultérieur et actualisé) sur le même sujet (et les divers commentaires). Au vu des derniers développements, le tandem Valls-Dray semble bien assorti… pour favoriser les petits arrangements entre « amis ».