On se rappelle que la Colombie avait présenté devant l’OEA de nombreuses preuves confirmant la présence des FARC au Venezuela (voir article : Bogota accuse Caracas). Mais l’intention annoncée du gouvernement colombien n’a jamais été de demander des sanctions contre le gouvernement du président Chavez, mais uniquement de faire reconnaître publiquement la présence des guérilléros au Venezuela et d’inviter Caracas à collaborer à la lutte contre le terrorisme en empêchant les FARC de se réfugier dans ce pays, comme ils le faisaient en Équateur jusqu’à ce qu’Uribe donne l’ordre à son aviation de franchir la frontière pour bombarder une de leurs bases (voir : Une minute de silence… avant la guerre, Veillée d’armes en Colombie ).

Tous ceux qui ont suivi le débat en direct peuvent d’ailleurs attester qu’à aucun moment l’émissaire colombien n’a dit que le gouvernement vénézuélien encourageait l’installation des narcoterroristes sur son territoire, et que le dossier présenté par la Colombie entendait uniquement démontrer cette présence.

Personnellement, je n’ai pas trouvé les preuves fournies par la Colombie convaincantes. Les images satellites étaient trop indistinctes et si on pouvait bien y apercevoir des bâtiments et des infrastructures, il était impossible de déterminer à qui ils appartenaient. Quant aux vidéos des campements des FARC, elles auraient pu être tournées dans n’importe quel pays, car rien ne ressemble plus à une forêt tropicale qu’une autre forêt tropicale. Et enfin, les plans montrant les emplacements des bases des narcoterroristes, comme ils ont été tracés par les services colombiens, ils n’auront valeur de preuve qu’une fois qu’une commission internationale aura pu se rendre dans les endroits incriminés pour constater la présence effective des troupes rebelles.

marcha_chavez_go_home.jpg Étonnamment, Caracas a réagi violemment à la demande de Bogota, éveillant ainsi les suspicions. Car si les preuves colombiennes sont fausses, comme l’affirme Chavez, il eut été aisé de laisser une commission internationale le démontrer, ce qui aurait jeté définitivement le discrédit sur le gouvernement d’Uribe et, dans le cas contraire, cela aurait donné l’occasion au président Chavez d’enfin prouver qu’il luttait effectivement contre les terroristes, en chassant ceux qui se seraient installés à son insu au Venezuela.

Mais non, Caracas a tout nié en bloc, rejetant l’idée d’une commission internationale, rompant les relations diplomatiques avec la Colombie et militarisant ses frontières avec ce pays.

Comme si Caracas voulait confirmer qu’il avait quelque chose à occulter. Pourtant, comme le rappelle l’opposition vénézuélienne, qu’est-ce que cela coûte de laisser venir des enquêteurs internationaux ? En quelques heures, le doute serait dissipé et, si la Colombie mentait, ce serait à elle de s’expliquer !

Mais ce n’est pas tout ! Sur sa lancée, le président Hugo Chavez a ressorti sa vieille rengaine : « Une opération américaine se prépare sur le sol colombien. Ce complot vise à me supprimer et à soumettre le Venezuela ».

Pour appuyer ses dires, le président brandit une lettre qui lui aurait été adressée par un de ses espions à Washington. Serait-ce la même lettre qu’il nous avait déjà montrée les fois passées, quand c’était Bush et non Obama qui souhaitait sa mort et désirait conquérir le Venezuela ?

Pourquoi le Venezuela ressort-il cette vieille rengaine du complot étatsunien contre le pays et son président quand il est serait facile de prouver une fois pour toutes que la Colombie ment, et pourquoi le gouvernement Uribe, à quelques jours de quitter le pouvoir, ressort-il ses "preuves" dont certaines dates de 2006 ?

Évidemment, l’opposition vénézuélienne répond à cette question en disant qu’Hugo Chavez tente de distraire l’opinion publique déçue par une inflation galopante, un pouvoir d’achat en chute libre, un indice de criminalité qui semble incontrôlable et par la difficulté à se procurer les biens de première nécessité sur les marchés locaux. Selon l’opposition politique et de nombreux experts en économie (dont personne ne peut garantir la neutralité), le socialisme bolivarien n’a pas atteint ses objectifs et surtout ses promesses, et le peuple pourrait sanctionner le gouvernement lors des prochaines élections législatives. Ainsi, d’après ces analystes, le discours de Chavez n’est rien d’autre qu’une rhétorique « politique et populiste », à deux mois d’élections où le pouvoir redoute le réveil de l’opposition, qui avait boycotté le précédent scrutin.

Pour ce qui est de la Colombie, même si aucun média officiel ne l’a encore relevé, il est étonnant que le gouvernement remette à l’ordre du jour le problème des terroristes qui se réfugieraient au Venezuela alors qu’au même moment l’opposition politique jette toutes ses forces contre le gouvernement sortant en jetant en pâture au public les dossiers des faux positifs (civils tués par les militaires et catalogués comme guérilléros morts au combat) ainsi que celui des affaires de connivence entre certains hommes politiques et groupes paramilitaires.

Or, dès que le président Chavez a rompu les relations diplomatiques avec la Colombie, toute la presse, sans aucune exception, a focalisé son attention sur les nouvelles tensions entre les deux États… et les dossiers gênants ont miraculeusement été oubliés ! Et, si on regarde la presse du Venezuela, on peut constater la même tendance, alors que la semaine passée elle se gaussait des problèmes du gouvernement colombien sortant, aujourd’hui elle reproduit les images de son président criant aux loups ! Plus trace non plus des problèmes économiques, de santé ou d’emploi.

Sincèrement, au vu des nombreuses et récurrentes tensions qui ont émaillé les relations entre les deux nations au cours de ces quatre dernières années, je commence à me demander si, en fait, Uribe et Chavez ne sont pas des complices… l’un faisant le jeu de l’autre chaque fois que des problèmes internes viennent ternir leur mandat.

Ainsi, les insultes lancées par-dessus la frontière sembleraient permettre aux deux gouvernements de réagir vivement et de détourner du même coup l’attention d’une presse trop curieuse et insistante.

Et ce qui viendrait confirmer cette hypothèse c’est le fait que les tensions qui amènent parfois les deux pays au bord de l’affrontement militaire, se résolvent soudainement, sans qu’aucun nouvel élément ne soit apparu, comme si tout se dissipait… poussé par le vent.

D’ailleurs, le président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, considère également que le conflit colombo-vénézuélien n’est rien de plus qu’une joute verbale entre les deux mandataires.

On me rétorquera que ma conclusion est subjective, c’est vrai, mais qui alors peut expliquer pourquoi le gouvernement colombien prendrait le risque de créer de fausses preuves pour faire croire à la présence de terroristes au Venezuela, preuves qu’il demande avec insistance à une commission internationale de vérifier (commission composée entre autres de pays alliés de Caracas), et pourquoi Chavez ne permet-il pas à cette commission de prouver, comme il l’affirme, que le gouvernement colombien ment ?

Si l’on écarte une certaine complicité entre Uribe et Chavez, aux yeux de l’opinion internationale le suspect restera celui qui refuse de donner libre accès aux enquêteurs, ce qui signifierait que les preuves colombiennes sont réelles et que Caracas est au courant de la présence des FARC sur son territoire !

Sources :

Diego Arria: "Venezuela no tiene defensas ante las denuncias de Colombia", El Nacional, Buenos Aires, 30 juillet 2010

Narcotráfico y paramilitarismo son secuelas de la guerra en Colombia, Agencia venezolana de Noticias, 29 juillet 2010

Canciller venezolano aseguró que en nuestro país no existen asentamientos de grupos irregulares, Agencia venezolana de Noticias, 29 juillet 2010

Venezuela presentará informe sobre análisis de las supuestas pruebas de Uribe, Agencia venezolana de Noticias, 30 juillet 2010

Colombia acusa a Venezuela de boicotear documento de acuerdo de Unasur, El Espectador, 30 juillet 2010

Colombia niega que pretenda lanzar ataque militar contra Venezuela, AFP, 31 juillet 2010

Acusan a Chávez de engañar a su pueblo al hablar de guerra, La Gaceta, Tucuman, 01 août 2010

Venezuela desplegó militares ante "amenaza de guerra" que Colombia descarta, NTN24, Bogota, 31 juillet 2010

Venezuela: à Caracas, la violence pousse des habitants à prier les "saints des brigands, AFP, 31 jullet 2010