On ne peut parler de Cabourg sans évoquer Balbec que Proust dans sa Recherche peignit  avec fidélité autant que poésie, surpassant la sensiblerie du touriste balnéaire avec l’affection de l’écrivain tourmenté par la maladie.

La première description de Cabourg, c’est d’abord celle du Grand-Hôtel que le narrateur viendra occuper plusieurs étés de son adolescence, inspiré par les séjours qu’y fera le Proust adulte : « Parmi les chambres dont j’évoquais le plus souvent l’image dans mes nuits d’insomnie, aucune ne ressemblait moins aux chambres de Combray, saupoudrées d’une atmosphère grenue, pollinisée, comestible et dévote, que celle du Grand-Hôtel de la Plage, à Balbec, dont les murs passés au ripolin contenaient comme les parois polies d’une piscine où l’eau bleuit, un air pur, azuré et salin. […]

Or j’avais retenu le nom de Balbec que nous avait cité Legrandin, comme d’une plage toute proche de «ces côtes funèbres, fameuses par tant de naufrages qu’enveloppent six mois de l’année le linceul des brumes et l’écume des vagues».» En arrivant à Cabourg, la première chose que l’on aperçoit du Balbec de Proust, ce ne sont pas les panneaux de gare desquels le narrateur s’émerveillait des sensations et des souvenirs, ou des promesses, que les noms lui inspiraient quant aux pays qu’ils désignaient ; la première trace de l’œuvre est la façade du Grand-Hôtel, se découpant dans la fenêtre étroite laissée à l’horizon par la rue piétonne.  

 

Mais en contournant le Grand-Hôtel, on débouche par une petite rue (dans laquelle veillait une boutique de curiosités joliment nommée « La Madeleine ») sur la digue, au nom évocateur : promenade Marcel Proust. Une grande promenade, d’ailleurs, puisqu’elle longe quatre kilomètres de côte (la plus longue promenade d’Europe) de Franceville jusqu’au Cap Cabourg. Avant de marcher à la recherche des jeunes filles en fleurs, il faut dire un mot de la vue, telle qu’elle nous apparaît quand on arrive du Grand-Hôtel : l’étendue bleue marine et ciel, démarquée seulement en son milieu par le trait sombre de l’horizon et, comme la fondation d’une maison ou la base sur laquelle l’artiste peint sa toile, le rectangle de sable ocre. Une peinture, comme l’écrin sur lequel vint se poser un siècle ou plus de bains de mer. Et il faut se dévêtir de nos préjugés, regarder comme d’un œil neuf, pour reconnaître sur le panorama qui s’offre à nous quelque ancienne photographie, une carte postale de la Belle Epoque, où dans ses costumes fin de siècle venaient se reposer la bourgeoisie, y passer quelques semaines de vacances.  

« D’ailleurs, il n’y avait même pas besoin pour rentrer de quitter la digue et de pénétrer dans l’hôtel par le hall, c’est-à-dire par derrière. […] Avec le plein de l’été les jours étaient devenus si longs que le soleil était encore haut dans le ciel, comme à une heure de goûter, quand on mettait le couvert pour le dîner au Grand-Hôtel de Balbec. Aussi les grandes fenêtres vitrées et à coulisses, restaient-elles ouvertes de plain-pied avec la digue. Je n’avais qu’à enjamber un mince cadre de bois pour me trouver dans la salle à manger que je quittais aussitôt pour prendre l’ascenseur. » « Hélas, le vent de mer, une heure plus tard, dans la grande salle à manger, […] il parut cruel à ma grand’mère de n’en pas sentir le souffle vivifiant à cause du châssis transparent mais clos qui, comme une vitrine, nous séparait de la plage tout en nous la laissant entièrement voir et dans lequel le ciel entrait si complètement que son azur avait l’air d’être la couleur des fenêtres et ses nuages blancs un défaut du verre. » Depuis le début du siècle où Proust y séjournait, le Grand-Hôtel a peu changé. Et on peut encore imaginer l’écrivain passer dans le restaurant, depuis même la digue. Certes, les fenêtres ne coulissent plus pour laisser le passage (du narrateur ou du vent) mais c’est là à notre imagination d’en dessiner le souvenir.   Comme rien n’a changé depuis cette époque si lointaine dans le temps, si proche dans le cœur. Le Casino, juste à côté du Grand-Hôtel, où le narrateur fit pour la première fois la rencontre de M de Charlus : « Le lendemain du jour où Robert m’avait ainsi parlé de son oncle tout en l’attendant, vainement du reste, comme je passais seul devant le casino en rentrant à l’hôtel, j’eus la sensation d’être regardé par quelqu’un qui n’était pas loin de moi. Je tournai la tête et j’aperçus un homme d’une quarantaine d’années, très grand et assez gros, avec des moustaches très noires, et qui, tout en frappant nerveusement son pantalon avec une badine, fixait sur moi des yeux dilatés par l’attention. »

Les longues promenades sur la digue sont l’occasion pour le narrateur de s’extasier devant les charmes que la nature prodigue aux jeunes filles, celles que Proust nomme avec poésie « les jeunes filles en fleurs. » Des journées qu’il passera à chercher leurs regards, à épier leur venue, sur le fond que la mer découpe dans l’horizon de Balbec/Cabourg.

A la venue du soir, il faut marquer un temps devant le coucher du soleil. « Parfois à ma fenêtre, dans l’hôtel de Balbec, le matin quand Françoise défaisait les couvertures qui cachaient la lumière, le soir quand j’attendais le moment de partir avec Saint-Loup, il m’était arrivé grâce à un effet de soleil, de prendre une partie plus sombre de la mer pour une côte éloignée, ou de regarder avec joie une zone bleue et fluide sans savoir si elle appartenait à la mer ou au ciel. »

Mais il faut hélas ! que le temps se rappelle à nous. Nous ne sommes plus à la Belle Epoque, et des charmes nouveaux en ont remplacé d’autres plus anciens. Après un dîner sur la plage où des artistes de rues divertissaient les estivants, nous rejoignons les rues piétonnes où, attirés par la douceur goûteuse des sucreries, les promeneurs s’agencent en file devant les marchands de gaufres.

Puis il faut enfin quitter la Balbec/Cabourg, qui restera comme un point de repère sur la carte de Proust, une source de satisfaction littéraire à ciel ouvert, parmi les plus belles plages de la Basse-Normandie.