Une société de classe moyenne?

Le terme de "classes moyennes" ne va pas de soi. La nation de classe sociale renvoie en effet directement à une vision polarisée de la société. Selon la théorie marxiste, la division de la société en classes résulte de la place qu'occupent les groupes dans les "rapports sociaux de production". Suivant cette analyse, la bourgeoise qui détient les moyens de production s'oppose à la classe ouvrière qui n'a que sa force de travail. Cet antagonisme est fondamental : la notion de classe est indissociable de la "lutte des classes". Le terme "moyen" ne cadre pas avec une telle analyse : il renvoie à une vision hiérarchisée et continue de la stratification sociale. Les classes moyennes sont définies par la position intermédiaire qu'elles occupent entre les classes supérieures et les classes populaires : une position "moyenne" sur l'échelle des revenus, du prestige ou de la formation. La "moyennisation" de la société désigne le processus de convergence des modes de vie et de disparition des classes sociales au profit d'une vaste classe moyenne englobant. Pour Tocqueville, cette évolution doit être lue comme la conséquence du passage de l'aristocratie à la démocratie. La démocratie n'est en effet pas réductible à un système politique (souveraineté du peuple et Etat de droit) : le changement qu'elle opère est plus profond. Elle instaure un nouvel Etat social caractérisé par un principe social (l'égalité des conditions) et un principe moral (la passion pour l'égalité). Pour Tocqueville, cette passion pour l'égalité joue un rôle moteur dans la transformation de l'organisation sociale : elle auto-entretient le processus d'égalisation des conditions et entraîne une tendance à l'uniformité des modes et niveaux de vie. C'est pourquoi la démocratie est pour des raisons intrinsèques une société des couches moyennes. Dès lors, ce sont les caractères moraux des couches moyennes (l'individualisme dans son double sens d'autonomie personnelle et de repli sur la sphère privée, ainsi que le matérialisme accompagné de son désir pour la sécurité) qui vont dominer. La Confédération générale des syndicats de classes moyennes, qui a revendiqué jusqu'à deux millions et demi d'adhérents, regroupe dans les années 1930 les syndicats professionnels de l'agriculture, du petit et du moyen commerce, de la petite et moyenne entreprise, de l'artisanat, des professions libérales, de la maitrise et des cadres. Elle agit par l'intermédiaire de parlementaires pour la défense de la petite entreprise et se représente comme une alternative à la fois au pouvoir des possédants et à celui du prolétariat. Ce mouvement est alors extérieur au salariat (ce sont pour l'essentiel des indépendants qui le composent) et se pense comme une troisième voie entre le grand capitalisme et la mobilisation ouvrière. La prospérité des Trente Glorieuses a produit un rapprochement des niveaux de vie et une réduction des inégalités. Henri Mendras analyse la transformation de la société villageoise et prévoit la fin de l'opposition entre ville et campagne : agriculteurs et campagnards s'urbanisent, les différents groupes qui composent la société tendent désormais à partager le même mode de vie. Les classes sociales dès lors disparaissent sous l'effet de cette homogénéisation des styles de vie. La société a la forme d'une toupie construite autour d'une "constellation centrale" exerçant sa force d'attraction sur les autres groupes. Le conflit entre les classes a comme disparu. Les classes moyennes rassemblent désormais, au-delà des indépendants, tous ceux qui ne peuvent être définis ni par leur travail d'exécution, ni par leur pouvoir de décision, c'est-à-dire une grande part des employés, les professions intermédiaires et une majorité des cadres. L'usage du pluriel est révélateur ; les "classes moyennes" constituent un groupe très hétérogène qui, pour partager les mêmes conditions de vie, n'en est pas moins traversé par de grandes fractures. Les différents groupes qui les composent n'ont pas la même formation, ni le même comportement politique, ni la même manière de consommer. On peut prendre l'exemple du petit commerçant et de l'instituteur, qui s'opposent sur tous ces points. Le clivage du statut juridique (salarié ou travailleur indépendant) reste socialement déterminant et les pratiques de distinction sociale se maintiennent. De plus, le chômage de masse et la précarité qui se développent depuis une vingtaine d'années et frappent durement une partie des actifs entraînent le développement de nouvelles inégalités.

 

Une réflexion sur « Une société de classe moyenne? »

  1. karl Marx super-héros de manga!
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