Une Catalogne espagnole comme Porto Rico est étasunienne ?

Le 11 septembre dernier, des milliers de manifestants ont convergé vers Barcelone de toute la Catalogne et la Generalitat y a vu un encouragement à pousser des revendications autonomistes. Une semaine plus tard, le roi Juan Carlos, dans un communiqué publié sur son site, appelait à l’unité, deux jours avant la rencontre entre Artur Mas (Generalitat) et Mariano Rajoy portant sur aide financière accordée à la Catalogne avec ou sans contrepartie de contrôle de la part du gouvernement central. À présent, Artur Mas, qui avait soutenu l’idée d’une Catalogne « état européen associé » (à l’Union européenne), propose que la communauté catalane calque ses institutions et rapports avec l’Espagne sur le modèle de Porto Rico. De son côté, le secrétaire général du PSOE (soc., opposition), Alfredo Pérez Rubalcaba, avance que l’Espagne pourrait calquer son organisation sur celle de l’Allemagne fédérale…

Arturo Mas, qui préside la Generalitat catalane, pousse son avantage. Il réclame au gouvernement central espagnol un statut proche de celui de Porto Rico.
Ce qui ressemble à un rétropédalage par rapport à la revendication d’indépendance dans le cadre de l’Union européenne, mais sachant que Porto Rico organise en novembre prochain un référendum pour ou contre le maintien de l’association en tant qu’État libre avec les États-Unis, un tel statut pourrait n’avoir qu’une durée provisoire.

L’initiative d’Arturo Mas est vue de diverses façons en Espagne (et en particulier au Pays basque, en Navarre ou en Galice) mais plutôt généralement critiquée.

Un colonel en retraite avait évoqué une trahison et un coup d’État, l’argument a été repris par divers éditorialistes, dont celui de La Razón, José Luis Martin Prieto, tandis qu’Ignacio Camacho López, d’ABC, relève que la revendication nationaliste, répondant à des motifs financiers, et une attitude de victimisation, a été poussée à un point tel qu’elle risque de plonger la communauté catalane vers « un désastre économique ». D’autres parlent de chantage, et remettent aussi sur le tapis, comme El País, le fait qu’une parente d’élèves s’est vue refuser pour ses enfants, aux Baléares (où le catalan est langue officielle), la possibilité de recevoir une éducation en espagnol.
En Catalogne même, les partis CiU (Convergence et union), ERC (Esquerra), ICV (Iniciativa) et Solidaritat approuvent la perspective de l’indépendance tandis que le PP (au pouvoir en Espagne), le PSC (opposition socialiste, lié au PSOE) et le mouvement Cuitadans (citoyen), minoritaires au parlement catalan (une cinquantaine de députés contre 86) se montrent opposés ou réticents. Alfredo Rubalcaba, du PSOE, a considéré que le PSC n’était pas un parti souverainiste catalan, mais qu’il souhaitait une « Catalogne forte ».Cependant, le PSOE est divisé quant à une évolution fédéraliste de l’Espagne (avec le PSOE Andalou pour, d’autres contre).

Rubalcaba considère que la Loi fondamentale espagnole n’est pas immuable et que le modèle fédéral à l’allemande pourrait être envisagé pour l’Espagne. Il a aussi dénoncé la « catalanophobie ». Du côté du Parti populaire, la proposition du PSOE est qualifiée d’irresponsable.

Il est envisagé que des élections anticipées seront organisées en Catalogne le 25 novembre prochain. Arturo Mas devrait, mardi soir, se prononcer sur le sujet. Le syndicat patronal CEOE (Confédération espagnole des organisations patronales), Juan Rosell, a repoussé toute idée d’indépendance de la Catalogne et indiqué qu’appliquer à la communauté catalane le statut en vigueur en Navarre et au Pays Basque n’était pas envisageable.

Ces divergences fondamentales entre partisans de l’indépendance, d’une plus grande autonomie, ou le maintient du statut quo laissent froid le mouvement des Indignés qui met tous les partis dans le même sac car ayant « trahi leurs programmes, leurs électeurs et les citoyens, renié leurs promesses et contribué à l’appauvrissement général. ». Le mouvement appelle à des manifestations mardi soir tant devant le Parlement central de Madrid que devant les bâtiments de ceux des communautés autonomes (et devant les ambassades d’Espagne à Paris, Berlin et Londres). Le collectif Acampada de Barcelona n’est pas le moins virulent.

De son côté, le président du PP de Galice, Alberto Núñez Feijóo, a repris l’une des antiennes des partisans de l’unité espagnole. Les indépendantistes catalans, en revendiquant la sécession, masquent « leur déni de la crise et le fait qu’ils ont associé le catalanisme au gaspillage. ». Il a fait allusion à la fable de la cigale (catalane, sous-entendu) et de la fourmi (galicienne), et relevé que le gouvernement français, contrairement au catalan, avait évalué les dures réalités et adopté des mesures d’austérité. L’attitude imputée par lui à la présidence française démontrerait qu’il n’y a pas de « modèle alternatif ». Pour Feijóo, la Catalogne en banqueroute se cherche un bouc émissaire.

Au-delà de ces polémiques, on peut se demander si l’attitude du gouvernement catalan vise bien à obtenir l’indépendance ou plutôt des accommodements avec Madrid. Des observateurs relèvent qu’Artur Mas, et d’autres officiels catalans, ont fréquemment rencontré, à Bruxelles, des dirigeants de premier plan de la Commission européenne (Barroso) ou du Parlement (Martin Schultz), et tant d’autres. Mais sans jamais faire état de visées sécessionnistes, avance Claudi Pérez, correspondante du Pais à Bruxelles. Claudi Pérez avait recueilli une déclaration de Mas niant vouloir moins d’Espagne, mais plus d’affirmation des revendications catalanes.

L’Union européenne n’en craint pas moins qu’une fuite en avant puisse avoir des répercussions dans d’autres régions, d’autres pays. Officiellement, il s’agit d’une question interne à l’Espagne, en coulisses, on s’inquiète des conséquences. Le vice-président de la Commission, Joaquín Almunia, a évoqué ce lundi la question en faisant état de « tensions dans un État membre » qui, en Espagne, sont du ressort « du gouvernement central et des communautés ».

Psychodrame, qui s’estompera, ou non ? Le sentiment autonomiste est fort en Catalogne (même au-delà de la Catalunya du sud des Pyrénées), le sentiment national l’est tout autant dans le reste de l’Espagne. L’AME (associations des militaires retraités) donne de la voix et considère la position d’Artur Mas « inadmissible » et qu’il appartient aux forces armées de tout faire pour garantir la constitution et la « souveraineté de la patrie ». L’UPyD (Union, progrès et démocratie) veut restaurer à présent le bilinguisme en Catalogne-Baléares, Galice et Pays basque comme le prévoit la Carta Magna pour éviter que les hispanophones « castillans » dans ces communautés deviennent « des citoyens de seconde zone. ». Trois autres associations demandent que soit garanti l’enseignement de l’espagnol « dans toute l’Espagne » et pour toutes les disciplines majeures.

De son côté, le PA (Parti Andalou) dénonce que l’Andalousie apporte pratiquement autant au gouvernement central que la Catalogne et la communauté madrilène, mais reçoit beaucoup moins que la Castille, les Asturies, l’Aragon, Murcie, l’Extramadure, &c. Alors que les Catalans avaient critiqué la liaison TGV Madrid-Galice, Antonio Jesús Ruiz, secrétaire général du PA, reprend cette question à son propre compte et dénonce que les aides européennes vont profiter au métro madrilène. « L’Andalousie n’est pas une colonie, » a-t-il conclu.

Le « député général » (président) de la province basque (diputacion) de Guipuzcoa, Martin Garitano, a ce jour aussi déclaré devant son parlement que l’indépendance basque était la voie privilégiée pour se départir d’un royaume d’Espagne « qui a échoué et n’a pas d’avenir. ». Il a ajouté que la liberté triompherait et que le peuple basque allait trouver place dans le concert des nations. L’opposition a dénoncé une totale absence de mesures concrètes.

Par ailleurs, d’autres voix dénoncent l’autonomie financière trop forte des communautés, des diputaciones (échelon intermédiaire) et des municipalités qui encourage le gaspillage et mobilise un tiers de la dépense publique globale. Dans Madrid Out, Guillermo Díaz dénonce la coexistence de 16 services météorologiques, autant de médiateurs, et 60 chaînes de télévision locale, et surtout un clientélisme et un népotisme locaux généralisés.

Cette crise institutionnelle survient et s’approfondit alors que les chiffres récapitulatifs des recettes du tourisme en Espagne pour la saison dernière s’annoncent décevants. Aux Baléares, la fréquentation a augmenté, sans créer d’emplois ou de revenus supplémentaires. À Madrid, les hôtels enregistrent une chute des recettes de 15,8 % (avec 12 % de nuitées en moins). Le taux d’occupation en août dernier, à Madrid, n’a été que de 44,85 %.  Au national, la chute d’occupation est de 2,1 % et l’augmentation des prix (de 0,8 %) n’a pas compensé le manque à gagner. Elle est due à la crise en Espagne car le nombre des visiteurs étrangers a augmenté de 3,5 %. Les recettes ont chuté en Andalousie avec des nuitées en baisse de 1,8 % alors même que les prix étaient en baisse de 2,7 %.
En revanche, le secteur espagnol de la mode, du fait des franchises à l’étranger, résiste bien et même progresse : 44 % des ventes se font à l’export. Mais les ventes domestiques ne sont soutenues que par une guerre des promotions, soldes et rabais.

Merrill Lynch (Bank of America), tout comme le FMI (ou les prévisions gouvernementales), a estimé que le déficit de l’Espagne s’établira, en décembre, à 6,3 % du PIB, mais que ce dernier sera en retrait de 1,6 % par rapport aux objectifs prévus.

Ce jour, le New York Times a consacré un reportage photographique à l’Espagne titré « Faim et austérité ». La première image montre des enfants de deux familles en voie d’être expulsés de leurs logements, la seconde un sans logis piochant dans des poubelles, puis une route coupée à Benidorm, une soupe populaire à Giron, des grévistes, une marche de chômeurs, des familles autochtones mélangées à des immigrées vivant dans une usine abandonnée de Barcelone, des constructions inachevées, &c.

Les revendications indépendantistes sont-elles, pour les communautés concernées, un dérivatif ou une solution à la crise économique ? La question divise. En attendant, le ministère de la Santé prévoit une diminution de son budget de l’ordre de 13 à 15 % en 2013 (il a déjà baissé de 13,7 %). On ne sait combien de fonds seront affectés à « la création, pour la première fois, d’une base de données unique au niveau national »…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Une Catalogne espagnole comme Porto Rico est étasunienne ? »

  1. Voir aussi l’éditorial de Claudi Pérez (El Pais) traduit Leslie Talaga pour [i]Presse Europ[/i] :
    [url]http://www.presseurop.eu/fr/content/article/2749251-la-catalogne-un-nouveau-souci-pour-l-ue[/url]

Les commentaires sont fermés.