Certains pays sont associés de façon viscérale à des boissons. Quand on dit vin, on pense souvent à la France, mais n’oublions pas tout de même que de nombreux autres pays en produisent de très bons. Quand on dit vodka, on pense à la Pologne ou à la Russie, ces grandes étendues balayées par des vents froids où l’on se réchauffe en buvant de bonne rasade de cette eau-de-vie. Quand on entend bière, on l’associe généralement à l’Allemagne, les Pays-Bas ou bien les pays du Royaume-Uni. Et qu’en est-il du saké ?

 

Bien entendu, le saké est inhérent au Japon. Aller au Japon, sans en boire, est une faute majeure tellement il est facile d’en trouver. Dans les supérettes, on peut même en trouver sous forme de brique comme si c’était du jus de fruit. Même si l’alcool de riz est un élément national représentatif de l’archipel nippon, ses ventes s’effritent progressivement depuis plus de 40 ans. Chaque année, elle décroit de 3 à 5%, ainsi, en 2009, on buvait 3 fois moins  de saké qu’en 1975. Un désamour qui s’explique par le simple fait que les jeunes ne sont pas séduits, ils lui préfèrent de nouveaux alcools en plein développement tel que l’Umeshu, une liqueur de prunes. Les buveurs traditionnels se détournent également du saké, cédant aux vapeurs envoutantes du whisky. Pour l’inconscient collectif, le saké est associé aux fêtes rituelles et aux occasions uniques comme les mariages, les anniversaires ou bien le Nouvel An. Les temples et les mausolées, les lieux de cultes en général, sont des gros consommateurs de saké.

 

La chute semblait inévitable, longue mais assurée, si un coup du sort n’avait pas enrayé la mécanique. Un regard sur les chiffres de ventes nous montre qu’elles repartent à la hausse depuis avril 2011. Comment cette inversion des tendances a-t-eu lieu ? A toute chose malheur est bon, dit-on, et cela a tendance à se prouver avec le cas du saké. Un grand élan de solidarité envers les victimes du tsunami s’est manifesté peu après la catastrophe. Dans la région sinistrée, ce sont plusieurs dizaines de distilleries qui ont été détruites, certaines pluri centenaires dont la survie ne dépend que de la vente de leurs bouteilles. Les flots noirâtres ont submergé tout le matériel nécessaire à la confection, réservoirs, machines, greniers à riz et ce sont plus de 30000 flacons qui sont perdus à jamais dont certains destinés aux noces princières anglaises.

 

Afin d’aider les propriétaires des fabriques, des « sake parties » ont été organisées à travers tout le territoire. Un geste solidaire pour participer, tout en trinquant, à la reconstruction de la région ravagée. Pour les cultivateurs, ce fut un véritable coup dur, la période de production s’est arrêtée en plein milieu, à cela, ils ont dû faire face aux restrictions gouvernementales liées à la radiation des sols. Une vague de nationalisme a succédé à la vague mortelle, un patriotisme dans le bon sens du terme, une défense des éléments propres au patrimoine culturel du Japon. Le saké ne pouvait pas mourir, il doit vivre aussi longtemps que le pays vivra. Le saké c’est un savoir-faire ancestral, une technicité voilée de mystères se transmettant de génération en génération, chaque école à sa particularité et ses propres arcanes. La mort de ce breuvage équivaudrait à la disparition de tout un pan patrimonial. Une chose impensable.

 

Cependant, malgré toute ces bonnes volontés, beaucoup d’ateliers restent porte closes, la régénération est en marche mais elle prend forme lentement. Une allure digne de la façon dont il faut boire cet alcool, tout en douceur, en le sirotant. L’optimisme est au rendez-vous, fort de ce succès, les investissements reviennent et de plus en plus de jeunes talents se tournent vers cet artisanat. Depuis quelques mois, le mouvement suit sa course, les clients dans les restaurants choisissent pour accompagner leur repas, en digestif ou sur la durée du dîner, un bon verre de saké. Kampaï !!