Trop long pour être un commentaire à l’article de Lydiapoeme,  voici une illustration de ses points d’exclamation.        

                 Dans l’essence du sonnet (et la poésie en général).  


         Composer un sonnet est faire l’amour aux mots.
         Si la poésie est sexuelle, en elle, le sonnet par ses contraintes formelles excite encore davantage. C’est un spasme dont le volume n’appartient pas à l’auteur qui offre seulement les prémices de picotements et l’envie de retrouver les charmes auxquels il a dû céder pour atteindre sa finalité. 
         Exercice qui se situe entre le narcissisme et l’onanisme; qui occupe entièrement les sens et l’esprit. Au dur désir de durer se substitue l’envahissement. On caresse les mots, les essaye, les embrasse, parcourant leur corps  en cherchant leurs couleurs, leurs sons et, entre eux, le rythme. 
         Doucement d’abord puis soutenu jusqu’à l’éclat final ou bien tout le temps retenu. L’esprit est envahi de la chair des teintes, du fantasme des images où passé et avenir brouillés concourent à la jouissance dont la durée est variable selon  que le sujet s’impose avec puissance et que la perfection recherchée n’est abandonnée qu’au moment de l’épuisement des syllabes. Les yeux, le regard est ailleurs, loin au-dessus de l’horizon ou au plus profond de l’essence, là où personne ne peut venir chercher. 
         Parmi les positions pour faire l’amour aux mots, il convient de choisir la forme qui sied le mieux à l’émotion. Il est toujours temps d’épurer des détours inutiles, des scories qui ralentissent l’expression. La luxure est dans la concision où ne filtre pas la masturbation mentale qui a peut-être permis de l’atteindre secrètement. Nul autre ne peut profiter de ce cheminement, par contre, on peut toujours tenter le parcours, le bordant d’autres images, d’autres pensées toutes aussi appropriées et génératrices de plaisirs. Le sonnet est le médiateur, le catalyseur des égoïsmes.          Il ne tient qu’à l’auteur de dire sur le dire, de modifier les césures, les effets, de changer de position pour ranimer un désir plus proche du sujet, de l’enserrer à nouveau et de s’enfouir en lui sans que rien n’apparaisse ou ne transparaisse.          Cela prend un petit moment: c’est la satisfaction du besoin qui, repris plus tard, peut renaître en désir d’achèvement, ou bien la journée entière, quand habité d’une longue passion l’effort de connaissance l’emporte. On sort parfois du désir par distraction pour y rentrer avec une nouvelle énergie, charmé par de nouvelles formes, par des musiques imprévues, nées d’idées envahissantes.                                               Tout l’être en profite avant de parvenir à l’orgasme final: traces bien droites sur la page vierge.
                   Les mouvements égoïstes sont réglés par l’humeur. Il arrive que l’impuissance domine. On ne peut savoir tous les jours faire l’amour avec les mots: en cela la poésie est un art délivrant de véritables images lorsque la jouissance a été totale. On y devine les échecs. Le temps n’est pas compté: on peut à loisir le densifier pour un plaisir intense ou le diluer jusqu’au nirvana; ou à tout le moins jusqu’à cet état indolent voisin de la stase entre nuage et terre. Le sens suit les sens: les correspondances sont évidentes et entre les lignes et les strophes habitent des approches de vérité, des secondes de vérité, toutes sortes de lueurs impressionnistes dont on n’a pas tenu compte ou qui doivent rester secrètes. 

         Jamais l’urgence, le plaisir précoce ou bâclé puisque nous le façonnons au fur et à mesure du désir ou du besoin. L’altérité est entre les mains de l’auteur qui devient donc créateur ou pour le moins démiurge. Toutes les imperfections des gestes d’amour dont la qualité se trouve dans le regard de l’autre ne peuvent exister; elles sont écartées par essence même si finalement le plaisir n’est pas parfait. Il est aussi parfait qu’on le pouvait à cet instant. Une fois inscrite la nécessité n’a d’autre chemin que sa résorption ou sa complétude. L’esprit bandé à se rompre envoie tout le sang qu’il possède vers les raffinements qu’il se propose d’explorer, les assouvit durant le parcours puis sûrement oublie l’avènement, courant tel Don Juan, vers d’autres sonnets à conquérir. 
                   Chacun perçoit ses victoires comme ses défaites loin du jugement d’autrui. La différence étant que le sujet d’amour n’existe pas a priori mais se construit au fur et à mesure que les émois surgissent. Contrairement au sens commun, la pièce ne renseigne pas sur l’auteur, n’en est pas le miroir. Le tain couvre la glace seulement lorsqu’il ne s’y mire plus, lorsqu’on ne souhaite pas s’y voir et ce miroir ne sert qu’une fois. 
         Le lecteur n’a donc aucune chance de trouver la trace d’un portrait qu’aurait laissé subrepticement le premier visage. Le miroir est vierge et reflétera tous les amants possibles, sera même l’aiguillon de leurs élans situés hors de la mémoire.  

        Est-ce quitter si radicalement les humains que de choisir l’expression qui en est leur spécificité? N’est-ce pas en plus des jouissances naturelles en conquérir d’autres aussi difficiles à obtenir dont les empreintes ont la même fugacité?          Loin du discours politique, de la diatribe, de la harangue belliqueuse, il semble que la poésie ne puisse produire ne puisse produire de la haine et avec sa musique contribue à l’apparition de valeurs plus naturelles que ses contraintes ne le laissent croire. Amollissement de Capoue, féminisation du verbe, pornogramme subversif. Ces excès en valent bien d’autres, plus pernicieux et plus mortifères. La petite mort est plus glorieuse que les boucheries si idéologiques soient-elles, si mâles, si puissantes et si héroïques qu’on nous a toujours présentées.