Un bout de chemin ensemble

Au moment où Ségolène Royal (dont je dois reconnaître que sa campagne de second tour est plutôt bien menée) propose à François Bayrou et à ses amis de « faire un bout de chemin ensemble » (je me demande si cette formule fait référence aux compagnons de route, chers aux communistes de la deuxième partie du XXème siècle ?), je vous propose de faire un petit tour guidé de la blogosphère des éléphants et des éléphanteaux du PS.

Pour commencer, il y a ceux qui y croient, les éternels enthousiastes, les habitués de la volte-face et des postures de l’entre deux tours, ceux qui ont compris que le vent a tourné et qui se mettent instinctivement dans le sens du vent. Par exemple, l’indéboulonnable Jack Lang (celui des lendemains qui chantent) qui nous annonce, péremptoire, que « les électeurs qui se sont portés sur l’UDF, sont des électeurs qui, en certaines matières, ont une vision qui n’est pas éloignée de la nôtre. » Sur l’Europe, sur le SMIC, sur la dette, sur les 35 heures, sur l’ISF … sans doute ?

Il y a ceux qui doutent, s’interrogent, tentent de prendre le pouls de l’opinion ou veulent se rassurer comme Julien Dray qui pose des questions amusantes sur son blog : « Moi j'aimerais savoir ce que vous pensez des 18 % réalisés par François Bayrou. A votre avis c'est quoi ? Un vote protestataire, une vraie adhésion au programme de François Bayrou, le début ou la fin de quelque chose ? Et comment voyez-vous les choses pour le 2ème tour ? » C’est le début Julien, tu n’as encore rien vu !

Il y a ceux qui ne pensent pas grand-chose : il n'y a rien par exemple sur le blog de Montebourg à part son premier tract pour les législatives. Le site de Peillon est tout aussi maigre mais ces deux-là doivent être très occupés par la campagne (à moins que Peillon soit moins disert depuis qu’il a été radié des listes de la commune de Chepy, dans la Somme, par le tribunal d'instance d'Amiens, au motif qu’il n'y résidait pas).

Pour trouver des réactions plus franches, il faut aller voir du côté gauche, ou du côté « non à l’Europe » si vous préférez. Chez Fabius qui refuse toute « tractation » avec les centristes. Chez Mélenchon qui s’insurge : « Attention ! Camarades, vous jouez avec le feu. Quoi ? Des ministres UDF ? Je vois bien comment d’heures en heures nous sommes mis devant le fait accompli en nous instillant à dose homéopathique le changement d’alliance. » Mais c’est un bon soldat Mélenchon, la preuve : « Le jour après que j'ai dit le débat oui, les ministres non, qu'-est-ce que je fais ? (…) Et, bien voilà, en véritable archaïque, je fais campagne pour Ségolène Royal. » On peut être sur qu’elle le remerciera !

Un peu de compassion. La vie des éléphants n’est pas facile. Comme le dit Laurent Joffrin dans Libération, « non seulement ils doivent soutenir une candidate qu'ils tiennent en peu d'estime, mais encore ils doivent avaliser sans broncher un tournant stratégique décidé sans qu'ils en aient le moins du monde débattu. » Pourtant, en réalité, il n’y a aucune raison de s’inquiéter : si l’on en croit Jean-Louis Bianco, la position de la candidate socialiste « n'est pas tournée vers le centre, elle est tournée vers l'explication du pacte présidentiel et la recherche de points de convergence sur des idées. » Ces gauchistes n’ont encore rien compris !

Tenez par exemple : Olivier Besancenot, le rescapé de la gauche de la gauche, lui il pense que « le débat entre Ségolène Royal et François Bayrou a réuni deux responsables politiques se situant dans le cadre du libéralisme et qui se sont évertués à souligner que leurs programmes respectifs étaient compatibles. » Quant à Marie-Georges Buffet, du haut de ses 2%, elle avoue qu’elle « ne peux (…) pas rester silencieuse face au chantage exercé par François Bayrou sur la candidate socialiste pour l’amener à infléchir son programme vers celui de la droite. » Ouf ! Ce n’est pas de la faute de Ségolène. C’est ce méchant Bayrou qui fait une pression d’enfer. Mais elle est tout de même « très préoccupée », Marie-Georges, « de constater que certains, à gauche, expriment la tentation d’y céder, et que Ségolène Royal elle-même envisage la possibilité, en échange du soutien de François Bayrou, de constituer un gouvernement avec des ministres UDF. »

Et puis, il y a finalement ceux qui pensent plus sérieusement à l’avenir, ceux qui commencent à échafauder des plans pour l’après 6 mai et qui se voient déjà jouer un rôle majeur dans le nouveau paysage politique. D’abord Henri Emmanuelli, évidemment, qui « considère que nous sommes arrivés au bout d’un cycle, entamé avec le congrès d’Epinay » et qu’il « est donc temps de bouger et de créer un grand parti progressiste, qui permette de référencer à nouveau la gauche. » Contre-pied total à Ségolène Royal. A gauche toute : il faut certes une majorité mais « cette majorité exclut par nature la droite, quel que soit son visage, et l'UDF en est un ».

Et à l’opposé, Dominique Strauss-Kahn, pour qui « la victoire est possible » à condition de « bâtir la maison du renouveau. » Un changement, un renouveau qui sont pour DSK « l'essence même d'un programme social-démocrate nécessaire pour bâtir la France et l'Europe de demain. »

Grand parti progressiste ? Parti social-démocrate ? Pour ceux qui n’ont pas tout suivi, je rappelle que ces messieurs Emmanuelli et Strauss-Kahn sont aujourd’hui dans le même parti, un parti sans boussole, un parti sans message, un parti sans horizon, un parti sans avenir !

La conclusion est pour Laurent Joffrin, de nouveau : « quoi qu'en pense Jean-Luc Mélenchon, dinosaure chez qui la réalité met longtemps à arriver jusqu'au cerveau, le PS sera contraint de se tourner vers le centre gauche et d'assumer enfin sa nature réformiste. »

Eléphants ou dinosaures ?