Tunisie : l’excision, nécessité esthétique

Décidément, il y a encore deux poids, deux mesures en Tunisie. Alors qu’un jeune homme s’est immolé par le feu devant le théâtre municipal de Tunis parce qu’il ne trouvait aucun emploi, le débat porte sur l’excision ou l’arrestation de rappeurs critiquant la police.

Le rappeur Weld El 15 est en fuite, mais l’actrice Sabrine Klibi, et le producteur musical Mohamed Hedi Belgueyed sont détenus par la police après la diffusion d’un clip intitulé Cops are Dogs qui critique l’attitude des forces de « l’ordre ». Histoire de bien les désigner à la vindicte des islamistes et d’autres, la page Facebook de La Police de Tunis montre leurs photos en buste avec les détenus tenant en mains un panonceau donnant leurs noms, dates de naissance, adresses…
Commentaire d’un imprudent : « allez donc choper les membres de la LPR [Ndlr. Ligue islamiste] qui ont commis des actes de vandalisme… ».

La liberté d’expression reste de mise en Tunisie. On en veut pour preuve la récente sortie d’Habib Ellouz, membre éminent d’Ennahdah qui a estimé, lors d’une session de l’assemblée constituante, que, dans certains cas, l’excision des femmes relevait de « la chirurgie esthétique ». Cela vaudrait par exemple pour des pays chauds tels le Yémen (où la température est souvent plus clémente que dans le sud tunisien).
La chaleur entraînerait des « déformations » de l’appareil génital externe féminin. Et pourquoi pas, pour des raisons esthétiques, y ajouter aussi l’infibulation (couture des bords du vagin, après ablation des petites lèvres ou non) ? Habib Ellouz, toujours prompt à diffuser la propagande islamiste, est « personnellement contre ». Mais pour les autres ? Ennahdah s’est fendue d’un communiqué ne condamnant pas les propos mais spécifiant qu’ils n’engageaient que l’intéressé.

Selon le ministère tunisien du Travail, plus de 100 000 emplois ont été créés l’an dernier en Tunisie et le taux de chômage ne serait plus que de 16,7 %. Ce serait presque le double de ce qui était constaté dans les années du pouvoir de Ben Ali, est-il annoncé. Personne n’y croit vraiment, et surtout pas ce vendeur ambulant de cigarettes qui s’est immolé par le feu (et reste dans un état critique). Ni ses trois frères devenus orphelins de père voici quatre ans.

L’emploi progresse peut-être, mais l’inflation aussi, d’environ 10 %. Du coup, la Banque centrale tunisienne émet deux nouvelles pièces de deux dinars et de 200 millimes.

Un gouvernement provisoire a été constitué en l’attente d’élections qui pourraient se tenir entre la mi-octobre et la fin décembre. Soit peu après l’adoption de la nouvelle constitution. 19 des 28 ministres précédents sont restés en place.

Ennahdah espérait être évalué pour sa piété, le parti est désormais jugé selon ses performances économiques et autres. Les boucs émissaires manquant à présent, c’est l’ambassadeur de France, François Gouyette, qui a été accueilli hier lundi aux cris de « Dégage, dégage » dans l’enceinte de l’université des Sciences de Bizerte. Les « étudiants » brandissaient cette somme scientifique que serait le coran. Il est vrai qu’annoncer que, le 20 mars, sur l’esplanade parisienne Habib Bourguiba, une cérémonie d’inauguration du buste du premier président tunisien est malvenu : il passe désormais pour un mécréant, un mauvais musulman, aux yeux des islamistes.

Les travaux de l’assemblée constituante sont tellement passionnants que seul 89 élus (sur 217) se sont présentés ce mardi matin : du coup, l’ouverture la séance a été retardée.

En fait, Tunisiennes et Tunisiens se demandent si l’excision d’une large partie de la classe politique ne serait pas devenue une nécessité, à la fois fonctionnelle et esthétique.

Toutefois, la justice a estimé que la Ligue national de protection de la Révolution (LPR) devrait suspendre ses activités pour un mois : charge à la police de ne pas trop faire de zèle, si ce n’est contre des rappeurs. Cela fait peut-être suite à la déclaration du poète Amjed Al-Ilahi qui a été victime d’une agression à sa sortie du théâtre municipal de Sousse, due à des islamistes présumés. Pour leur part, les journalistes de Radio Sfax protestent contre une campagne de diffamation des LPR qui vise surtout leurs consœurs.

L’émancipation des femmes a surtout profité à celle – économique – des femmes des ministres et dignitaires ; en sus, les déclarations d’intérêts des élus ne comporteront plus celles de leurs épouses. La « blanchisserie islamiste » fonctionne tant pour d’anciens partisans de Ben Ali que pour les nouveaux venus, mais on voit que les épouses (ou compagnes) sont toujours choyées.
Les avocats pro-gouvernementaux aussi, tout comme lors des années Ben Ali…

On reparle un peu de l’exécution d’un leader de l’opposition, Chokri Belaïd, par un commando islamiste. Les complices sont arrêtés, mais la journaliste Khadija Yahyaoui qui avait publié, dimanche, dans Achourouq (ou Al Chourouk) que le tueur, Kamel Guadhguadhi, aurait été arrêté en Algérie et remis aux autorités tunisiennes a été convoquée par le procureur de Tunis. L’information avait été démentie tant côté algérien que tunisien.

En fait, les principales causes de la chute du régime de Ben Ali subsistent. Une bourgeoisie ou des possédants attachés à leurs privilèges, qu’ils soient musulmans modérés ou non, laïques ou pas, et une masse de pauvres, dont des jeunes, diplômés ou non, n’ayant pas des compétences de pointe recherchées par des sociétés étrangères ou ne disposant des bonnes relations pour trouver à subsister. Le jeune homme qui aurait tenté de s’immoler par le feu aurait été l’objet de tracasseries policières motivées par des plaintes de restaurateurs ou commerçants mieux lotis que lui-même.
Il avait poussé un dernier cri : « voilà la jeunesse qui vend des cigarettes, voilà le chômage ». D’autres se livrent à toutes sortes de trafics moins licites, en plus ou moins bonne intelligence avec les LPR des quartiers les plus défavorisés.

Mais Mouldi AlEl Moujahed, du parti Al Assala (salafiste revendiqué), se dit « réformateur ». Pour lui, interrogé par Oumma TV, « tous les musulmans sont salafistes », et le peuple musulman aurait « choisi la voie musulmane », en garantissant les droits des minorités religieuses ou autres, y compris celle des agnostiques ou athées. Al Assala vante un programme musulman de rechange garantissant « la paix sociale avec toutes les composantes de la société tunisienne ». Double langage ? Al Assala accuse à présent Ennahdha de faire « commerce de la religion » et le divorce semble consommé.

Tunisiennes et Tunisiens en viennent à se demander si les plus salafistes déclarés ont bon dos ou non et si le « pouvoir » n’est pas doublé par un autre, plus occulte. Un peu comme, en Turquie, un « État profond » plus affairiste qu’autre chose. Qui tient qui par la barbichette, qui tiendrait le pays « en otage », toutes les supputations sont possibles sur fond de crise sociale…

Première mesure du nouveau gouvernement : prolonger les soldes d’hiver jusqu’à la fin du mois de mars afin qu’elles couvrent les prochaines vacances scolaires débutant le 17. Tout un symbole.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Tunisie : l’excision, nécessité esthétique »

  1. [b]Pauvres tunisiens qui sont tombés de Charybde en Scylla ! Ce sont la police et l’armée qui sont toujours au pouvoir : les salafistes de toutes façon font leur jeu par intérêt et peur. D’ailleurs en Égypte c’est le même schéma. [/b]

  2. A propos de l’excision des femmes….
    Je me demande comment un homme peut-il savoir ce que ressent une femme dans son propre corps ? Ces remarques sont tout à fait sidérantes. Toutes les études scientifiques montrent clairement le nombre incalculable de problèmes que créées les MGF.
    Je souhaite partager avec vous une nouvelle très encourageante. Pour les femmes qui ont déjà subi cela….
    Suite au merveilleux travail du Dr. Foldes, un français urologiste et chirurgien, qui a développé une technique opératoire pour rendre leur sensibilité clitoridienne aux femmes qui ont souffert de l’excision, une association (ong) traite toutes celles qui souhaitent faire reconstruire gratuitement leur clitoris et retrouver le chemin du plaisir.
    Les opérations (+suivi psychologique) ont déjà commencé en France, aux Etats Unis…..et bientôt au Burkina Faso près de Bobo-Dioulasso dans l’hôpital du plaisir. Parlez-en autour de vous afin que le monde change pour les femmes. http://www.clitoraid.org

    Voici notre réponse 🙂
    http://fr.clitoraid.org/news.php?extend.103

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