Nicolas Beau, ex-coredchef de Bakchich, est aussi un spécialiste de la Tunisie (professeur associé à l’Institut Maghreb, Paris-VIII). Son blogue-notes met en lumière le rôle de Jean-David Levitte, le réel ministre des Affaires étrangères, dans les affaires intérieures (voire immobilières) tunisiennes. Nicolas Beau estime de plus que Ben Ali est moribond et que MAM pourrait faire l’objet d’un remaniement gouvernemental partiel.

Pour « les journaux » français traitant des affaires franco-tunisiennes, le sort de Michèle Alliot-Marie reste le sujet primordial d’actualité. Mais à la mode du « Machine à déclaré… » ou « Machin a répliqué… ». C’est beaucoup plus facile à traiter que de fouiller les détails des affaires immobilières des parents de MAM, leur éventuel volet fiscal (pour la récente cession d’une SCI, c’est certes un peu prématuré mais l’aspect fiscal tunisien mériterait d’être examiné : comme l’ont rappelé Le Canard et Mediapart, ou Rue89, un non-ressortissant investissant en Tunisie est soumis à de multiples contrôles). Ce qui est sûr, c’est que la fable de la « vie privée » de nonagénaires qui font, tels Liliane Bettencourt, « ce qu’ils veulent de leur argent » (déclarations de MAM et d’autres) tient difficilement la route. On comprendrait qu’ils claquent leur fortune dans les casinos que MAM, après Pasqua, a largement favorisés (source : des sites de casinotiers, et elle a conservé des liens, semble-t-il). Mais se lancer dans une SCI hôtelière en Tunisie, est-ce bien raisonnable à cet âge ?

L’interrogation est donc : « pour qui roulent-ils donc ? ». La question ne sera sans doute guère posée de sitôt par une presse traditionnelle et même Nicolas Beau, marqué pourtant par ses passages à Bakchich et au Canard enchaîné, ne fait qu’effleurer le sujet sur son blogue-notes, Le Blog tunisien de Nicolas Beau.

Cela se conçoit fort bien. Quand on n’a pas de « viande » vérifiée, on peut supputer, mais point trop n’en faut. Et comme dans l’affaire de l’escapade à Capri d’Éric Besson, Bakchich, comme d’autres, ne disposait pas trop des moyens et des accès aux sources réelles pour creuser encore davantage.

N. Beau se contente donc de suggérer d’élucider la nature exacte du bien immobilier que le père de MAM possède sur la côte d’Hammamet. Avec ce laconique commentaire : « à vérifier ». On peut penser qu’il ne s’agit pas d’une somptueuse propriété car, sinon, MAM y aurait logé avec ses officiers de sécurité et ses accompagnateurs lors de ses séjours à Hammamet. Oui, mais, tant qu’à faire : il n’y a pas de petits profits ; l’abondance du personnel des suites VIP du Phenicia alloué à sa personne devait flatter son ego.

La médialogie (ou médiologie) ne doit certes pas être l’apanage des journalistes préretraités ou s’étant recasés dans les facultés, mais, parfois, il est bon d’avoir un peu exercé pour décrypter le traitement des infos. Ainsi de la soudaine popularisation du blogue de Nicolas Beau. Créé le 4 février, il a été superbement ignoré des consœurs et confrères jusqu’à ce jour. De ses contenus, peut-être pillés sans trop de coupés-collés (on sait remanier), n’a été popularisée que l’annonce de l’attaque cérébrale dont Ben Ali a été victime. Transporté à l’hôpital de Djedda, il serait, selon une source tunisienne de N. Beau, dans le coma. Le même relève : « personne ne sait en revanche exactement où se trouve "la régente de Carthage" » (Leila Trabelsi-Ben Ali). Sur un tel indice, il se peut que la presse embraye (surtout, peut-être, en vue d’un « choc de photos » : certains s’apprêtent sans doute à planquer pour « taper la plaque » de Leila ou de ses fils et filles).

En revanche, pour s’intéresser de nouveau au rôle du général Rondot et de MAM dans l’affaire Clearstream II, pour creuser les liens de MAM avec un ancien responsable tunisien des casinos Partouche, ou pour tenter de comprendre ce qu’il en est de la plainte enregistrée par le parquet de Paris visant son dircab’ de presque toujours, Alexandre Jevakhoff, il n’y a plus grand’ monde. C’est long et délicat à couvrir, ce n’est plus de l’actu chaude, et fort complexe à expliquer à un lectorat considéré « par nature volatile », pressé, peu sensible aux intrications des enjeux réels en coulisses.

Or donc, on s’est très peu intéressé, jusqu’à nouvel ordre peut-être, à l’éclairage donné par Nicolas Beau sur ce ministre des Affaires étrangères de l’ombre qu’est Jean-David Levitte. On connait son rôle auprès de Nicolas Sarkozy, on se souvient qu’il avait décoré de la Légion d’honneur la dirigeante de Carlson WagonLit, et il y a bien « deux ou trois choses » autres que l’on sait de lui, pour reprendre un titre du cinéaste Godard.

Nicolas voit MAM pousséebvers la sortie en lui dédiant cette épitaphe ministérielle : « on ne regrettera pas celle qui fut l’héritière des réseaux les plus gangrenés de la chiraquie, en Tunisie et ailleurs. ». Mais cela ne changera guère la réalité présente puisqu’elle n’est sans doute plus qu’une potiche, détenant sans doute des dossiers sur un peu tout le monde, et que l’influence (relative) en Tunisie et ailleurs est, depuis même Kouchner, assurée par le réel ministre, Jean-David Levitte.

Madame Levitte et Hervé Novelli, ex-secrétaire d’État, étaient, voire restent des hôtes comblés par ce douteux amphitryon, Hosni Demmali, associé d’Aziz Miled, et N. Beau ne fait que le remémorer au passage. Ce qu’il révèle est plus grave.

Tant de modestes Tunisiens un peu trop liés au régime Ben Ali ou à sa police que d’autres, victimes du chambardement du monde des affaires et du tourisme, s’apprêtent à émigrer ou ont déjà fui. D’autres hésitent : ne vaut-il pas mieux courber l’échine, se faire discrets ou… miser sur l’avènement d’un nouveau dictateur désigné par un clan ou un autre ? L’ami libyen, Kadhafi, autrefois mécène des anti-Ben Ali, aurait sans doute bien volontiers accueilli son voisin et comparse en affaires s’il n’avait pas été si atteint par diverses maladies, dont un cancer. Et puis, son rôle dans une éventuelle agitation en Tunisie, menée par d’anciens partisans de Ben Ali, aurait sans doute été trop voyant. Peut-être a-t-il pris conseil à ce sujet auprès d’Ollier, le Roméo et petit prince de MAM, avec lequel il entretient, lui ou son entourage, des contacts anciens et réguliers.

Aussi, pour ne pas favoriser l’instauration d’un nouveau dictateur est-il utile d’aider les Tunisiens à établir une transition démocratique. Pas seulement en dispensant des leçons de bonne gouvernance dans le cadre de la nouvelle Francophonie, mais en apportant une aide financière. C’est sans doute ce à quoi songe un Obama, peut-être relayé, via les milieux d’affaires américains, par une Christine Lagarde en France. Or, un voyage de Christine Lagarde à Tunis, chargée d’exposer un plan de soutien concocté par un comité interministériel, était prévu « mardi prochain », indique N. Beau. Eh bien, Sarkozy, par la voix de Jean-David Levitte (ou peut-être l’inverse), a intimé à Lagarde de s’abstenir. « Levitte (jouant la politique du pire ?), indique N. Beau, s’est prononcé contre le voyage de Christine Lagarde. ». Finalement, il a été estimé que le report de cette visite déjà annoncée serait du plus mauvais effet. Le 22 février, Lagarde, accompagné de Laurent Wauquiez et de Boris Boillon, le nouvel ambassadeur de France, seront donc à Tunis. Arriveront-ils les mains plus vides que prévu par Fillon ? C’est toute la question.

Nicolas Beau remémore aussi que l’expulsion de Tunisie d’une journaliste du Monde, à l’automne dernier, avait été approuvée par Levitte en dépit des velléités de protestations officielles de la part de Kouchner et de Claude Guéant. En fait, Levitte activait de surcroît l’ambassade à se rapprocher d’Hosni Djemmali. On peut se demander pourquoi. Voyait-on en lui, des suites de la maladie de Ben Ali et  des dissensions entre certains de ses fils et la « régente de Carthage », un successeur ? Ou un faiseur de nouveau dictateur ? Autre conseiller élyséen favorable à une relève programmée et maîtrisée, selon N. Beau, Henri Guaino, le porte-plume de Sarkozy, nagerait dans les relations tunisiennes avec la même aisance qu’un Frédéric Mitterrand. Ou d’un Pierre Pasqua, rappelle opportunément N. Beau.

Un autre volet mériterait d’être soulevé par la presse. Quand j’avais rencontré Ben Ali (parmi tant d’autres : toute une délégation d’opérateurs de tourisme accompagnés de journalistes), qui s’apprêtait alors à prendre le pouvoir, l’ami Libyen était plutôt considéré un ennemi. Les grands acteurs et investisseurs du tourisme étaient alors des Saoudiens et les Émiratis. On donne Leila Trabelsi soit à Dubaï, soit à Tripoli. On peut se demander, et un Ollier ou un Levitte doivent peut-être déjà le savoir, si les accointances entre hommes d’affaires tunisiens, libyens et moyen-orientaux sont déjà à l’œuvre, soit à la manœuvre. En faveur de quel type de solutions ? Il s’agit bien sûr de déterminer la meilleure manière de préserver des avoirs, mais peut-être aussi de mettre divers fers aux feux pour ménager, tout en les menaçant, les intérêts américains. Par intérêts américains, il ne faut pas comprendre que ceux de l’actuelle administration, mais aussi ceux des clans Bush et néoconservateurs ayant des liens avec la famille Sarkozy. N. Beau ne va pas jusque là.

Mais on peut comprendre que la presse dominante n’ait retenu de ses écrits que la nouvelle brute d’une hospitalisation de Ben Ali.

Revenons à l’écume des choses et donc au sort de MAM. La consultation en ligne du Parisien à propos de son départ du gouvernement restera-t-elle aussi longtemps en une du site du quotidien que celle, naguère, du Courrier Picard sur la démission d’Éric Woerth ? En dépit de résultats plus qu’éloquents, et d’autres consultations comme celle d’Expression publique, Woerth avait été maintenu en fonctions jusqu’au bout. Les quelques bientôt 5 000 « votants » de ce matin se prononcent à plus de 68 % pour un départ de MAM. Du côté des favorables à son maintien, on peut se demander si la tentation de « plomber Sarkozy » avec un nouveau déni de la formule d’une « République irréprochable » ne génère pas quelque biais. Quoiqu’il en soit, le Nouvel Observateur se risque à la donner « en sursis ». Rien ne vient conforter ce titre, mais c’est un indicateur. Le fait que Roselyne Bachelot n’exprime à l’égard de MAM qu’une « ambiance de solidarité » qui traduirait de « la sympathie » personnelle des autres membres du gouvernement peut prêter à des interprétations ambigües. Mais sur le fond, l’essentiel a été exprimé par Nicolas Beau et plus récemment par Élizabeth Guigou, ancienne ministre PS, qui se refuse à réclamer la démission de MAM mais conclut (pour Le Point) : « La démission d’un ministre ne règle pas le fond du problème qui est de savoir quelle règle on se donne pour prévenir les conflits d’intérêts. ». C’est un peu court car si on comprend bien l’allusion aux conflits entre les intérêts privés et ceux, publics, de la Nation, l’important c’est peut-être, au sujet de la Tunisie (mais aussi du Maghreb, du Maghrek, du Proche et Moyen-Orient, les dissensions entre la famille ou le clan Sarkozy et de larges fractions de la majorité présidentielle, de la droite, et des milieux d’affaires. Nicolas Beau a certes eu plus que raison d’évoquer Jean-David Levitte. Pour le moment, sans trop susciter de confraternelles réactions…

Ah, oui, quand même, une dernière petite remarque en toute « confraternité ». Hormis Guillon, la gensdelettres et les Premiers Paris ne s’étaient guère empressés de creuser les infos de Nicolas Beau et de Bakchich à propos d’Éric Besson à Capri. Depuis qu’il est redevenu un électron libre, serait-il ne nouveau plus fréquentable ?

Actualisation

Du blogue-notes de Nicolas Beau ce vendredi, après que son info ait été recoupée par l’AFP auprès d’une mystérieuse source familiale dans un pays du Golfe.

« Nous reviendrons également sur les informations apparemment approximatives publiées par le Canard Enchainé sur les investissements immobiliers de MAM. La réalité, compte tenu des premières informations en notre possession, pourrait être bien pire que le récit du Canard. ». Comme l’établit N. Beau, la famille ou le clan Ben Ali abusait de prête-noms. Et MAM ? Peut-être, sur la fin du règne de Ben Ali, eusse-t-elle été mieux avisée d’en choisir de meilleurs que ses parents ? Si tant est qu’on puisse établir formellement qu’il est loisible de les qualifier ainsi.