Toute religiophobie devient intolérable animadversion

Et voilà donc Edwy Plenel qui s’y colle avec, dans Mediapart, un édito « Pour les musulmans ». En faisant grand cas du « Pour les juifs » de Zola. Pas mal vu. À cela près que le texte de Zola fut écrit à une époque – soigneusement occultée par la partie vociférante de la communauté juive française actuelle – où nombre de « juifs » prônaient le saucisson-pinard, ouvertement, au moins en compagnie de compatriotes, chrétiens ou autres, non-croyants. Ce qu’osent aussi, de fait, divers compatriotes « arabes » ou se revendiquant « berbères » – mais davantage en catimini de nos jours – dont l’islamophobie est largement plus virulente que ma religiophobie revendiquée. Plenel reste mesuré. Emporté par son zèle, Sébastien Fontenelle, sur Bakchich (.info) n’est pas loin de transformer toute religiophobie, y compris donc visant « le culte de la Raison » de la part de révolutionnaires de 1789, en animadversation. Nous devrions nous taire pour ne point encourager l’islamophobie. Avec Siné et d’autres, eh bien, non !  

C’est un fait. Je ne me mobilise guère pour stigmatiser les hindouistes, en tout cas ceux dont les abus et pratiques n’ont rien à envier à celles de certains musulmans, chrétiens, israélites, et j’en oublie. Quant on me rétorque que ces derniers – en général, les chrétiens – sont, en nombre, moins nombreux que les musulmans à défrayer la chronique des faits divers ordinaires, je m’en tire en relevant que la presse ne signale que fort peu l’appartenance à une culture particulière de Smith ou Dupont-Durand. Il faudrait évaluer si la presse égyptienne ne pointe pas un copte en tant que copte dès lors qu’il maltraite sa femme ou ses enfants…
Mais ma religiophobie n’a rien de compulsionnel et j’appuie Plenel lorsqu’il écrit, dans Mediapart, que « cette réduction des musulmans de France à un islam lui-même réduit au terrorisme et à l’intégrisme est un cadeau offert au radicalisations religieuses, dans un jeu de miroirs où l’essentialisation xénophobe justifie l’essentialisation identitaire. ». Idem pour les hindouistes, d’Inde ou d’ailleurs.
Je ne lui ferai pas le très mauvais procès de s’en tenir aux seuls « musulmans de France » et de ne pas signaler que des salafistes égyptiens, de pieux musulmans tunisiens, s’opposent vivement aux Frères musulmans, sous étiquette d’origine, ou « nahdiste ».

Juste un truc : les musulmans de France, c’est comme le peuple juif, une fiction. Aussi fictionnelle que ce « peuple breton » dont je me réclame pourtant, sans être trop naïf, sans m’illusionner sur un califat celte. Quant à la prétendue areligion (qui n’est point toujours tout à fait irréligion), je n’ignore pas qu’elle peut engendrer tant une religiosité belliqueuse, comme celle de certains nazis, que bénigne, comme dans le cas de la wicca.

Encore plus fouillée que l’argumentation de Plenel, celle de Sébastien Fontenelle, sur Bakchich (.info). C’est en accès libre, et découpé en quatre longs volets soigneusement documentés (et une autre demi-douzaine à venir). Là, je dis non, en bloc. Pas en détail car aucune démonstration, aucun élément rapporté, n’est fallacieux. Les faits sont les faits, fort bien exposés. Oui, alors que certaines dérives, voire crimes crapuleux, malversations, de certains israélites ou personnes se proclamant « juives » ont été minorés, le restent, sauf dans « une certaine presse », la dominante se lâche davantage lorsqu’il s’agit des musulmans.

M’a cependant fait sourire cette évocation de Jean Daniel s’adressant à Mitterrand pour dire que « le clocher de votre affiche électorale, dans peu de temps, vous le verrez entouré par deux minarets ». Pour les mêmes raisons, autant que pour s’affranchir d’un poids budgétaire qu’il estimait trop fortement croissant, De Gaulle s’est refusé à envisager une Algérie française, vraiment française, et de fait une France algérienne, à terme, démographiquement (avec l’apport marocain et tunisien transitant par l’Algérie, puis remontant de Tamanrasset à Dunkerque). On peut le déplorer. Penser qu’elle serait plus rigolote et moins énergétiquement dépendante. Et encore plus exportatrice de pinard, allez savoir…

1912 : « l’islamophobie n’a pas lieu d’être au Soudan ». Question de rapport de forces, tout comme l’antipaganisme en Gaule n’a eu lieu d’être qu’après la conversion de Clovis, remis et absous sans confession de tous ses meurtres familiaux commis après son baptême.

Les adorateurs du nombril (si, si, c’était une faible réalité, française aussi, dans les années 1970) ont eu la chance qu’aucun d’entre eux ou elles n’ait défrayé la chronique par un crime épouvantable. On en aurait fait aussitôt une secte sanguinaire. Ou par une escroquerie retentissante, ce serait devenu une franc-maçonnerie délictueuse, en bloc.

Je n’en fus pas. Manque d’opportunité qu’une sérieuse dose de curiosité, surtout si des agapes quelque peu marrantes et débridées s’ensuivaient, aurait pu être compensée par une démarche proactive. Si, en sus, quelque prospérité personnelle s’était profilée, eh, jeune et précaire, j’aurais pu transformer ma feinte adhésion à la centralité nombriliste en hypocrite prosélytisme. Je ne saurais donc le reprocher véhémentement à l’ancien grand rabbin de France qui émargeait à quelque 5 000 ou 9 000 mensuels (chiffres à vérifier), plus frais, droits d’auteurs, &c. Pas davantage qu’aux imams militaires ayant accès aux mess des officiers. Ou à certains monsignore italiens. J’en passe, de meilleurs, de pires, de braves gens comme de franches crapules. Plenel a fort raison de faire allusion aux jeunes des Jeunesses (ouvrières ou étudiantes) chrétiennes et de camper un possible parallèle avec de jeunes musulman·e·s. Il y a de tout qui fait un monde.

Fontenelle fait référence à Daniel Lindenberg (Le Rappel à l’ordre, Seuil) qui s’interrogeait sur la réception de qui « sous couvert de discuter des croyances, voire de condamner certains de leurs effets, revendiquait un droit à la judéophobie ou à la christianophobie ». Phobies peu exhaustives qui n’ont besoin d’aucun couvert, je vous les ressert… 

Fontenelle va nous distiller divers chapitres, revus et condensés, de son Les Briseurs de tabous (La Découverte), fort bien. Il établit la montée de la stigmatisation publique des musulmans, décrits indifférenciés, se parant sous les plis d’un « courageux refus de se laisser subjuguer par la bienpensance ». Salutaire pour démasquer les falsificateurs, les faiseuses ou faiseurs.

Mais on en vient, il en vient – sans doute pas sciemment, peut-être involontairement « pour de vrai » – à faire ainsi de tout·e religiophobe (encore que, oui, « phobe » renvoie principalement à la peur, bien davantage qu’à la réfutation des thèses religieuses et de leurs influences qui ne sont pas que bénéfiques) un croisé de la cause anti-musulmane. Onfray dans le même sac qu’un autre. Alors pourquoi pas Siné ou Cavanna ? Pourquoi ne pas aussi traquer la xénophobie chez Lafargue, gendre de Marx dont Plenel explicite le fameux « opium du peuple » (« phrases de compréhension qui (…) ne signifient aucune complaisance avec les idéologies religieuses »).

Car c’est ainsi qu’on en vient, comme Mona Chollet, du blogue Périphéries (.net), à faire de tout religiophobe un adepte de « cet étron déclaratif » consistant à s’opposer à toutes les religions uniquement sous prétexte de se dédouaner de toute dérive raciste ou xénophobe. Pourquoi la, le religiophobe ignorerait que « les religions (..) sont indissociables des populations qui s’en réclament ou qu’on y associe, de la culture, de la politique, de l’histoire, des rapports de domination entre les groupes sociaux ». Pourquoi donc la, le religiophobe, surtout issus d’une culture musulmane, devrait-elle ou il se restreindre, voire s’interdire de s’en prendre à l’islam, religion qu’elle ou il connaît peut-être beaucoup mieux, au moins aussi bien, ainsi que ses pratiquant·e·s, que l’adventisme ou les orthodoxies ? Et puis, cet entretien soigneux de la fiction d’un seul islam, en dépit de toutes les évidences, d’un christianisme, d’une orthodoxie, &c., quel baratin.

Idem pour le catholicisme apostolique romain dont les variantes haïtiennes ou sud-américaines ont fort peu à voir encore avec le bavarois ou le britannique (à la Tony Blair, par exemple).

Celles et ceux qui dénoncent l’islamophobie militante ou médiatique n’écrivent pas n’importe quoi. Mais d’aucun·e·s finissent par traquer la moindre faille. Ainsi, le religiophobe humaniste, selon Mona Chollet, ne défendrait que « le droit d’insulter les musulmans sous le noble prétexte de “critiquer la religion” ». Ah bon ? Pourquoi donc recommander la lecture de Plenel, Fontenelle ou Chollet ? Pour se donner des verges ?

Encore quelques mois, années, et la dérive vers un œcuménisme militant béat sera de bon ton. Avec des vaches sacrées ointes du croissant et de la croix, et d’autres, qui le seraient moins, sacrifiées halal ou casher dans des vapeurs d’encens et aspergées au goupillon ? L’Opus Dei quêtant avec les Frères musulmans rebaptisés Chevaliers du Croissant ? N’isolons pas ce passage outré, caricatural, de ce qui précède, mais remarquons qu’à ce train, on fera de Tariq Ramadan un humaniste laïcomahométaniste ultra-modéré. Il faudrait aussi béatifier Pinochet, tant qu’on y est (et ce fut tenté).

À ce train, on va bientôt voir en des Frères musulmans des variantes mahométanes du catholicisme social qui ne visait pas tant à humaniser le capitalisme qu’à le conforter, autrement.

D’accord, avec Marwan Mohammed (lire sur Rue89), pour remarquer que « cette “islamophobie de plume” n’est pas un espace monolithique », moins sur le fait d’énoncer que « tous ses protagonistes partagent l’idée qu’il existe un “problème musulman”, auquel les pouvoirs publics doivent répondre urgemment et fermement. ». Tout dépend de l’appréhension du problème, surtout de son ampleur, et du dosage de fermeté ne devant pas viser n’importe qui, n’importe comment.

N’oublions pas trop qu’en pleine xénophobie anti-boche (allez, aussi anti-chleu, sans h, avant l’heure, Fritz, fridolin, &c.) il y eut des Britanniques et des Français et d’autres pour fraterniser avec les soldats allemands (et les officiers, d’ailleurs).  Disserter sans fin sur les Chellouhs (non, ce n’est pas du verlan) devenus rifains (militaires sous uniforme français) puis comtois ou alsaciens et enfin soldats allemands, c’est aussi vain que de traquer les racines du terme islamophobie. Comme l’écrivait Montaigne, « les mémoires excellents se joignent volontiers aux jugements débiles », et qu’« islamophobie » remonte au début du siècle dernier ou à ce qu’impute Fourest aux ayatollahs, c’est un peu secondaire.

Dans mon coin, les Françaises et Français (et autres) de la xième (y compris la première) génération de l’immigration maghrébine (ou plus étendue) ne sont pas vraiment ostracisés, y compris les quelque peu « chelou » sur les bords. Fussent-ils ou elles musulman·e·s. Peu-être un peu « vaguement » (aucun coin n’est homogène). On peut s’y dire religiophobe sans problème. C’est rare de l’énoncer (guère besoin). Cela n’implique pas d’agressivité. Ni de retour marqué par l’animosité. Ce n’est guère plus tendu entre Serbes et Albanais. Ou Turques et Kurdes. On n’imagine pas que ce soient des djihadistes qui aient passé à tabac, à Kiev, Viktor Sviatski, proche des Femen. Pas sûr non plus qu’il s’agisse de fondamentalistes orthodoxes… Quoique…
Parfois, quand il s’agit du « débat » entre qui stigmatise l’islamophobie et qui la soutient et la justifie ouvertement ou avec tout un fatras de nuances, on se demande s’il ne s’agit pas d’un numéro de duettistes, comme à la télé, chacun faisant grimper l’audience…
Il faut dire que, dans ces parages, qui observe le ramadan, à la rupture de jeûne, s’enfile plus volontiers une mousse qu’un soda : eh, c’est moins cher, et ils ont pris l’habitude de ne plus servir de café en terrasse.

C’est aussi pourquoi « on » (entre potes de comptoirs) a l’impression que tout cela va commencer lentement à se décanter. Pourquoi ? Qui peut dire ou contredire avec des arguments irréfutables ?
Bon, tout cela fait du grain à moudre pour les journalistes allemands (avant une manif Pro Deutschland à Berlin) et tessinois (italophones) car, en Suisse, le débat sur le foulard (ou voile) a rebondi. Avec amplification du fait « burkini » (pour nager). Bah, rayé bleu et blanc, style marinière, cela fera peut-être tourner les usines textiles françaises. Si vous croyez que tous les commerces lourdais de bondieuseries sont assidus à la messe… Pourquoi n’en serait-il pas de même des marchands de versets coraniques à l’avenir ?
Allez, un peu de confiance dans la religiophobie tolérante… et doucettement communicative. Qu’on cesse quand même de faire de nous des xénophobes qui s’ignoreraient. Cela nous en remue une sans toucher l’autre, mais commence quand même à nous gonfler.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Toute religiophobie devient intolérable animadversion »

  1. Les musulmanes et les musulmans qu’il m’arrive parfois de fréquenter mangent l’ ordinaire garanti non halal de ma table , le font descendre à coups de canons et se dispensent de prier cul par dessus tête.

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