Que les militaires de Guantanamo et les agents de la CIA torturaient des islamistes ou des gens victimes d’apparences n’est guère une révélation. Dans ce pays pétri de religiosité et qui n’abolit pas la peine de mort, en dépit des multiples, récurrentes, erreurs judiciaires, c’est finalement… banal. En France, voici que Marine Le Pen, de manière mesurée mais marquée par un vécu très personnel, s’est imprudemment interrogée à haute voix. Passons… Plus pernicieux sont les propos de Gilbert Collard dont les réflexes professionnels l’ont emporté sur la réflexion personnelle. Pour lui, le recours à la torture permet de sauver des innocents. Certes, mais combien, et lesquels ?

Le journaliste Thierry Kubler avait réalisé un documentaire télévisuel confrontant une victime et un tortionnaire sud-américains. Gilbert Collard, avant de fustiger « cette espèce de lâcheté qui consiste à dire : “Tant pis que les innocents meurent pourvu que j’ai les mains propres” », aurait sans doute gagné à mieux se documenter. Quoique… Après tout, c’est un avocat, et une certaine déformation professionnelle fait que pour assurer la défense d’une cliente – Marine Le Pen, qui n’en demandait pas tant –, tout argument semble bon du moment que l’expression vous semble forte et crédible.

Les Britanniques, au cours de la dernière guerre mondiale, employaient des méthodes qui s’apparentaient à de la torture. Ils obtenaient des résultats mitigés, sans doute plus féconds que ce que leurs successeurs, face à l’IRA de l’Ulster, ont pu faire valoir en durcissant (c’est un euphémisme) les pratiques antérieures.

Le raisonnement est banal : un mal – la torture – pour un bien, soit déjouer un éventuel attentat imminent, sauver des vies.

Des vies qui sont la mienne, les nôtres, éventuellement. Oui, mais ma vie, nos vies, valent-elles davantage que celles d’autres, plus nombreux, exposés moins immédiatement à des attentats ?

Ce n’est pas en torturant, en réduisant des prisonniers au statut de cobayes, en leur infligeant des sévices que la plupart des tortionnaires répugneraient à employer sur des animaux, que l’on obtient ce qui est censé justifier de tels actes. Pour un attentat déjoué, combien de futurs terroristes prêts à en commettre d’autres ? En s’exonérant de leurs actes puisque « ceux d’en face » se montrent autant et plus cruels encore ?

Que vaut un prisonnier massacré ou rendu fou par de multiples sévices ? Quel temps et quelles énergies déployées pour retrouver et détenir, torturer à leur tour, des personnes désignées sous la torture ?

La ou le torturé peut se former la conviction que donner ou non des renseignements ne lui vaudra qu’une issue : l’exécution. Ce qui fut d’ailleurs le cas à Guantanamo.

De très nombreux témoignages, de multiples travaux, ont mis fortement en doute l’efficacité de la torture. Pour un attentat déjoué, combien d’autres ? Même les génocides les plus étendus ne parviennent pas à éliminer durablement toute tentative de résistance : parfois, en sautant une, deux générations, la progéniture lointaine des rares survivants réactive le combat. « Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place ».

Parmi les sunnites torturés et ayant pu survivre en Irak combien ont rejoint Daesh ?

Albert Camus s’était prononcé sur la question. La torture « a peut-être permis de retrouver trente bombes, au prix d’un certain honneur, mais elle a suscité du même coup, cinquante terroristes nouveaux qui, opérant autrement et ailleurs, feront mourir plus d’innocents encore. ».

Les plus zélés tortionnaires de l’OAS sont aussi devenus des terroristes poseurs de bombes qui ont fait des victimes innocentes (dont une petite Parisienne gravement estropiée à vie, car voisine de l’appartement visé).  Un Gilbert Collard assurerait-il aujourd’hui leur défense ?

Peut-être… En soutenant que les abominations du FLN leur ont fait perdre le sens commun ?

Soit que l’horreur engendre l’horreur ? L’effet retour, les États-Unis le subiront. Un jour, une semaine, un mois, une année, un lustre, une décennie ou l’autre… D’autant plus sûrement que sa population justifiera la torture au nom d’une efficacité dont elle n’aura pas pondéré l’effet boomerang.