Internet fabrique vite des réputations qui vous collent à la peau comme la tunique de Nessus. Car la toile a une trop bonne mémoire…
Il y a deux ans environ, sur un média généraliste concurrent, un auteur qui ne donnait ni son C.V ni sa photo publiait un papier consacré à de jeunes écrivains Africains francophones. Certains d’entre eux paraissant chez un de mes éditeurs, j’avais été curieux de connaître ces nouveaux confrères et consoeurs.
L’auteur de l’article n’était pas un tendre. Il décortiquait les faiblesses de narration, disséquait les failles de style, insistait sur la maladresse de certains dialogues. Tout en mettant en valeur les passages ou les chapitres lui paraissant particulièrement réussis. En bref, il faisait son boulot de critique littéraire.
Et puis, au détour d’une phrase, il employa le mot "négritude".
Rattachant à ce concept la démarche dialectique des auteurs mis en exergue. A la fois accablés et transcendés par la littérature française, catalysant deux mondes, trouvant leur créativité dans le funambulisme entre deux cultures.
Aussitôt mu par un réflexe pavlovien, l’énergumène patenté du site, grand imprécateur à la pensée binaire, se déchaîna dans une de ses logomachies corrosives, traitant l’auteur d’ignoble raciste, de fasciste et de néo-nazi. Rien de moins !
L’auteur n’étant pas en ligne pour répondre à ces incongruités, je crus utile d’éclairer la lanterne de l’inculte agressif dont j’ignorais alors la nuisance compulsive.
En lui expliquant que le terme de "négritude" avait été forgé dans les années 30 par Aimé Césaire, avant de connaître une consécration planétaire grâce à Léopold Sédar Senghor.
Un terme subversif au temps des colonies quand de grands intellectuels noirs clamèrent leur droit à l’égalité et à la dignité, tout en revendiquant leurs différences de sensibilité.
A ce moment du débat, l’auteur de l’article incriminé revînt pour nous dire qu’il ne pouvait plus nous laisser ignorer qui il était.
Cet homme était Africain. Et il était le "Bernard Pivot" de la télé de son pays, avant que celui-ci ne sombre dans la guerre civile.
Tout autre que l’énergumène se serait senti honteux. Aurait cherché une échappatoire. Essayé de se faire oublier. Lui, pas du tout ! Après avoir harcelé notre critique littéraire en lui inventant des arrière-pensées politiques néo-colonialistes (puisque la disqualification par le racisme ne marchait plus) il conclut que j’étais son complice !
Et par je ne sais quelle aberration de l’esprit, d’un glissement sémantique aussi sournois qu’une plaque de verglas, je me retrouvai dans le rôle du facho-raciste de service.
J’oubliai cette affaire. D’autant plus vite que certains propos de l’imprécateur mal embouché étant susceptibles de donner lieu à des poursuites pour injures et diffamation publiques, les webmasters préférèrent effacer toute trace de ces piteuses diatribes. Agresseur et agressés étant renvoyés dos à dos comme d’habitude.
Et puis…
Il y a quelques jours…
A l’occasion d’un sujet qui n’avait aucun rapport avec la littérature africaine… J’ai appris que j’étais toujours un affreux néo-nazi. "Ne niez pas, tout le monde le sait !" (sic) grasseya le reitre avec l’emphase glaireuse d’un maton de goulag.
Allais-je devoir me justifier ? Plaider mon innocence ? Et puis quoi encore ?
Je me suis alors souvenu de l’aphorisme du philosophe béninois Stanislas Spero Adotevi : « Le tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit sur sa proie et la dévore ! » Et je l’ai adapté à ma manière : le debater ne proclame pas sa démocratitude. Il lance ses mots et regarde les imbéciles crever d’indigestion !
Génial votre papier… hélas tellement d’actualité. J’adore votre conclusion.