The killer inside me…

Il fait plus clair juste avant la nuit ….

Adapté d’un roman de Jim Thompson, traduit en français sous le titre Le Criminel, THE KILLER INSIDE ME, dernier film de Michaël WINTERBOTTOM, retrace l’histoire de Lou Ford (Casey AFFLECK), policier de Central Station, une cité texane des années 1950.

Poussé par les culs bénis et un entrepreneur richissime, Chester Conway, Bob le shérif, charge Lou de débarrasser la ville d’une prostituée, Joyce Lakeland. Lors de la visite du policier, celle-ci l’agresse quelque peu, en réponse, Lou lui administre 23 coups de ceinturon, cette correction débouche sur une relation sexuelle.

Ce rapport sado-masochiste est le facteur déclenchant d’une addiction sexuelle que Lou ne peut que réitérer chaque jour. Joe Rothman, syndicaliste opposé à l ‘entrepreneur Chester Conway rappelle à Lou que son demi-frère a été assassiné par Chester et le crime maquillé en accident. Lou minimise apparemment l’affaire.

Chester Conway veut faire expulser Joyce parce qu’elle est l’amante de son fils Elmer mais il ignore que son fils a décidé de s’enfuir avec elle.

Lou est tenu au courant de cette affaire et par le fils et par le père, il joue sur les deux tableaux. Il voit dans cette trame matière à venger le meurtre de son frère. Il survient chez Joyce, la matraque de 34 coups de poing dont pas un ne nous est épargné, la laisse pour morte et, lorsque Elmer se présente à son tour chez elle, il le tue à l’aide du révolver de la prostituée et maquille ce double crime sous le couvert que les amants se seraient entretués. A partir de cette mise en scène, Lou, à l’abri de la loi, est amené à provoquer la mort d’un adolescent accusé à tort, à tuer son amante, Amy pour mettre le meurtre d’un mendiant qui a été le témoin nocturne de ses déplacements chez la prostituée.

L’enquête se resserre de plus en plus sur lui. Il est emprisonné quelques jours, placé en hôpital psychiatrique et comprend, à sa sortie, que les jeux sont faits. Il s’attend à une preuve irréfutable de la part des enquêteurs. Rentré chez lui, il vide essence, alcool, spiritueux, de la cave au grenier. Tandis que les forces de l’ordre cerne sa maison, Joyce, ressuscitée, défigurée, accompagnée des protagonistes de l’enquête, pénètre chez Lou. Ils se disent leur amour. Lou l’enlace pour la poignarder, les policiers tirent, la maison s’embrase et explose.

D’aucuns pourraient dire qu’il s ‘agit encore d’un film sur un psychopathe ; ce serait, je crois, une erreur d’abonder dans ce sens.

Le personnage interprété par Casey Affleck est à l’image de la justice américaine. L’un des plans du début le montre descendant l’escalier du palais de justice. Même façade, même face. Le visage de l’acteur lisse, glacé, fermé sur lui-même, son comportement sous couvert de la loi, renvoie à ce masque judiciaire qui, dans l’histoire américaine, n’a fait que couvrir les erreurs, les manques, les rétorsions et les intérêts d’une institution aléatoire.

Le charisme du personnage est renforcé par les jugements que le shérif Bob porte sur lui. Il le dit « aimable », n’ayant jamais « rien fait de mal », ne paraissant pas un « tueur ». L’acteur joue de sa voix au timbre à la fois aigu et éraillé, une voix de premier communiant. L’image de marque du personnage est constamment ciselée ; l’apparence du policier intègre, assermenté, renvoie illusoirement à l’image d’une justice objective et libre.

Lou Ford se sert de cette image de marque, de cette légalité et de ce pouvoir de policier pour venger en sous-main le meurtre de son frère. La vengeance serait-elle l’unique motif ? L’addiction sexuelle qu’éprouve Lou dans sa relation à Joyce, marquée par un sado-masochisme compulsionnel apporte une composante intolérable tant pour le sujet que pour le spectateur. Le réalisateur nous forcerait-il à assister à 23 coups de ceinturon et 34 coups de poings dans un contexte sexuel sans que nous ne criions grâce et n’acceptions la mort de l’objet d’amour ?

Véritable chef-d’œuvre, la mise en scène finale, celle du personnage qui n’est qu’un leurre de celle reprise par le réalisateur, aboutit à cette éradication par le feu ou par l’autodafé. Face à Joyce, déclarée morte tout au long du film et ressuscitée à la fin, face à tous les protagonistes de la justice et de l’enquête, Lou s’écrie : « Tout le monde est là » ; Chester Conway, « le méchant », Joyce la victime, Jeff, le policier « qui n’a pas de texte », Howard, le détective, Henrick, le procureur, excepté Bob le shérif qui s’est suicidé parce qu’à travers la perversion de Lou, il a découvert l’horreur de la justice.

Un dicton qu’il répète volontiers : il fait plus clair juste avant la nuit, prend un tour prémonitoire dans la mesure où l’incendie final illumine d’une vérité aveuglante et destructrice tout le film avant qu’il ne s ‘éteigne

L’ultime geste meurtrier de Lou est inséparable de l’amour que les deux amants se portent. Lou poignarde Joyce, tournant le dos à ce monde, le corps criblé de balles dont les impacts déclenchent d’emblée l’embrasement de la maison.

Ainsi le réalisateur fait exploser ces figures de cire de la justice, voire ce microcosme socioculturel. Lou en était le détonateur et la violence du film s’explique par cette destruction d’un ordre judiciaire qui n’a qu’une légalité d’apparat. Les amants enlacés dans la mort brûlent comme pris dans une représentation de l’enfer. La chanson qui intervient lors de cette séquence qui traduite dit ceci : Honte ! Honte ! Honte ! Honte soit sur toi ! Je t’ai donné mon cœur et tu me l’as rendu brisé ; ces paroles pourraient être celles du réalisateur adressées à cette Amérique des apparences, à cette légalité faussement établie. J’ai trouvé dans ce film les influences de deux maîtres du cinéma : King Vidor et John Ford. L’amour de Lou et de Joyce renvoie à la passion de Pearl et Lewt du film Duel au soleil (Duel in the sun) ce western américain réalisé en1946 par King Vidor. D’ailleurs les deux prénoms Lou et lewt sont homophones. A la fin les deux amants s’entretuent et meurent enlacés. Dans La Prisonnière du désert de John Ford, La séquence de la lettre, lue et représentée à la fois, qui montre Ethan et Martin Pawley dans une longue quête de plusieurs années à travers l’ouest, à la recherche de Debbie enlevée par les indiens, cette séquence apporte une notion de concentration du temps. En référence, Michaël Winterbottom crée une séquence splendide. L’inspecteur a retrouvé dans le sac d’Amy, après sa mort, une lettre adressée à Lou. Ce dernier la lit et l’imprévisible se produit car le réalisateur déploie cette séquence inexistante et pourtant visible.

Le film bascule magiquement dans l’irrationnel.

Casey Affleck campe un personnage incroyable. Léonardo DiCaprio est un enfant de chœur en comparaison. Admirable prestation de cet acteur soit qu’il soliloque dans sa version sensible, soit qu’il ruse dans sa version perverse, soit qu’il frappe comme habité par un autre qui guide ses coups. Il montre ainsi toute la dissociation du personnage, l’écart, le vide entre l’apparence et la violence foncière qu’il porte, ce qui fait écho à la faille entre le visage de la justice, ses faux-semblants et la prévarication qui l’institue. Il faut voir Casey Affleck passer une chemise blanche après le meurtre d’Amy, prendre un journal et feindre de lire, l’entendre siffloter au lendemain de tous ces crimes, on reste médusé devant un tel talent.