Ce ne fut d'abord qu'une rumeur qui s'échangeait d'un site à l'autre. Le Vatican allait lever l'excommunication concernant les évêques traditionalistes, plus habituellement désignés, dans les journaux de la grande presse la plus classique, sous le nom de lefebvristes ou "d'intégristes". Très rapidement la nouvelle fut confirmée : quatre évêques traditionalistes, excommuniés depuis 20 ans, allaient être réintégrés

 

Parmi les quatre évêques, figure Mgr Richard Williamson, qui est ouvertement négationniste, réduisant par là même le nombre de morts juifs du fait des nazis, à "200 000 ou 300 000",  et déniant leur existence aux chambres à gaz…
Le pape avait déjà donné des signes, laissant croire à un rapprochement entre l'Eglise et ses traditionnalistes, notamment en facilitant le latin durant les messes, avec la liturgie dite de Saint Pie V, sans demande obligatoire aux évêques, généralement hostiles à ce type de démarche.
Cette nouvelle pouvait choquer les catholiques fidèles au Vatican dans la ligne du concile Vatican II, concile que les "traditionalistes" refusent. Ils refusent l'ouverture ainsi que le dialogue avec les autres religions et les nouvelles formes liturgiques, autel retourné, prière du prêtre face à l'assemblée, langue vernaculaire…
A toutes ces raisons s'ajoutent la politique. On attribue aux groupements traditionalistes une certaine proximité avec l'extrême-droite et les mouvements royalistes, voire avec un certain "pétainisme", mais aussi une certaine forme d'homophobie et d'antisémitisme. Mgr Marcel Lefebvre, fondateur de la Fraternité Saint Pie X , s'était déclaré pour Jean-Marie Le Pen, seul à l'époque à s'opposer à l'avortement.
Reste qu'il est simpliste comme cela apparait dans nos journaux, d'opposer une église progressiste et dans la lignée de Vatican II à une église traditionaliste, possédant des relents de nationalisme brutal, matinés d'un brin de nazisme supposé ici ou là. Les deux courants s'opposent à l'homosexualité comme n'entrant pas dans la procréation, les deux courants sont contre l'avortement…
La question est donc plus profonde qu'il n'y parait, contrairement à ce que pourrait laisser penser les déclarations de certains catholiques, qui battent leur coulpe en public, presse professionnelle et citoyenne comprises, jusqu'au sang, étalant leur honte… d'être "catholique", à travers des pétitions et des déclarations allant à l'encontre de la réintégration des traditionalistes.

Bien sûr, Mgr Richard Williamson est un personnage qui tient des propos troublants, dans lesquels ne se reconnaissent généralement pas les catholiques, pas même les traditionalistes. Benoit XVI, comme Mgr Bernard Fellay s'en sont expliqués, en se déclarant solidaire des juifs pour le pape et en interdisant à l'évêque Williamson les propos en public sur les sujets historiques et politiques, pour Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint Pie X.
Mais si la fraternité désobéit, elle ne renie pas le pape, c'est en ce sens qu'elle se dit non-shismatique. Pour autant, dans la lignée du catholicisme traditionnel, elle ne veut pas reconnaître d'autres religions, d'autres "vérités". Mgr Lefebvre ne s'était-il pas ému de voir, lors des rencontres inter-religieuses d'Assise, une statue de Bouddha sur le tabernacle, jugeant que cela contredisait le premier commandement : "Un seul dieu tu adoreras"?

Le principal reproche fait par les Lefebvristes, outre le fait que désormais Dieu est devenu "tutoyable", réside dans la façon de dire la Messe. Rappelons que depuis des siècles, la Messe catholique a pour but "le renouvellement non-sanglant du sacrifice de Jésus Christ". Pour les Catholiques, la Messe est le point central d'où tout part et tout revient.

Dans l'esprit du catholicisme, la Messe est un moment de communion des âmes entre les croyants, pour lesquels Jésus Christ n'est autre que l'Incarnation de Dieu en homme, Dieu-Homme qui se sacrifie pour sauver l'ensemble des hommes.

N'entrons pas dans un débat qui n'a pas lieu d'être ici, c'est à dire la vérité, ou le fantasme de cette théorie. Le fait est que, pour un Catholique, la Messe représente ce sacrifice, et l'incarne.

Le latin fût utilisée, non pas comme langue du Christ, sachant que Jésus parlait l'araméen, mais comme langue officielle de l'Eglise. La langue latine avait la particularité de réunir les premiers croyants, dans un monde où l'empire romain tenait toute la place, au-delà des langues vernaculaires. Restée intacte, elle ne s'était pas altérée, comme toute langue pratiquée couramment. Elle représentait une forme d'unité entre les hommes.

Au fur et à mesure des conversions, le latin devenait la langue officielle de "ceux qui croient".

Un exemple illustre parfaitement l'intérêt de cette langue : Au cours de la 1ere guerre mondiale, dans l'enfer des tranchées, quelques uns ont organisé une trêve pour le jour de Noël. Allemands, Français, Anglais, Canadiens, assistèrent tous à la Messe, en latin, tous la comprirent. Tous communièrent, durant quelques instants, dans la même langue, transcendant cet instant par là-même, dans une véritable fraternité, par delà les antagonismes.

Mais au tutoiement du Christ, à la disparition de la "langue unitaire", vinrent, au grand regret des traditionalistes, s'ajouter la division par 5 du nombre de signes de dévotion (signes de croix, génuflexions …), le remplacement des Autels surmontés de crucifix,  par des tables de pierre, posées devant les anciens Autels, le prêtre faisant dorénavant face aux hommes, tournant le dos à Dieu.

En effet, Vatican II a tourné l'Autel vers les hommes, là où la tradition considère que les hommes doivent se tourner vers Dieu, comme le prêtre, disant la messe, le fait dans ses célébrations, se mettant face à Dieu, comme les autres fidèles.

Mais Vatican II avait peut-être d'autres ambitions, dans un monde de plus en plus petit, où les catholiques n'étaient plus tous européens, mais de cultures diverses, dans un monde où le communisme athéiste occupait un large espace : se rapprocher des peuples non-européens. Dans les Evangiles, Jésus évoque le premier commandement : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ta force et de toute ta pensée" le mettant à égalité avec "tu aimeras ton prochain comme toi-même".

Se rapprocher des hommes, se rapprocher de Dieu, deux façons de servir Dieu, deux faces du catholicisme, dans lesquels la tradition et l'après-Vatican II sont peut-être compatible, même si les prêtres d'après Vatican II perdent des fidèles, tandis que les traditionalistes en gagnent, même si, en s'aventurant au-delà des anciennes traditions, le catholicisme après Vatican II perd une bonne partie du sens qu'elle avait acquis avec le temps, par des messes plus dépouillés et plus libres, trop proches, selon les traditionalistes, du protestantisme.

Les évêques "réintégrés" ne le sont pas encore tout à fait, comme le dit un article du  journal "La croix". Tout n'est pas encore réglé. Ils sont les évêques intronisés par Mgr Lefèbvre en personne, pour transmettre la tradition de l'Eglise, telle qu'elle se vivait avant le concile et telle qu'elle est restée pendant si longtemps. Il est plus que symbolique de les réintégrer, mais il ne s'agit que d'un premier pas : la réconciliation n'est pas encore consommée, il leur faudra reconnaitre l'autorité du pape pour cela et reconsidérer le concile.

Savoir si l'un de ces évêques a le bonheur de plaire ou non aux juifs est secondaire dans cette réconciliation. Après la discorde au sujet du pape Pie XII, qu'un rabin défend dans son livre, en mettant en avant les rescapés des suites de son action, dans le mépris silencieux des grands journaux, cette nouvelle présentant le négationisme d'un évêque ne représente pas la pensée de Rome. Dieu seul sonde les reins et les coeurs…

Enfin la presse ne se base que sur des critères qu'elle édicte elle-même pour juger du catholicisme. L'élection du pape se transforme en plébiscite pour un pape originaire d'Afrique, elle émet des voeux (pieux, bien sûr…) pour l'ordination des femmes et demande le mariage des prêtres… Elle devrait sans doute prendre la mesure des choses comme elles sont : le pape n'est pas un prince du monde, l'Eglise n'est pas un parti politique.

Enfin, l'antisémitisme de l'Eglise sonne trop souvent comme une farce : il va de soi que le christianisme, issu du judaïsme, ne lui est pas en tous points conformes. En cette année de commémoration de Saint-Paul, il sera redit que Saul, premier nom de Paul avant sa conversion, martyrisait les chrétiens. Si le judaïsme ne reconnait pas Jésus comme le Messie, il va de soi, que pour les chrétiens, le judaïsme est dans l'erreur… Cela n'empêche pas le dialogue… Le judaïsme n'est pas une race, c'est un courant religieux.

Mais comme le dit Mgr Fellay, dans son communiqué sur les propos de Mgr Williamson : "Il est évident qu'un évêque catholique ne peut parler avec une autorité ecclésiastique que sur des questions concernant la foi et la morale. Notre Fraternité ne revendique aucune autorité sur les autres questions. Sa mission est la propagation et la restauration de la doctrine catholique authentique, exposée dans les dogmes de la foi."
L'Eglise est en difficulté depuis Vatican II et cherche sans doute, à travers son unité, un nouvel élan. En son temps, Brassens chantait déjà "Sans le latin, la messe nous emmerde". En soi, les traditionnalistes ne font qu'appliquer la tradition de l'Eglise jusqu'à Vatican II, il n'est donc pas illogique que Rome finisse par les reconnaitre, d'autant qu'ils ne sont toujours déclarés dans sa lignée… ou tout au moins spirituellement fidèles à Rome, Rome qui pourrait leur trouver un statut spécial au sein de l'Eglise, si la réconciliation se confirme.
Que le lecteur nous pardonne d'avoir fait un peu long. On lira avec intérêt le billet très intéressant et très détaillé de Koz, qui de son côté ne se réjouit pas de ce rapprochement.

 

Merci à J-M S