(à la manière de JM…)

Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde.

A chacun ses vices !

Le moindre des miens est de m’être abonné de fort longue date à la revue Science & Vie.

Depuis suffisamment longtemps en tous cas pour me souvenir qu’elle évoqua la question de l’encéphalopathie spongiforme bovine (que vous connaissez peut-être mieux sous son charmant diminutif ESB) au moins dix-huit mois (pour ne pas dire trois ans) avant qu’aucun autre média n’en traite et donc sensiblement plus longtemps encore avant que la moindre mesure sérieuse soit prise pour faire face à ses effets pernicieux.

De ce fait, ce n’est pas sans quelques frissons que j’entrepris la lecture de son numéro 1164 (septembre 2014) en le découvrant tapi au fond de ma boîte aux lettres.

 

Non que je sois rétif aux charmes des Supercalculateurs, ni à ceux du Crash en Ukraine, ou du Sens du Rythme ; moins encore à ceux de la Paléobiologie, des Neurones Laser ou des Orages.

Fermat, ni le Système Solaire, ni les Télescopes ne me laissent non plus totalement indifférent. J’accepte tout aussi bien de m’interroger sur la Notation des Élèves et d’avouer mon admiration pour les exploits des Cellules Souches et de la Sonde Rosetta, chacune pour ce qui les concerne.

Mais dans l’émotion, rien de comparable au micro-séisme déclenché par l’abrupte découverte que les autorités de notre pays se préparent à réagir à la version gauloise de Tchernobyl et de Fukushima… Tout ceci, à l’heure même où la simple hypothèse de l’évocation d’une éventuelle réflexion sur l’opportunité d’envisager une possible transition énergétique suscite de vigoureux débats où s’entrechoquent courroux outragés et dénonciations péremptoires, à La Rochelle tout comme ailleurs…

Du coup, mes yeux se mirent à lancer de vigoureux SOS au cerveau sensé être à leur écoute (je le reconnais : c’est une image un peu hasardeuse et même franchement impropre ; mais elle a le mérite d’illustrer le tsunami dont ils furent l’objet). Les vôtres seront peut-être victimes du même phénomène, à voir la taille de la police du titre principal, mais aussi (pour ne pas dire « surtout ») le temps auquel se conjugue le verbe du sous-titre 

Comme moi, vous avez bien lu : « se prépare » ; au présent de l’indicatif, dans le plus total déni d’un hypothétique futur ou d’un éventuel conditionnel. Au risque de paraître un peu lourd peut être, permettez-moi d’insister sur le fait que cela signifie que la seule question n’est pas de savoir SI un accident se produira, mais QUAND il surviendra ! ! !

Et de la page 48 à la page 65 se développe un dossier sobrement introduit par un encadré intitulé « Et si … », qui se conclut ainsi : « Les pages qui suivent montrent les moments décisifs de ce qui n’est, pour l’heure, qu’une fiction. La plus réaliste possible ».

Dossier organisé en seize thèmes :

  • Est-on sûr que l’alerte sera entendue par tout le monde ? (ça commence bien !)
  • Y aura-t-il suffisamment de comprimés d’iode ?

  • Comment la population sera-t-elle évacuée ? Une catastrophe qui dépasse les frontières

  • Quels territoires seront condamnés ?

  • Comment saura-t-on si l’on a été contaminé ? La difficile traque des radio-éléments

  • Qui viendra stabiliser la centrale ? 300 « urgentistes du nucléaire » en France

  • Faudra-t-il abandonner le bétail en zone interdite ?

  • Pourra-t-on vraiment se fier aux informations officielles ? L’aide citoyenne envisagée

  • Quel sera l’impact de la catastrophe au-delà de la zone interdite ? Le contrôle des aliments à l’épreuve

  • Sera-t-il possible de tout décontaminer ? La piste des OGM

  • Comment se débarrasser des déchets radioactifs ? Un incinérateur spécifique

  • Que vont devenir les réfugiés ?

  • Comment sera suivi l’état de santé de la population ?

  • Qui indemnisera les victimes ? Les économistes ont fait les comptes

  • Reviendra-t-on un jour en zone interdite ? La nature irradiée sous l’œil des scientifiques

  • Les générations futures seront-elles concernées ? Le casse-tête agricole

Seize thèmes sexys sans aucun doute, mais conjugués au futur raide et rigoureusement à poil du moindre préservatif conditionnel,vous l’aurez sans doute observé !

On lit même, page 66, qu’« Ukrainiens et Biélorusses, qui ont survécu aux pires atrocités de l’Histoire, se trouvent démunis face à cette tragédie incompréhensible et sans fin, sans limites claires dans l’espace et le temps, sans bilan définitif ». Ce sont les séquelles de Tchernobyl qui sont ainsi visées ; pas Poutine !…

Suivent quatre autre pages opportunément intitulées « Oser regarder le risque en face ». Ouf ! « le risque » ; pas « la réalité », même si le sous-titre précise « Fukushima a achevé de le prouver :Tchernobyl n’était pas une exception. Après des années de déni, les autorités affrontent enfin l’hypothèse du pire ».

Sans doute afin qu’aucun de ses lecteurs ne se sente lésé, l’article s’illustre d’une infographie (que j’ai baptisée « Peau de léopard », renonçant ainsi à « Peau de panthère » pourtant plus esthétique, mais qui aurait couru le risque de prêter le flanc à aucune attaque en sexisme effronté).

Laquelle est suivie d’un rappel chronologique : « La France a plusieurs fois frôlé la catastrophe nucléaire », ce qui ne heurtera aucun des lecteurs qui se souviennent parfaitement, comme il convient, des reportages télévisés diffusés le 17 octobre 1969 et le 13 mars 1980 (pour Saint-Laurent des Eaux), le 12 mai 1998 (pour Civaux), le 27 décembre 1999 (pour Le Blayais) et le 2 décembre 2009 (pour Cruas).

Pour ma part, je les avais perdus de vue…

Heureusement, la page finale apporte (enfin !) une réconfort bienvenu et rassurant : sous le titre « Accident nucléaire en France : quelle probabilité ? », on apprend que « chacun de nos 58 réacteurs présenterait(tiens : le premier conditionnel…) une probabilité annuelle d’accident de 1 pour 100.000 à 1 pour 1.000.000 »,autant dire rigoureusement négligeable, puisqu’aucune de ces installations n’atteindra, Fessenheim qui s’en dédit, le quart, ni même le dixième de cet âge canonique.

Mais au fait, vous souvenez-vous de cette anecdote que je vous ai livrée jadis ? Elle survient assez systématiquement en conclusion des stages consacrés à la gestion préventive des accidents, lorsqu’il s’agit de reconnaître que le risque zéro n’est qu’une chimère et qu’il est donc impératif de convenir d’un niveau de risque acceptable.

Une bonne raison pour l’avoir oubliée serait que j’ai oublié de vous la conter. Alors, la voici, chef ou derechef .

Les stagiaires sont invités à prélever un bonbon dans le récipient qui leur est présenté, suffisamment vaste pour en contenir plusieurs milliers. Quelques moments plus tard, alors que le dernier gourmand servi est déjà en train de déguster sa récompense, l’animateur annonce : « Parmi toutes ces friandises,une contient du cyanure ; mais une seule. Je suis désolé d’avoir négligé de vous en informer plus tôt … »

Et le constat est alors rigoureusement universel : en une fraction de seconde, le niveau du risque jugé acceptable se trouve divisé par un million, au moins !…

C’est peut-être cette anecdote qui me vaut le froid ressenti dans le dos (la trouille peut-être,aurait dit Coluche, plus crûment mais plus justement). Je vous souhaite d’en être épargnés, lecture faite de ce billet. Dans le cas contraire, à vos plumes,commentateurs et commentateuses, pressés de m’éreinter comme il se doit pour avoir osé une telle atteinte au moral des troupes, qui me vaudrait à coup sûr le peloton d’exécution si nous étions en temps de guerre !…

Ar’vi ‘pa …

 

NB 1 : toutes ces informations me font le pertinent rappel qu’il est deux signes auxquels reconnaître infailliblement que l’on vieillit : le premier est de perdre la mémoire.

Quant au second, je ne m’en souviens jamais ! Mais, grâce à Google, l’antidote d’Alzheimer, on peut vérifier que les chaînes ne diffusèrent pas le moindre reportage le 17 octobre 1969 sur l’accident de niveau 4 ( !…) survenu à Saint-Laurent des Eaux. En revanche, Le Point et La Dépêche publièrent des articles, dès le 14 et le 22 mars, respectivement. Le 14 et le 22 mars 2011 !…

NB 2 : on trouve des applications pour smartphones qui émulent des compteurs Geiger ; ce n’est surement que pure coïncidence. Je laisse le soin aux C4Niens compétents en la matière d’en faire l’analyse et de nous en communiquer les résultats