Alors que Bernard Tapie revient sur sa décision de ne pas reprendre les titres de presse du pôle sud du groupe Hersant Medias, son fils, Laurent, se retrouve aux prises avec le fisc, indique Mediapart. Faut-il y voir une coïncidence ou… n’y rien voir ? En tout cas, Bernard Tapie l’a emporté : le groupe belge Rossel avait proposé 48 millions d’euros, Bernard Tapie et la famille Hersant ont déposé 50,5 millions. La vente, qui sera logiquement actée mi-janvier, fait de Bernard Tapie un patron de la PQR (presse quotidienne régionale).

Selon Le Canard enchaîné (et quelques autres titres de presse), Matignon ou l’Élysée auraient fait pression sur des banques françaises – très heureuses de voir la réforme bancaire ne porter que sur un centième de seconde, pour résumer – afin qu’elles n’accordent pas à Bernard Tapie les prêts qu’il sollicitait pour acquérir auprès de Philippe Hersant et consorts le quotidien marseillais La Provence, et d’autres supports de presse.

Pression du pouvoir ou non, deux établissements financiers sollicités ont refusé de participer au tour de table qu’avait organisé Bernard Tapie. Du coup, ce dernier se retirait, déclarant à qui voulait l’entendre qu’il ne reviendrait pas sur cette décision.

Oui, mais dans une lettre datée du 18 décembre que reproduit Libération, Bernard Tapie fait une nouvelle offre. La Provence, Nice Matin, Var Matin, Corse Matin et les titres que contrôlait de longue date Philippe Hersant outremer l’intéressent toujours.

Il aurait d’ailleurs la préférence de l’actuel propriétaire et le seul concurrent, le groupe belge Rossel, n’a pas une farouche envie de s’étendre au sud de la France.

D’ailleurs, l’offre du groupe Rossel devrait tout à une incitation du cabinet du ministre Montebourg qui, selon des « fuites », aurait garanti que BNP-Paribas apporterait tous les fonds voulus pour cette reprise.

La lettre est datée du 18 décembre, Bernard Tapie a confirmé qu’il revenait en lice, et voici que ce 19 décembre, Mediapart indique que la société de Laurent Tapie fait l’objet d’une descente d’inspecteurs du fisc accompagnés par des policiers.

Ce ne serait pas tant les affaires personnelles de Laurent Tapie qui intéresseraient Bercy mais bien celles de son père. La société perquisitionnée, Bernard et Laurent Tapie Développement (BLT, sise rue de Penthièvre, sur la rive gauche), a pour président et principal actionnaire Tapie père.

L’État, du temps de Sarkozy, avait doté cette société de plus de 300 millions d’euros (une centaine couvrant des arriérés fiscaux) sur un total de 403 millions concédés généreusement pour solder un différend avec Le Crédit Lyonnais.

Le nom commercial de l’affaire est Les Combines à Nanard. Il s’agit d’un site de « bons plans » (réductions sur divers produits mis en vente par des sociétés commerciales).

Selon Mediapart, le contrôle viserait une activité de la société à l’île Maurice où a un temps résidé Laurent Tapie. « Bernard Tapie nous a par ailleurs indiqué qu’il s’agissait au moins du douzième contrôle fiscal dont ses sociétés ou celles de son fils faisaient l’objet depuis quatre ou cinq mois, » rapporte Laurent Mauduit.

Quand au juste Bernard Tapie a-t-il manifesté son intérêt pour la reprise des titres « azuréens » et ultramarins de GHM ?
Ceux-ci, comme la plupart des régionaux, et même des nationaux, ne rentabilisent pas vraiment leurs sites et les ventes comme les recettes publicitaires chutent : accès gratuit aux contenus (enfin, la plupart) et crise se conjuguent.

On ne connaît d’ailleurs pas trop les intentions de Bernard Tapie. S’intéresse-t-il d’abord à La Provence et à Marseille, ou veut-il vraiment s’investir dans un plus large groupe de presse ?

Bernardtapie.com, le site des bonnes affaires de Nanard, est en fait un portail qui répercute des offres de rachat de crédit, de ventes de voitures, de billets pour des spectacles, ou d’avion, des assurances, &c. Ce site ne promet pas la lune mais presque : 269 % de mieux en budget mensuel disponible pour les ménages. « Plus que tripler l’argent disponible en fin de mois. » On peut y croire… Il est certain qu’en proposant pour un temps limité des costumes pour messieurs sur mesure à moins de 330 euros (au lieu de 600, somme bien faible pour un costume en très bon tissu style Dormeuil d’un grand tailleur), l’économie est forte… sauf si l’on s’adresse à un site chinois qui transmettra les mesures à un tailleur de Madagascar.
Mais ce n’est pas avec des costumes sur mesure que se prépare le pot-au-feu du soir.

Au Parisien, Bernard Tapie déclarait « j’aurais laissé le soin à des professionnels de diriger les journalistes et la ligne éditoriale pour ne m’occuper que du marketing, de la stratégie et de l’événementiel. ». Il affirmait alors avoir renoncé : « je n’y suis plus et je ne veux plus y être ».

Ce sera le tribunal de commerce de Paris qui tranchera entre lui et le groupe Rossel. « Mais ce dernier n’aurait pas placé la somme nécessaire sous séquestre, » indique Challenges. Bernard Tapie devrait s’appuyer sur la procédure de Sauvegarde financière accélérée qui permet d’attribuer une société à un repreneur si 66 % des créanciers en sont d’accord.

Philippe Hersant ayant épuré ses dettes pourrait revenir à ses titres initiaux, ceux du groupe France-Antilles d’avant le rachat du quotidien champardennais L’Union (revendu depuis tout comme tous les titres de GHM couvrant le nord et l’est de la France). Les quotidiens des Antilles et de Nouvelle-Calédonie, très peu concurrencés, resteront donc dirigés par Philippe Hersant.

Selon d’autres sources, le fisc voudrait encore redresser le groupe Tapie d’environ 17 millions d’euros.

Selon Mediapart, Bernard Tapie aurait aussi été (ou resterait) intéressé par Full Tilt Poker (jeux en ligne). Le site de Laurent Tapie ne serait guère rentable. Ce serait plutôt la spéculation immobilière via le promoteur Geoxia, et des financiers russes, qui permettraient à Laurent Tapie d’envisager des profits.

Mais Laurent et Stéphane (l’autre fils Tapie) sont aussi à la tête d’une Sarl, Talenteis, sise dans l’hôtel particulier des parents Tapie, rue des Saints-Pères. Le site de Talenteis propose aux professionnels du spectacle (ou à des artistes, peintres ou musiciens, des organisateurs d’événements culturels, &c.) de se fédérer. L’inscription est gratuite pour tout le monde : intermittent du spectacle, association, collectivité, autres. Hormis d’aider à la recherche de subventions, on ne voit pas trop l’intérêt du site, qui aurait d’ailleurs été subventionné.

Les Tapie gèrent aussi une société belge, GBT Holding, au capital dépassant 200 millions d’euros. Cette holding, selon Rue89, détiendrait en fait toutes les sociétés françaises, voire autres, de la famille Tapie.
Barnard Tapie Events aurait pour pendante GBT Events en Belgique, de nombreuses sociétés seraient dupliquées, sauf Aircraft Management Services qui gère un jet privé. « Grâce à son Meccano bruxellois, Bernard Tapie a donc réduit la pression fiscale pesant sur sa fortune personnelle, » concluait François Krug, de Rue89.

Que le groupe Rossel l’emporte ou non, les quotidiens du sud-est de la France risquent donc de se retrouver belges de toute façon. Ils vaudraient à présent plus de 50 millions d’euros (quotidiens d’outremer inclus). Le dossier doit être bouclé d’une façon ou d’une autre (acquisition, redressement ou liquidation) le 24 décembre. GHM doit 215 millions à diverses banques mais se développe en Suisse.

Ce matin, La Provence avait barré sa première page d’un gros titre : « Comment expliquer cette folie ? ». Ce n’est pas de la reprise du groupe, mais d’un drame familial (à Salon). Nice-Matin titrait sur «&nbs;La Fin de Texas Instruments » (527 emplois supprimés à Villeneuve par le fabricant de calculettes), Var-Matin préférait faire sa une sur « Brigitte Bardot vole au secours de l’exilé Depardieu », et Corse-Matin s’intéressait plutôt au retour en Corse du prix Goncourt, Jérôme Ferrari. Rien sur Tapie.

La plupart des titres ont préféré, en temps utile, reprendre la dépêche de l’AFP selon laquelle Nanard viserait surtout la succession de Jean-Claude Gaudin à la mairie de Marseille, ce dont l’ancien président de l’OM se défend. Tout comme il dément être pris de l’envie de reprendre l’Olympique de Marseille…

Dans la soirée, Laurent Tapie déclarait à l’AFP avoir fait ce jour l’objet d’un contrôle fiscal, mais uniquement à propos de sa situation personnelle. L’avocat de Bernard Tapie a fait savoir que « ce contrôle ne concerne en aucun cas Bernard Tapie ni les sociétés en sa qualité d’actionnaire. ».

En fin de soirée, Bernard Tapie devenait patron de presse : il s’arrangera avec la famille Hersant et dirigera sans doute La Provence, Var-Matin, Corse-Matin, Nice-Matin. Leurs rédactions semblent attendre demain pour faire part de la nouvelle à leurs lectrices et lecteurs. Il avait consigné plus de 25 millions d’euros (la famille Hersant le reste). Dans sa proposition de rachat, Bernard Tapie se serait engagé « à ne pas postuler à quelque mandat électoral que se soit. ». Peuchère, pas même la présidence d’un club de pétanque ?