Centres de rétention administrative : une situation explosive

Le 22 juin dernier brûlait le Centre de rétention administrative de Vincennes (CRA), des "retenus" ayant mis le feu à leur matelas. Quinze jours auparavant, la très officielle Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d’attente (CRAZA) avait, suivant la formule établie, "tiré la sonnette d’alarme", dans un rapport remis aux ministres de l’Immigration Brice Hortefeux et de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie. La commission avertissait d’un "climat de tension et de violence qui règne de façon permanente dans tous les CRA et spécialement à Vincennes, où un rien suffit à mettre le feu aux poudres". L’incendie du CRA était donc prévisible et les autorités prévenues. Qui porte alors la responsabilité du sinistre ? Hortefeux, Alliot-Marie et Nicolas Sarkozy, donneur d’ordres suprême de la chasse aux sans-papiers, pour avoir créé des situations explosives ? Pour Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, pas du tout : il avait incriminé une poignée de militants de Réseau éducation sans frontières qui manifestaient aux abords du centre. Ce refus d’assumer ses responsabilités pourtant évidentes témoigne d’un défaut absolu de courage politique. Que s’est-il passé dans les CRA depuis le 22 juin ? Les conditions de rétention se sont-elles améliorées ? Qu’a fait le pouvoir pour éviter que ce type d’incident ne se renouvelle ? Réponse : rien. Alors rebelote.

Hier, c’est le CRA du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) qui faillit s’embraser. Un militant du collectif SOS soutien O sans-papiers, Rodolphe Nettier, livre sa version des faits dans les colonnes de LibéOrléans : "En début d’après-midi, nous avons organisé une manifestation pacifique en soutien aux sans-papiers retenus. Ceux-ci ont commencé à crier de concert, puis les policiers sont intervenus pour les en empêcher". Ce que confirme dans le même article l’un des "retenus" : "À l’intérieur, Ismaël, un ressortissant congolais présent et salarié en France depuis sept ans, confirme : « Nous n’avons fait que crier avec les manifestants présents à l’extérieur. Alors, les policiers nous ont demandé d’arrêter et ont voulu nous faire rentrer sur le terrain de foot. Nous avons refusé, puis un incendie a éclaté. Les policiers ont alors insisté violemment, jusqu’à nous gazer et tabasser l’un des jeunes émeutiers". À la lecture de ces témoignages, la responsabilité de l’incident, outre le fait que le gouvernement fait monter la pression dans la cocotte-minute des CRA par sa politique du chiffre, incombe donc aux forces de l’ordre. En décembre 2007 déjà, de violentes émeutes avaient secoué le centre, à la suite desquelles les "retenus" avaient signé un cahier de doléances dénonçant "des conditions inhumaines de rétention". Les mêmes causes produisant les mêmes effets…

lefebvreMais vous imaginez bien que l’inénarrable Frédéric Lefebvre n’est pas de cet avis, qui revient à la charge contre les militants qui soutiennent les sans-papiers : selon lui, l’incendie dans ce centre est "à nouveau, comme lors de l’incendie du centre de Vincennes, le résultat de l’incitation à la violence par un collectif d’extrême gauche". La faute aux gauchistes, mais aussi aux socialistes, puisque leur secrétaire national à l’égalité, Faouzi Lamdaoui, a déclaré dimanche : "la politique injuste du gouvernement crée des situations dangereuses tout à fait inacceptables". Il ne faisait là qu’énoncer une évidence, mais c’est justement ce qui déclenche la fureur de Lefebvre : "Un parti démocratique comme le PS n’hésite pas à excuser ces actes en prenant la responsabilité de les justifier. C’est vraiment le signe que ce parti a perdu le sens de l’intérêt général". On voit bien la manipulation : le PS n’a ni excusé, ni justifié, il a stigmatisé la situation objectivement créée par le gouvernement, que dénonce aussi la CRAZA. Tout à son déni de responsabilité, Lefebvre va plus loin en réclamant, "outre des suites judiciaires à cette affaire", que les "collectifs d’extrême gauche et autres groupuscules violents ne puissent plus manifester à proximité de ces centres, au risque de provoquer des actes de violence, mais qu’ils ne soient autorisés à le faire que devant les préfectures". Groupuscules violents ? Il faudrait peut-être étayer cette grave accusation. Le porte-parole de l’UMP a en tout cas été entendu par le ministre de la Persécution des étrangers, Brice Hortefeux, qui a déposé plainte contre SOS Soutien O sans-papiers pour "provocation à la destruction, dégradation et détérioration volontaire dangereuse pour les personnes". On attend de pied ferme ses preuves !

l'humaLa sortie de Lefebvre remettant en question le droit de manifestation est gravissime. Mais dans les faits, ce dernier est déjà l’objet d’attaques en Sarkozie. On l’avait vu par exemple à Vienne (Isère), à l’occasion de la visite présidentielle. L’affaire du Mesnil-Amelot l’illustre à nouveau, comme le raconte l’Humanité dans un article du 28 juillet, qui révèle qu’une manifestation devant le même CRA, pourtant autorisée par la préfecture, n’avait pu se dérouler :"Samedi, porte de La Chapelle (Paris 18e). Dix-huit militants sont interpellés vers 15 h 30 pour « contrôle d’identité » alors qu’ils attendaient à ce point de rendez-vous, avant de se rendre à une manifestation devant le centre de rétention administratif (CRA) du Mesnil-Amelot. Emmenés au commissariat de Clignancourt, ils seront libérés à 18 h 30. La manifestation au CRA était autorisée par la préfecture de Seine-et-Marne de 16 heures à… 19 heures. Elle n’a donc pas eu lieu. (…) Pour faciliter le transport vers le CRA du Mesnil-Amelot, très isolé, l’association SOS Soutien O sans-papiers, organisatrice de la manifestation, avait donné rendez-vous à la porte de La Chapelle une demi-heure avant l’heure de départ. À ce moment, une vingtaine de militants sont présents, « accompagnés » de policiers en civil. Soudain, une dizaine de fourgons de police, suivis d’un bus, arrivent de tous les côtés, encerclant les militants qui patientaient auprès de leurs véhicules. Dix personnes sont immédiatement interpellées. D’autres s’éloignent un peu sur le trottoir. Les voitures sont perquisitionnées de fond en comble. Les militants fouillés au corps, avant d’être embarqués dans le bus. À commencer par Rodolphe Nettier, président de SOS Soutien O sans-papiers. Seule explication donnée sur place : « opération de police ». Vient le tour des militants qui observaient la scène d’un peu plus loin : huit nouveaux interpellés." Pas de ldhchance pour la police, parmi eux se trouve l’avocat Henri Braun, membre du comité central de la Ligue des droits de l’homme (LDH) : "C’était parfaitement illégal, proteste-t-il, soit il y a un trouble à l’ordre public caractérisé, ce qui n’était évidemment pas le cas. Soit c’est un contrôle d’identité, mais, ici, tout le monde avait ses papiers, sauf Rodolphe. Nous n’aurions donc pas dû être arrêtés." Le juriste est formel : "C’est une façon d’interdire la manifestation sans le dire. Il y a une atteinte évidente à la liberté d’expression".

giovanoniAu Mesnil-Amelot, les "retenus" ont entamé une grève de la faim. Soyons sûr que de nouveaux incidents se reproduiront tôt ou tard, ici ou dans un autre CRA. Laurent Giovanoni, membre de la CRAZA et secrétaire général de la Cimade, seule association habilitée à pénétrer dans les centres, appelle à "arrêter la politique du chiffre et des quotas d’expulsion, qui ont des effets pervers considérables. Ensuite, un centre de rétention doit garder une capacité d’accueil modérée, pour garder une dimension humaine. Nous savons qu’au-delà de 60 à 90 personnes retenues dans un même centre, il y a un effet de seuil qui aboutit à créer une situation ingérable. Parce qu’on met ensemble des personnes stressées, cette situation fait que leur vie bascule et les rapports avec les intervenants, dont les fonctionnaires de police, ne sont plus possibles. Il faut donc dès maintenant arrêter les travaux d’un centre de rétention au Mesnil-Amelot, prévu pour accueillir 240 personnes et qui va donner un nouveau Vincennes." Il réagit durement au communiqué du porte-parole de l’UMP : "M. Lefebvre a des propos indécents. Ce n’est pas 30 personnes à l’extérieur du centre qui peuvent être à l’origine de ce mouvement d’émeute à l’intérieur. C’est une mise en cause du droit de manifestation. On ne peut pas tolérer ce genre de propos. C’est d’ailleurs une façon très grossière de dédouaner les pouvoirs publics de leurs responsabilités". Les deux retenus jugés en comparution immédiate pour "dégradation des biens publics par moyens dangereux" ont été relaxés de ce chef d’accusation. Pendant ce temps-là, les vrais incendiaires courent toujours : ils se nomment Nicolas Sarkozy, Rachida Dati – qui a fait appel de la décision ci-dessus -, Brice Hortefeux et Michèle Alliot-Marie, sans oublier Frédéric Lefebvre. Et ils ont encore quatre ans pour mettre le feu à la France.

PS : le titre Vive le feu ! est un clin d’œil au blog du même nom, tenu par le camarade Fontenelle, très mobilisé en faveur des sans-papiers.