Paranoid Park

Grandir est un mouvement. Une idée magnifiquement mise en scène par Gus Van Sant dans son nouveau film.

Si j’étais un critique sérieux, j’aurais lu le livre de Blake Nelson dont est tiré le film et me serais livré à une analyse comparée de derrière les fagots (from behind the fagots en anglais) où j’aurais défini dans quelle mesure le film s’affranchissait du livre et/ou en respectait l’essence.

Comme l’écrivait une de mes consœurs : « Les dialogues naturels et la simplicité du style de Nelson créent un héros touchant et gauche dont la vulnérabilité adolescente et la morne dérive évoquent sans éclat factice les universels errements de cet âge (Agnès Leglise, Rock&Folk N° 483)

C’est vrai sauf pour la morne dérive mais on va y revenir.

Si j’étais un critique sérieux, j’aurais à nouveau visionné Elephant, Gerry et Last Days et aurait conclu, illuminé par l’évolution de l’œuvre : « Paranoid Park ne serait ni un film de transition, ni un supplément gratuit à la trilogie, mais le dernier moment, l’apothéose d’une tétralogie. Apothéose en mineur quant au sujet, en majeur quant à l’emploi souverain des formes expérimentées dans les trois premiers films (Cyril Neyrat, Cahiers du Cinéma N° 627) comme mon autre honorable confrère.

Mais comme je rédige mes critiques en dilettante même pas payé à coups de pied au cul (ça serait une forme de reconnaissance), je vais me contenter de vous dire ce que j’ai pensé de « Paranoid Park » vu à froid et si vous êtes sages, je vous dirais peut être si c’est bien.

 

Devenir un homme.

Tout simplement.

Voilà pour moi de quoi parle essentiellement le film de Gus Van Sant et pourquoi je réfute le terme de « morne dérive ». L’histoire d’Alex est plutôt l’histoire d’un envol. D’un envol vers le monde des adultes, celui du mouvement.

Car au début, Alex est un enfant, enfin un adolescent qui regarde le monde s’agiter autour de lui au ralenti. Que ce soit les évolutions des skaters de Paranoid Park, les questions de l’inspecteur chargé d’enquêter sur un crime, le visage des filles au centre commercial ou la colère de sa copine, Alex regarde d’un air perplexe et détaché le monde en tant que spectateur. Mon adolescence est suffisamment proche pour que je me rappelle (ou croie me rappeler) qu’à cette époque tout semblait se dérouler plus lentement, avec une exubérante et paisible lenteur.  Peut être tout simplement parce que je n’étais pas impliqué dans les événements.  Je n’étais moi aussi qu’un spectateur, détaché  d’une existence où les décisions étaient prises à ma place.

D’ailleurs jusqu’à l’accident fatidique, Alex n’est lui aussi qu’un spectateur : il se contente de regarder les autres faire du skate et préfère subir la provocation que de se lancer. De même, c’est sans conviction qu’il couche pour la première fois avec sa copine avec cette idée toujours suggérée par la mise en scène qu’il est absent à lui-même (d’ailleurs comme il l’avouera par la suite avant de se rétracter : « ce n’était pas son idée »)  

Mais Gus Van Sant nous rappelle que  ce corps immobile à la placidité angélique  est chargé d’une promesse de mouvement, d’une liberté lors de ces scènes magnifiques où Alex arpente au ralenti les couloirs de son lycée ou un chemin serpentant entre les dunes au son d’une musique aérienne.

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