Internet, Amazon, librairie et loi, ce grand bazar.

  J’ai récemment beaucoup lu d’articles et de réactions sur la guerre que mène le gouvernement pour protéger les librairies indépendantes des grosses machines de guerre du net. Devant les flous et idées reçues que j’ai pu lire – en commentaires ou bien dans les articles eux-mêmes – je me suis dit qu’un article centralisant les informations concernant Amazon, les librairies, là … pourrait éclairer certaines personnes.

 

Pour commencer, revenons en 81, avec la loi Lang qui fixe le prix unique du livre : l’éditeur fixe un prix pour le livre qu’il publie, ce prix est celui que tous les revendeurs doivent appliquer. La loi autorise toutefois les revendeurs à appliquer une remise de 5% s’il le souhaite pour les particuliers (généralement cela passe par une carte de fidélité) et de 9% pour les collectivités. Un autre point que de nombreuses personnes ignorent : les libraires sont OBLIGES légalement de vous proposer de commander l’ouvrage que vous désirez s’ils ne l’ont pas en stock. Ils ne peuvent pas vous le refuser.

 

Les députés UMP, soutenus par l’ensemble de leurs collègues et du gouvernement -une fois n’est pas coutume- ont proposé et adopté un projet de loi visant les vendeurs en ligne qui ne disposent pas de points de vente physique. Une loi dite Anti-Amazon puisque le revendeur profitait de ses énormes moyens financiers pour proposer à la fois la réduction légale et les frais de port. Plus besoin de bouger, plus besoin de cumuler sur la carte de fidélité pour économiser. Tout. Tout de suite. Sans effort. 

Le géant américain ne peut plus cumuler ces deux avantages. Le prix du livre augmente donc en ligne. 

Que dit la loi exactement ? 

 

Lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit, sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit.


Les 5% légaux sont donc applicable uniquement sur les frais de port. Nous nous retrouvons donc avec des frais de port sur Amazon à 1 centime et un livre au prix éditeur. En voulant protéger les libraires, cette loi va être bénéfique à Amazon. Ils vont donc, en appliquant ce 1ct par livraison, gagner plus d’argent sur les ventes, qui elles ne seront probablement pas freinées. Le tout en continuant à avoir les mêmes remises auprès des éditeurs. Cela n’amènera pas forcément plus de monde dans les librairies mais les tout petits éditeurs spécialisés qui faisaient principalement de la vente directe via leur site internet verront leur commerce prendre un plomb dans l’aile. Ces pauvres éditeurs qui n’ont pas les moyens de se vendre aux libraires à travers tout le pays et qui se distribuent eux même.


Mais quels sont les problèmes auxquels fait face la librairie par rapport à Amazon ? 

 

Tout d’abord, les librairies sont implantées en ville, souvent dans le centre, contrairement aux entrepôts, les prix/m² sont plus durs à tenir par rapport au choix que peut proposer le libraire. En effet, cette implantation, liée à la production extrêmement importante de l’édition (41902 nouveautés sur l’année 2011, en augmentation) est une gêne pour le libraire. Comment proposer autant de références qu’un géant qui ne fait que stocker en entrepôt ? La surface est limitée, les moyens aussi. 

Le travail du libraire est de faire une sélection à la fois adaptée à sa clientèle, tant dans les ouvrages de fonds (ce qui n’est pas une nouveauté) que dans les nouveautés. Mais il voit son choix forcément limité du fait de la place qu’il peut se permettre d’accorder à tel ou tel rayon. 

J’ai beaucoup vu de réactions du type "les libraires ont jamais rien en stock à part les meilleurs ventes". Je ne sais pas où vous allez, mais personnellement les librairies que je fréquente, que ce soit en province ou à Paris, proposent des sélections très différentes et dans certaines il faut chercher les Musso, Levy et cie pour les trouver … La FNAC n’est plus un réel libraire, il vend de plus en plus de choses diverses et variées, et se contente de mettre en avant les auteurs connus sans prendre aucun vrai risque dans sa sélection. Ô joie des achats centralisés. L’attitude de certains libraires est probablement un (gros) problème pour le fonctionnement de la librairie. Que ce soit à travers sa gestion ou son refus d’évolution. Certes il ne faut pas généraliser, des groupements de librairies innovent, notamment LibrEst. 

Certains perdent malheureusement de vue les rôles du libraires. Ce n’est pas qu’un vendeur.

 

Le libraire est un acteur culturel. La librairie se doit d’être un lieu de vie. Et cela ne l’empêche en aucun cas de se moderniser et d’innover. Organiser des rencontres, des thématiques, travailler avec les bibliothèques, les cinémas, les associations, les enseignants. Tout ça c’est également le métier de libraire, autant que d’accueillir et renseigner le client. Autant que de faire découvrir des auteurs, des thématiques …

Le libraire doit se moderniser, être présent sur internet, s’organiser en réseau dans le seul but d’offrir à ses clients -et potentiels clients – satisfaction et ainsi pouvoir perdurer.

Les librairies qui répondent à ses critères tiennent très bien le coup, malgré l’essor du livre numérique et la présence d’Amazon. 

 

S’adapter sans renier ce qu’est une librairie. Proposer du jeu éducatif ? Proposer des expos-ventes d’artistes du coin ? Les possibilités sont multiples. Bientôt proposer le livre numérique, probablement, accompagner, conseiller sur ce nouveau type de produit. Être plus présent sur internet, dans les médias ? Il n’est pas encore trop tard pour ça. 

 

Mais il y a des points noirs dans la chaîne du livre que le libraire ne peut souvent que subir.

Pourquoi les délais de livraisons des fournisseurs sont si longs pour un libraire de province ? Mais surtout pourquoi les délais de livraisons sont si disparates pour n’importe quel libraire ? Attendre 2 semaines le carton de X contre 2 jours pour le carton de Y ? Le client se perd, pas étonnant qu’il préfère commander sur Internet, les entrepôts rarement vides ne lui feront pas défaut. 

Malgré le dispositif Prisme, les libraires de provinces ont des coûts élevés, résultant en une faible présence une fois l’Île de France passée. Les distributeurs y ont -peu- d’entrepôts. Les libraires doivent attendre les arrivages de Paris. Pourquoi ? Ne peut-on imaginer la présence d’entrepôts régionaux, d’une décentralisation des stocks afin de dynamiser le réseau de librairies provinciales existantes et en créer des nouvelles ? De nombreuses personnes n’ont pas de librairies à proximité (jusqu’à plus de 100 km) ce qui les décourage

 

C’est au secteur du livre d’apporter des solutions à ses problèmes. La mesure Anti-Amazon a prouvé dès le jour de son application qu’elle était inutile, à part à augmenter le coût de la culture. 

S’ils voulaient aider le livre par la législation, autoriser la vente entre les librairies avec une marge de 10% afin de faire fonctionner les réseaux de libraires aurait été bien plus efficace, sans pénaliser le client. L’état ne s’adapte pas à cette évolution de la librairie que représentent les réseaux de libraires. Pourtant ils sont actifs, pour certains. Que ce soit pour la vente en ligne, que ce soit pour la tenue des librairies des salons du livre.  

Si les décideurs ont si peur des pratiques commerciales d’Amazon, pourquoi ne pas les empêcher de faire pression sur les éditeurs pour augmenter leur marge ?

 

Que les partenaires se mettent ensemble, qu’ils soient libraires, éditeurs, distributeurs, diffuseurs, imprimeurs. Trouver des accords et les mettre en place. 

Des entrepôts dans les provinces contenant tous les stocks de manière à ce que n’importe quel livre soit accessible en 24h ?

Que tous les distributeurs s’engagent sur un délai de livraison commun ? (grands distributeur comme éditeurs). 

Une base de donnée publique accessible à tous en magasin pour présenter en détail les catalogues de tous les éditeurs ?

Tout ça à la fois ?

 

   Le gouvernement devrait s’attaquer, avec ou sans l’Europe, à l’exil fiscal, pour récupérer tout ce bel argent qui part au Luxembourg sans passer par la case état français. 


Ceci n’est pas une attaque contre Amazon, bien qu’on puisse le prendre en ce sens. L’Américain est probablement nécessaire et complémentaire des librairies traditionnelles, ne serait-ce que sur la possibilité d’avoir des livres qui ne sont plus édités ou l’achat d’urgence d’ouvrages rares (pour rester dans le domaine du livre), ses innovations. Les deux entités peuvent exister. Amazon propose l’achat et le "conseil" simple  tandis que les librairies proposent l’animation, les dédicaces, les rencontres et découvertes parfois insolites.

On peut évidemment argumenter qu’Amazon est vivement critiqué pour ses méthodes de travail peu morales et humaines (France, Allemagne, USA, notamment), ses pressions sur les éditeurs (conflit actuel avec Hachette USA où Amazon est critiqué par les auteurs alors qu’il dit vouloir défendre leurs intérêts) et surtout pour son contournement des lois fiscales de différents pays (le jeu d’Amazon les amène à toucher plus d’aides du gouvernement britannique que ce qu’elle ne paye d’impôts.). Mais au final, Amazon a des clients, tout comme les librairies. Il a des fidèles qui ne s’arrêteront pas à cette mesurette et continueront à aller commander en ligne.