Un poisson poison


 

La période des fêtes de fin d’année où l’on passe beaucoup de temps en cuisine, les pieds sous la table, tout en faisant ripaille jusqu’à plus faim, se goinfrant d’aliments en tout genre, dont les poissons et les fruits de mer. Saint-jacques, moules, huitres, saumon, crevettes ou bien encore homards, sont achalandés pour faire saliver nos papilles. Pour rester dans la thématique aquatique, transposons nous à l’autre bout du monde où un poisson, réputé pour être le plus dangereux du monde, subit le joug d’une démocratisation potentiellement périlleuse. 


Le fugu, ce poisson très prisé, mais peu connu en France, introuvable dans nos commerces et dans nos restaurants, a la particularité de vous tuer si sa préparation est mal faite. S’en faire un dîner est perçu dans l’imaginaire japonais comme une forme de bravoure car à chaque bouchée, c’est une mort éventuelle au tournant, finir son assiette, c’est vaincre la Faucheuse. Il est dit que les chefs yakuzas afin de régler une affaire fâcheuse, se défient à coups de baguettes. On connaît tous le jusqu’à boutisme des nippons quand il est question de préserver son honneur. 


Ce charmant animal marin originaire de Shiminoseki, petit port de pêche, au centre du Japon, en a fait sa mascotte. Fêtes et évènements en tout genre se font en sont honneur. Pourtant, il possède le mal en sa chair. En effet, son foie possède une poche remplie de tétrodotoxine souillant, l’ensemble de la chair, si par malheur elle se trouve percée. Cette substance toxique engendre des contractions musculaires au niveau respiratoire amenant doucement vers le trépas dans un délai de 4 à 6 heures. Un décès certain car aucun antidote n’existe à l’heure actuelle. 


Heureusement jusqu’ici, les maîtres cuisiniers sachant dépecer le fugu devait passer un examen très difficile, avec un taux de réussite de 30%, ponctuant plusieurs années d’études et d’adresse. Les gestes sont très techniques, d’abord sectionner la tête, enlever la peau, trancher en deux le poisson dans le sens de la longueur et l’éviscérer afin de garder la chair au goût sucré. Une telle singularité a pour conséquence un prix élevé. Il faut compter entre 50 et 250 euros le plat, de ce fait, il est dégusté lors de rares occasions comme des anniversaires, des enterrements de vie de garçon, de jeune fille, des mariages, etc. 

 

Mais voilà, la crise touche de plein fouet le Japon, dépenser une telle fortune pour en manger n’est plus acceptable. Les quelques restaurateurs tokyoïtes, proposant du fugu, ont tendance à acheter leurs stocks dans des régions et des pays voisins, où les prix pratiqués sont faibles. Afin d’éviter ce manque de revenu, le gouverneur de Tokyo a fait passer une loi autorisant les restaurants démunis de chefs accrédités à préparer le fugu, à pouvoir en afficher dans leur menu. Une démocratisation provoquant une baisse des prix et permettant de garder les clients dans la ville. 

 

Evidemment, tout sera réglementé, les fugus seront préparés par des machines perfectionnées, coûtant plus de 30.000 euros pièce, hachant, rejetant les rebuts, et scellant la partie comestible dans des sachets plastiques mis en congélation. Outre les restaurants, les épiceries seront approvisionnées, elles pourront vendre du fugu avec la mention "parties empoisonnées retirées". 

 

Pour terminer, il est nécessaire de tempérer la fameuse réputation de ce poisson. Le nombre de personnes décédées par le poison est très faible. Moins d’une trentaine de morts en 2008 et 2009 et en 2011, il y eut « seulement »17 intoxications dont une mortelle. Cette dernière est à mettre sur le dos de l’inconscience, la victime est morte après avoir elle-même cuisiné sa prise. Ainsi, consommer du fugu n’est pas plus dangereux que de croquer dans un bretzel ou piocher dans un bol de cacahuètes.