Jacques Delors l’Europe est au bord du gouffre,

ainsi analysait-il l’Europe le 18 août 2011.

Le premier janvier 2002 la monnaie unique, l’euro, entre en application pièces et billets. Elle fut créée le 04 janvier 1999 ainsi que la Banque Centrale Européenne par ses pères François Mitterrand, Helmut Khol, et Jacques Delors. Ils n’avaient pas prévus la crise et les attaques qu’elle susciterait. Les gouvernements successifs de l’Europe en ont fait autre chose que ce qui fut leur motivation. Bien que la relation Franco-allemande fût au centre de la politique Européenne de la France comme l’histoire le prouve dans les soixante dernières années, elle ne permit pas de concrétiser la volonté Mitterrandienne d’une Europe rejetant la dimension économique des marchés, et d’un espace économique sans frontières. Les gouvernements successifs de droite et son élargissement à 27 dans un but essentiellement marchand ont minés ce qu’avaient construits les pères de l’Europe et ceux de la monnaie unique.

François Mitterrand, l’Européen, a toujours vu dans l’Europe une opportunité pour que la France soit une grande Nation. L’Europe n’était pas pour lui une utopie mais une nécessité imposée par son histoire. Il est né sous la première guerre mondiale et avait participé à la seconde. Pour lui, il ne fallait plus que de tels cataclysmes se reproduisent. L’horreur des camps d’extermination nazie l’avait meurtrit. Dès 1948 il avait ressenti la nécessité de rapprocher les peuples Allemand et Français. Il rendit hommage aux hommes qui furent les pères de l’Europe Robert Schuman, Konrad Adénauer, Jean Monnet, Johan Willem Beyen, Paul-Henri Spaak, Alcide De Gaspéri, et qui refusèrent la haine et la guerre. Ses motivations dans la recherche d’une alliance stratégique avec l’Allemagne se portèrent vers une relation avec Helmut Khol du fait que le couple Franco-allemand était le moteur de la construction Européenne dans les années 80 et 90. Pour lui, les Nations qui la composaient avaient une culture et des valeurs communes ce qui constituait une motivation supplémentaire. Le destin de la France, il le voyait dans la construction Européenne.

«J’estime complémentaire l’indépendance de la France et la construction de l’Europe», écrivait-il en 1986. Pour De Gaulle, l’Europe fut une option, pour Mitterrand, une nécessité. Là où, en mettant en avant «l’Europe des patries», il récusait en fait tout partage de souveraineté, le second balayait la contradiction et lançait la formule,«la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir», référence Institut François Mitterrand.

Cette phrase François Mitterrand la prononça lors de la campagne sur le référendum de Maastricht, il y a 20 ans. Pour lui la structure de base de l’Europe restait intergouvernementale. Il n’était pas hostile au fédéralisme, mais il craignait que l’affichage prématuré que cette visée ne provoqua une levée de bouliers, et en premier, ceux du Royaume-Uni. Il faut aller vers un partage de plus en plus étendu des souverainetés mais sans bruler les étapes pensait-il. En d’autres termes, il était dans la finalité de la construction Européenne pour un fédéralisme.

Seulement il était contre des conceptions libérales, contre un espace économique sans barrières, un marché sans régulation, contre finalement ce que l’Europe est aujourd’hui. Pour lui le politique devait conserver sa légitimité, convaincu que l’Europe pouvait lutter contre le chômage, bien que cette responsabilité fut avant tout nationale. «L’Union n’est pas une dimension économique et marchande, ce n’est pas une manufacture, ce n’est pas un marché avait-il déclaré devant le parlement Européen le 25 octobre 1989». C’est devenu tout sauf cela.

Le 04 janvier 1999 au journal de 20 heures l’euro fut officiellement annoncé comme monnaie unique des 11 pays de l’Union européenne après diverses tergiversations sur l’écu préconisé par Valéry Giscard d’Estaing, il fut l’ancêtre de l’euro. Le reportage sur cette journée mémorable relate de la festivité sur les marchés financiers. Selon un responsable de la bourse de Paris, «l’euro est une révolution, une révolution bénéfique». Jean-Claude Trichet gouverneur de la Banque de France ne cacha pas sa joie en voyant ce qui ce passait.

Jean-Claude Sérillon le présentateur du 20 heures interrogea Jacques Delors ancien président de la commission Européenne. «Les financiers sont comptants, les hommes politiques pro-européens aussi, mais vous hommes de gauche cela ne vous gène pas que ce soit l’Europe de l’argent que l’on fête aujourd’hui ?» Il répondit, la monnaie unique c’est plus de liberté pour la France plus de marge de manœuvre en matière monétaire. À condition que l’Europe réussisse. Tout est dans le mot réussisse dès lors que l’on ne définit pas ce qu’il représente. La réussite d’une Europe à droite est-elle différente de celle d’une à gauche ?

L’Europe de droite nous savons ce qu’elle est, cela fait dix ans qu’elle y est dirigée. Manifestement cela ne convient pas à Jacques Delors puisqu’il déclare qu’elle est au bord du gouffre. Le problème vient du traité de Maastricht signé le 07 février 1992 entre douze pays dont la Grèce, le Portugal, et l’Espagne, pour ne prendre que les pays en grande difficulté, il instaura l’Union économique et monétaire conduisant à la création de l’euro. Il fixa alors trois conditions majeures le taux d’inflation qui ne doit pas dépasser 1,5 %, le déficit budgétaire qui ne doit pas dépasser 3 % du PIB, et un endettement public inférieur à 60 % du PIB. Mais également dans ses institutions, il créa la Banque centrale européenne BCE, indépendante située en Allemagne et dont le but essentiel était et est encore de maintenir au sein de la zone euro un taux d’inflation inférieur à 2 %.

Ce qui a été, probablement volontairement masqué au public, c’est le fameux article 104 dont il est difficile de trouver un texte officiel. Ce que l’on peut savoir, c’est que la loi du 3 janvier 1973 sur la Banque de France qui régi de 1973 à 1993 l’organisation de cette Banque a été à l’initiative conjointe du gouverneur de la Banque de France, Olivier Wormser, et du ministre de l’Économie et des finances, Valéry Giscard d’Estaing.

Depuis 1958 la comptabilité de la Banque de France distinguait deux types d’action de l’État. Des actions intervenues avant la proclamation de la cinquième république sous un intitulé «Prêts» et des actions après 1958 à caractère provisoire assimilable à des autorisations de découvert. La réforme de ses statuts introduisait l’article 25 qui interdisait au Trésor «d’être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France». En conséquence, la Banque de France ne peut acheter des titres directement à l’État, mais «rien ne lui interdit d’intervenir sur le marché secondaire, et c’est d’ailleurs la méthode classique d’appui au Trésor dans la tradition bancaire anglo-saxonne». Dans la nécessité d’uniformisation avec le traité de Maastricht, la loi a été abrogée par l’article 35 de la loi n°93-980 du 4 août 1993 relative au statut de la Banque de France et à l’activité et au contrôle des établissements de crédit. Le principe de l’article 25 de cette loi a été reprit dans l’article 104 du traité de Maastricht et dans l’article 123 du traité de Lisbonne.

Article 123,

«il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées «banques centrales nationales», d’accorder des découverts ou tout autre type de crédits aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres. L’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite». L’article 123 est identique à l’article 181 du traité Constitutionnel européen, refusé par le peuple Français en 2005 par référendum.

Cet article contraint donc les États a emprunter aux banques privées, à les enrichir et à appauvrir les pays. Il est évident que si les hommes politiques de l’époque connaissaient les conséquences futures, ils n’auraient probablement pas intégré l’article 25 dans le traité de Maastricht, et qu’il n’aurait également pas été reprit dans le traité de Lisbonne, bien que l’Allemagne en fut une fervente partisane, puisque l’Union économique et monétaire a été faite aux conditions fixées par Bonn, la capitale fédérale d’Allemagne de l’époque. Il est bien évident que le manque de souplesse du traité de Maastricht sur le fonctionnement des États qui ont adhérés à la zone euro, et par voie de conséquence à l’article 123 du traité de Lisbonne, les condamnent dans la mesure ou ils ne respectent leurs engagements.

Pour beaucoup c’est la crise mondiale, mais c’est aussi pour d’autres dont la Grèce et dans une moindre mesure la France une mauvaise gestion des finances publiques. La Grèce a été peu touchée par la crise, cela tient à son économie principalement agraire et au tourisme. L’importance des fraudes fiscales en Grèce, les conditions salariales faites à une certaine classe de la société, et le dogmatisme de la droite actuelle en France ont privés les finances d’argent. Le gouvernement Français n’a rien vu venir, s’il avait fait une bonne comptabilité entre les recettes et les dépenses, nous n’aurions pas l’endettement actuel. Au début de son quinquennat Sarkozy exprimait peu de considération sur la dette, elle ne représentait pas un problème pour lui, et pourtant en 2005 nombreux seront les politiques qui mettaient en garde contre les promesses électorales démagogiques.

On voit d’ailleurs quand 2012 cinq années plus tard ils n’ont pas comprit. Mais, il faut séduire pour être élu. Alors pas de scrupules sachant ensuite que l’on pourra manœuvrer les Français comme des citrouilles, on leur dira, c’est la crise.

Sarkozy fit l’inverse. Il favorisa par ses réductions d’impôts, les classes les plus aisées et fit porter sur la masse, par des impôts, le manque à gagner pour les finances, tout en réduisant d’une façon drastique les dépenses, en y associant un blocage des salaires. Une vraie politique de droite. Cela conduisit à une baisse de la consommation, qui mit dans le rouge nombre d’entreprises vendant insuffisamment en France et ne pouvant vendre à l’exportation par suite de coûts trop élevés. C’est ce schéma politique simplifié qui est la cause de nos difficultés.

Si vous associez le fait qu’ayant un endettement représentant 90 % de notre PIB, et que tout ce que nous faisons ou presque comme sacrifices ne sert qu’à rembourser notre dette puisque nous ne pouvons emprunter qu’à des banques privées, on voit nos difficultés. Or, pour ne pas accroître notre dette, et pour ne pas être pénalisé par les banques sur les taux d’emprunts, la solution Sarkozienne consiste à pousser un peu plus dans l’austérité, ce qui forcément au lieu de redresser nos comptes les faits divergers.

Jacques Delors a raison quand il clame que l’Europe est au bord du gouffre parce que cette politique est celle de l’Europe actuelle.