Le Pen / Mélenchon: le changement assuré

Marine Le Pen, Jean Luc Mélenchon. Non, ce n’est pas un combat de boxe que je vous propose. Bien que ces deux personnages politiques au profil atypique soient totalement opposés idéologiquement, ils détiennent néanmoins un grand point commun: leur éventuelle élection au poste de président(e) de le République apportera une vague de changements.

C’est ce point qui les différencie des autres candidats, même des plus grands, comme Nicolas Sarkozy ou François Hollande, chacun d’eux proposant les mêmes solutions et se battant avec acharnement pour paraître en être l’auteur. C’est au cours de l’émission "parole de candidat", diffusée sur TF1 mardi 5 mars, que nos deux candidats se sont affichés, et ont montré leur crédibilité (ou pas) aux Français. Pas de duel, cette fois; tant mieux pour le débat, tant pis pour les commentateurs sportifs…

Commençons d’abord par la présidente du Front National. Laurence Ferrari introduit le débat par l’évocation de cette polémique concernant la viande hallal, et la pratique illicite d’abattage des animaux dans les organismes prévus à cet effet. Marine Le Pen dénonce alors, dans cette affaire, le manque de transparence de la part des distributeurs, et l’outrage qui était fait aux Français. Aussi, avouons ensemble que le goût de la viande diffère selon la manière dont la bête a été abattu, et que toute personne sensée crierait au scandale si elle n’était pas informé que son steak était issu d’un abattage traditionnel! Blabla blabla… Les choses sérieuses débutent quand une chef d’entreprise demande à la candidate comment elle allait s’en sortir si le retour au franc s’effectuerait, sachant que notre monnaie perdrait 30% de sa valeur. Rappelons que Marine Le Pen projette de sortir de la zone euro si elle est élue présidente de la République: ça, c’est du changement, et attirant, qui plus est -car depuis l’apparition de cette monnaie en France, on constate que les prix ont flambé. Comme à son habitude, la présidente du Front Nationale gagne du temps, en expliquant longuement sa démarche, son fonctionnement, sa répercussion (positive, toujours!) sur le système,… Pas de réponse. Car il y a un problème: si le franc représente 30% de moins que l’euro, les produits importés coûteront 30% plus cher. Cours élémentaire d’économie. Aïe, pas prévu! S’ensuit alors un cafouillis indescriptible dans le discours de la candidate d’extrême droite: elle parle d’euro en tant que monnaie commune, et sort tout un tas d’inconvénients fictifs de l’euro. Laurence Ferrari s’est laissée endormir; on passe. 
L’apprentissage vient devient alors le thème d’une nouvelle intervention: la candidate propose de faire passer l’âge légal de la fin de l’obligation de scolarité à 14 ans au lieu de 16. Recevable. Discutable, oui, mais recevable. Car dans un sens, un enfant qui n’a rien à faire dans un milieu scolaire serait mieux dans une entreprise, et la main d’oeuvre serait alors plus conséquente du côté des jeunes. Mais d’un autre, élever au même niveau un gosse à peine sorti du collège comme un employé expérimenté, c’est un peu lourd. Le débat s’installe.
Vient ensuite LE sujet sensible quand on parle du Front National: l’immigration. TF1 a eu la grande intelligence d’inviter un musulman sur le plateau. Chaud devant! Mais encore eût-il fallu qu’il ne fustigeasse pas la candidate de raciste, et qu’il débattisse avec elle en vue d’un fructueux résultat: Jean-Claude, Français moyen, se soucie-t-il du nom de celui à qui Marine Le Pen dédierait sa victoire? On notera tout de même son regard exaspéré quand l’intervenant affirmait la présence de combattants musulmans lors de la Libération Française au cours de la seconde guerre mondiale… Par contre, débat plus intéressant: le droit du sol. "C’est une bombe à retardement": ainsi est-il qualifié par la candidate d’extrême droite. De plus, elle projette de limiter l’immigration annuelle à 10000 individus, au lieu de 200000 aujourd’hui. Pour un changement, c’est du changement! "On ne peut rien leur offrir" dit-elle avec acharnement. Vous avez dit sous-entendu?
Un autre point important du programme de Marine Le Pen vient à l’écran: les charges des TPE et des PME. Elle propose de créer un fond d’aide pour ces entreprises aux moyens modestes, qui en temps de crise, souffrent beaucoup, et de le financer par une cotisation de la part des membres du CAC 4O, s’élevant ,d’après ses calculs, à près de 12 milliards d’euros (ou de francs, on ne sait pas trop). De quoi attirer des bulletins! L’image de Robin des bois surgit alors du personnage… Jusqu’à ce qu’on parle du SMIC, élevé à 1700 euros net dans son programme. Bien, mais comment y financer? Pas de réponse. Robin des bois n’a-t-il plus de riches à voler? 
D’autres mesures clés sont évoquées au cours de la suite de l’émission. Par exemple, la baisse de la taxe sur l’essence de 20 %, passant ainsi de 60% à 40%. Pour combler le déficit, elle projette de taxer les grands distributeurs. Question agriculture, la candidate du Front National propose de redonner le pouvoir aux organismes agricoles, de sorte qu’ils puissent eux-même fixer la valeur des produits, à la place des marchés. Enfin, question santé, elle projette de supprimer le remboursement de l’IVG, mais uniquement si la caisse de la sécurité sociale est vide. Hélas pour elle, le monde journalistique omet de mentionner cette dernière condition… 
Bref, c’est une Marine Le Pen plutôt convaincante que l’on a pu voir. Etrangement, ce constat coïncide avec le changement de chaîne sur laquelle elle est interrogée. En effet, c’est sur France 2 que la présidente du Front National affichait ses pires prestations télévisées, car déroutées chaque fois par l’intervention des journalistes, très pertinents cependant. Bref, c’est sûr, avec elle, ça changera.
Passons maintenant de l’autre côté de la balance: Jean-Luc Mélenchon. Tout comme sa prédécesseuse, c’est un cas du monde politique, qui sait se faire remarquer par son franc-parler, sa répartie incorrigible, et sa virulence. Lui est néanmoins beaucoup plus difficile à mettre en difficulté. Bref, passons aux actes.
Acte 1: la délinquance. "Pourquoi la délinquance?" demande avec insistance un bijoutier fraîchement cambriolé dans son magasin. Selon le candidat du Front de Gauche, c’est la faute du manque d’effectif des services de police. 90 000 postes de policiers et gendarmes ont été supprimés depuis l’avènement de Nicolas Sarkozy en 2007, ce qui coïncide avec l’augmentation du nombre de braquages en France. Mais le problème ne se pose pas que là. Si un brigand commet un délit de la sorte, c’est parce qu’il est sûr de trouver de l’argent en récompense de son (vilain) geste. Le système libéral d’aujourd’hui permet facilement de rentrer de l’argent illégalement obtenu dans l’économie réelle: il faut supprimer cela, selon Jean-Luc Mélenchon. Une bonne remise en cause du système capitaliste.
Acte 2: le SMIC à 1700 euros. Comme Marine Le Pen, le candidat de gauche propose une élévation du salaire minimum. Mais à l’inverse de son adversaire, il sait comment le financer: taxer les riches. En effet, 360 000 euros par an sera la salaire maximum que percevront les sportifs, les grands patrons, et tous ces autres individus toujours à la recherche de plus de richesse. On retrouve là la gauche: idéaliste, un peu naïve -car les riches français vont probablement fuir hors du pays-, mais profondément humaine. Hollande a d’ailleurs tenté la même chose, en fixant son "revenu maximum" à 1 million d’euros par an. C’est une solution, c’est indéniable, et encore plus un changement radical pour les travailleurs. On se croirait presque communistes… 
Acte 4: l’éducation. Mélenchon s’emporte quelque peu lorsque l’on en parle. Comment peut-on continuer à éduquer des enfants dans des conditions pareilles? 50000 postes ont été supprimés depuis 2007. Aussi, le candidat du Front de Gauche projette d’une part d’augmenter les effectifs, et d’autre part de rétablir leur formation. Et quand on lui parle de l’envoi des jeunes professeurs dans les zones de banlieues difficiles, "c’est la catastrophe, appelons les choses par ce qu’elles sont!" s’exprime-t-il. Il y aura du changement, cela est sûr.
Acte 5: économies. Le programme de Mélenchon est le plus dispendieux de tous les candidats, on ne peut en douter. C’est d’ailleurs ce que remarque l’un des journalistes présents sur le plateau. Car c’est vrai que le retour aux 35h, le retour de la retraite à 60 ans, la construction d’un million de logement, ce n’est pas gratuit. Le candidat du front de Gauche répond, d’abord par un coup d’oeil frappant, lequel amuse tout le monde et met l’interrogateur en difficulté, ensuite par une affirmation osée: "mon programme rapporte plus qu’il ne coûte." Difficile à croire… si c’était quelqu’un d’autre. Car on connaît tous la force de persuasion du candidat à la présidentielle. S’ensuit une suite de chiffres: 20 milliards d’économie avec l’impôt sur la richesse, renforcement de l’exonération et du droit de succession: 10 milliards, suppression des niches fiscales: entre 10 et 20 (milliards bien sûr, car en euros, ç’aurait été inquiétant), taxation du capital: 50, taxation des revenus financiers des entreprises: 20, destruction (comment? mystère) de la fraude fiscale: 40. 195 milliards d’économie. Coup de baguette, qui paraît pourtant tellement réalisable. 
Acte 6: la 6e République. Cerise sur la gâteau, copieux. Bon je vous l’accorde, la cerise est peut-être plus grosse que tout le reste de l’édifice. Bref, peu importe. C’est énorme, on peut le dire. On pensait la 5e République et ses institutions durables, bonnes, et mêmes incontestables. La preuve que non. Nous n’avons hélas que peu d’informations, peu significatives qui plus est, en ce qui concerne ce projet. En tout cas, c’est une révolution à tous les étages que Jean-Luc Mélenchon nous propose; on y retrouverait presque l’esprit de 1848, et de l’idéal démocratique désiré par le peuple. La gauche retrouve des couleurs. En tout cas, du côté du Front de Gauche, car au PS, ça reste bien terne.
Voilà deux candidats qui montent en ce moment dans les sondages: ils incarnent de changement. Bon ou mauvais, on ne peut le prédire. En tout cas, les propositions vont bien au-delà de celles des deux candidats en tête des estimations. À vous de choisir: prendrez vous le train du changement, au risque qu’il déraille en plein chemin, ou bien resterez vous sur le quai, à attendre, espérant?