L’Alep insurgée n’a sans doute rien de comparable avec le Paris de la Commune, ni la Syrie dans son ensemble avec la France de 1789. Mais on fait comme si. Les Kurdes de Syrie, pas dupes, jouent semble-t-il un prudent double jeu, assurant le régime de Bachar Assad de leur neutralité, ou fournissant des combattants pas trop actifs à l’Armée syrienne libre. On peut les comprendre…

 

Tandis que la presse dite « occidentale » prend fait et cause pour les insurgés syriens, les Kurdes, qui observent la situation tant depuis l’Irak que la Turquie que le nord de la Syrie ou leurs quartiers de Damas et d’Alep, font la part des choses.

Tout d’abord, ils savent mieux que personne que les victimes ne sont pas tellement plus nombreuses qu’en Irak. En une semaine, dans les deux pays, les pertes sont de l’ordre d’environ une centaine de tués et de plus du double de blessés… par semaine. C’était en tout cas le cas la semaine dernière. Simplement, comme la démocratie est censée avoir été rétablie en Irak, et qu’aucune firme de com’ ne prend en main l’image des diverses factions ou multiples partis irakiens, cela intéresse moins.

Par ailleurs, si les troupes du régime syrien se livrent à des massacres ou des destructions spectaculaires, ils le font surtout pour l’exemple, mais se gardent bien de faire subir aux grandes villes le sort de la libyenne Misrata.

D’une part, faute de pétrole, il faut bien préserver des secteurs économiques, ne pas trop s’aliéner diverses composantes de la population, et ne pas jeter les Kurdes dans les bras des insurgés. Damas n’a pas totalement été détruite, et les quartiers kurdes rassemblent plus de 500 000 personnes à Damas et 600 000 à Alep.

Mais même dans les régions à forte densité de Kurdes, ceux-ci ne sont pas vraiment majoritaires en Syrie. C’est pourquoi d’ailleurs le Conseil national syrien, qui veut ne veut pas non plus fâcher la Turquie (il est hébergé à Istanbul ou près de la frontière sud), refuse d’envisager une totale autonomie pour les Kurdes du nord du pays. Mais ceux-ci se l’aménagent et promettent de garantir les droits des communautés arabes sunnites, arméniennes et assyro-chaldéennes (chrétiennes).

Longtemps plus ou moins protégé par le régime, le PKK, le Parti des travailleurs, ont pris position à Kobani (dénomination kurde d’Ayn Al-Arab), dans diverses localités, et exigent à présent que les troupes régulières quittent Qamishli. L’Armée syrienne libre, un moment freinée par les barrages et contrôles des Kurdes, bénéficie à présent d’une certaine dose de collaboration, mais sans empressement particulier.

Le régime a (re)naturalisé rapidement des milliers de Kurdes, sans vraiment se les concilier. Cela tient aussi au fait que, dans le Kurdistan iranien, la lutte contre la contrebande sert de prétexte à la répression, menée parfois par des commandos qui tuent et pillent.

Par ailleurs, les Kurdes redoutent que l’Arabie ou le Qatar influencent trop la politique confessionnelle des éventuels vainqueurs. Une survivance du régime dans un réduit côtier alaouite ne contrecarrerait leurs intérêts nationaux.

Les insurgés brandissent l’ancien drapeau syrien qui ne symbolisait aucunement, pas plus que celui du régime, la présence d’une composante kurde. Vu des diverses parties du Kurdistan, le conflit oppose surtout l’Iran (soutenu par la Russie) aux États-Unis et ses alliés israéliens ou de la péninsule arabique.
Bien placés pour savoir que les droits de l’homme et les revendications démocratiques ne sont souvent qu’un prétexte, les Kurdes de Syrie cherchent à trouver des armements dont il n’est pas si sûr qu’ils servent à appuyer les insurgés. Pour le moment, les Kurdes syriens se disent, par la voix de Bahjat Bachir, le dirigeant de l’un des partis du Conseil national kurde, attachés « à l’unité de la Syrie ». En fait, cela tient à ce qu’une partition en trois composantes pourrait entraîner une forte réaction de la Turquie. Ses dirigeants s’en défendent, mais prendre pied dans les zones kurdes du nord de l’Irak ou de la Syrie, qui produisent ou sont des zones de prospection du pétrole (surtout en Irak), pourrait la tenter. Cela supposerait un accord avec les Kurdes ou au contraire de les combattre.

Quand l’armée ou les milices du régime se livrent à des massacres, ce sont des massacres. Quand l’ASL commet des bavures, ce sont des bavures. Quand les Émirats musèlent leur opposition chiite, ce sont des islamistes radicaux qu’ils pourchassent, évidemment. Les Kurdes, qui conservent la mémoire tant de massacres que de bavures, cherchent surtout à s’épargner les unes et les autres.

Bien que kurde, Abdel Basset Sayda dirige, au moins nominativement, le CNS. Il vient de se rendre au Kurdistan irakien pour plaider la cause de l’ASL. Très critiqué au Kurdistan syrien, il n’est pas sûr qu’il parvienne vraiment à se faire entendre, sauf à invoquer le risque d’une intervention turque…
Mais à part cela, le conflit syrien reste dépeint tel celui des gentils contre les méchants. C’est plus simple à communiquer.

P.-S.– le drapeau en illustration est bien sûr un montage (un emblème kurde au premier plan de l’ancien drapeau de la Syrie, remontant à 1932, et à présent adopté par l’ASL).