Fâché très tôt, dès les petites classes, avec les chiffres, je n’étais pas très chaud pour me lancer à jouer au Sudoku… Finalement, j’ai fini par m’y mettre et même par, coups de chance rares, achever des grilles du niveau « Expert » (le quatrième et l’ultime) du Monde. Voici pourquoi…
Dire que je suis nul en maths est un fort euphémisme. C’est avec l’arithmétique que je suis resté en froid (alors, les maths, pensez…). Pour chaque pourcentage, chaque règle de trois, je consulte de nouveau la Toile… Cela remonte à la classe de dixième (autrefois, la onzième, c’était la maternelle ; la dixième, c’était « la grande école »), et j’ai tenu, cahin-caha, plutôt (très) mal, jusqu’en première. En terminale, ma déroute dépassait en ampleur et gravité la Bérézina napoléonienne.
Pour tout avouer, mon 0,5 au bac, coéf. quatre (en série E, pour, alors, économie) m’obligea à passer l’oral (charitablement, l’examinateur s’étant inquiété de ma vocation, doubla la note gratuitement : les futurs journalistes n’étaient pas déjà suspectés comme à présent…) et je ne décrochais la petite mention que d’extrême justesse. Par la suite, j’ai assez vite renoncé à reprendre des études de sociologie (première année en touriste, troisième par équivalence) car les statistiques, c’est pour moi un mélange d’hébreu et de chinois (en décortiquer les conclusions m’est chose beaucoup plus accessible).
Or donc, quand apparût la mode des sudokus, j’ai détourné le regard. Oui, mais… D’accord, elle était cadre à La Poste, plutôt cultivée, mais nourri de préjugés à l’égard des téléphonistes (depuis Fernand Raynaud et son 22 asniérois), des postières (la chanson de Pierre Perret), je ne pus admettre qu’elle réussisse sans faille des grilles que je me mis à tenter de remplir avec d’énormes difficultés.
Dépité, je m’efforçais d’oublier ma déconfiture. Mais je suis tombé un jour sur un livret de grilles abandonné. Nombreuses étaient celles inachevées, aux cases remplies de trois chiffres tracés au crayon de bois, plus nombreuses encore les grilles vierges.
La caractéristique de ces livrets, c’est la drastique sobriété de l’énoncé des règles. Le lire ne vous donne absolument pas de piste pour résoudre le niveau deux (ou équivalent, selon les éditeurs et supports). S’il en est trois, voire quatre ou cinq, autant lâcher crayon ou stylo tout de suite…
Pourtant, pourtant, je me suis accroché.
Au fur et à mesure de ma progression, j’ai pensé maintes fois à livrer ici mes pauvres trucs. Mais l’ampleur de la tâche (pour ne s’adresser qu’aux seuls nuls, de manière très accessible, il me fallait colorier des tas de grilles…) amplifia à l’extrême mon penchant pour la procrastination.
Officiellement, le sudoku comporte onze niveaux. Parfois, en moins de deux couples d’heures, des experts parviennent à solutionner un onzième niveau. Soit une grille retorse comprenant fort peu de chiffres dits dévoilés (ou préinscrits).
Généralement, dans la presse, on s’arrête au niveau « expert ». Qui frôle ou non le « diabolique ». Car figurez-vous qu’un niveau deux d’un livret peut présenter parfois la difficulté d’un troisième, et inversement, un niveau trois se terminera aussi facilement qu’un deuxième.
Qu’est-ce qu’un niveau « diabolique » ? Cela correspond, crois-je comprendre, à l’équivalent d’une grille du Canard enchaîné actuel pour les cruciverbistes (avant, avec les grilles de Scipion, c’était certes coton, mais mieux aisément réalisable). Résumons : tout niveau inférieur à celui dénommé diabolique est présumé ne pas vous obliger à poser une hypothèse, soit à mettre quelque part un chiffre au hasard, puis à vérifier si cela correspond à un coup d’épée dans l’eau ou à une bonne pioche.
Pour progresser, il faut se tourner vers la Toile et effectuer une recherche sur le nom du jeu associé au terme « astuce » (adj. sing., mais la forme plurielle convient aussi).
Là, patatras. Soit c’est succinct à l’extrême, d’une sobriété s’apparentant à une paraphrase des règles, pour le moins sommaires. Soit vous vous (enfin, moi) retrouverez devant des cases comportant jusqu’à cinq chiffres, ou des flèches qu’un plan de bataille mettant aux prises des unités, régiments, divisions, flottes ou escadrilles des trois armes de multiples nationalités fait paraître, comparativement, simple et lumineux. Rien que la stratégie dite des paires exclusives (et ne parlons pas des méthodes X-Wing et Y-Wing) plonge le semi-nul que je reste dans un confus et perplexe égarement.
Tout ce verbeux préambule ne saurait se priver du plus simple rappel de l’unique règle : un même chiffre ne peut se retrouver dans un même groupe de neuf cases ou une même colonne ou ligne.
Donc, le b-a ba consiste à rechercher l’emplacement des chiffres afin de réduire à deux possibilités (deux chiffres, et non trois ou quatre, ou cinq) le remplissage de deux cases. Lorsqu’elles sont voisines (en horizontal ou vertical), c’est fastoche. Lorsqu’elles sont disposées autrement, c’est plus ardu.
Mon premier truc de base, c’est de poser les chiffres qui « sautent aux yeux », ceux, candidats, identiques aux dévoilés, apparaissant au moins quatre ou cinq fois dans les cases pré-remplies. Puis d’examiner tour à tour tous les chiffres, séquentiellement (du 1, s’il apparaît, au 9 ; ou du 9 au 1).
Ma seule et unique astuce basique, c’est de considérer que dans une même région de trois groupes de neuf cases, si les mêmes chiffres se trouvent dans deux groupes en même position (en bas, à gauche ou à droite), le troisième sera forcément dans la troisième position, la seule possible.
Ainsi, dans cette capture d’écran, le chiffre 4 se situait obligatoirement deux fois dans les cases inférieures de deux groupes. Partant, c’était dans l’une des supérieures du groupe central, soit dans les deux voisines du 6 pré-rempli, que se situait le 4.
Vous me rétorquerez avec justesse et même évidente exactitude que ma démonstration me vaut un zéro pointé puisque le 4 ne pouvait être, en ligne supérieure de la région du haut, à l’emplacement du candidat 3, ni à celui du candidat 1, et que cela « sautait aux yeux ». En effet, dans le groupe du bas, le 4 apparaît, pré-rempli, sous l’emplacement du 3 et sous celui du 1.
Et c’est d’autant plus stupide que, pour cette région et dans le groupe de gauche, le 1 se trouvant en ligne du bas, il devait nécessairement se situer en ligne médiane du groupe central, et partant dans la seule case libre centrale, entre le 9 et le 2.
Mais croyez-le ou non, c’est de la sorte que j’ai déterminé l’emplacement du 4 de la ligne du haut dans ce groupe central. Eureka ? Que nenni !
Bon, d’accord, j’ai surtout une nouvelle fois établi que pour moi, les chiffres restent des entités quasi-mystérieuses, que toute tentative d’en traiter finit en fiasco, et que le ridicule ne m’a pas foudroyé puisque vous lisez ce paragraphe.
Il est clair qu’il y a quelque chose qui cloche là, supra, et je n’y retournerai surtout pas immédiatement, ni même jamais… Je le reconnais volontiers : j’ose tout… Déduisez-en ce qui s’impose…
N’empêche. Il m’a fallu quelques temps (litote), et pas mal de grilles remplies avec succès (eh oui, tout arrive… sauf les diaboliques, me restant hors de portée), pour enfin me rendre compte qu’un même chiffre, dit « candidat », pouvant se situer dans x cases blanches disposées semblablement par paires (position inférieure, ou supérieure, ou latérale identique) se trouvera sur la troisième ligne ou colonne.
Vous aussi, vous êtes nul ou quasi-nul en sudoku ? Mais désireux de le devenir moins ? Oubliez ce qui précède (même si calé, voire fortiche en maths, il n’est pas sûr que la page Wikipedia – ou d’autres –vous soit d’un si grand secours), et retenez peut-être ce qui suit.
Pour toute grille d’un niveau inférieur au diabolique, si vous échouez, cela doit très peu, le plus souvent, à une erreur de raisonnement, mais tout simplement à une gaffe de report (vous avez bien déterminé la bonne case, mais au moment d’inscrire le chiffre, bêtement, vous le placez dans une voisine).
Au lieu de musarder, lire (eh oui, même ce qui précède…), bavarder, songer au passé, à l’avenir, vous risquez de considérablement gaspiller votre temps à jouer au sudoku. Pour finalement vous apercevoir que tout niveau autre que diabolique devient lassant. Devenir un champion ne vous apportera qu’une notoriété fort éphémère (des concours sont organisés, seuls les titres d’expression japonaise ou anglo-saxonne mentionnent le nom du vainqueur ; exceptionnellement, c’est aussi le cas de la presse locale du site du championnat si le champion est un concitoyen, mais la page en ligne de la Fédération française des jeux mathématiques publiera peut-être une photo du podium).
Tenter d’expliquer les astuces du sudoku classique de manière limpide est une gageure, vous risquez d’y perdre votre temps et celui des autres (parvenus jusqu’ici, par exemple). Ce n’est pas une question de chiffres (avec des lettres, ou tout symbole, c’est kif-kif). Tout comme les échecs rendent surtout intelligents pour jouer aux échecs, il n’y a pratiquement que les bons joueurs qui puissent comprendre aisément les astuces (voire la terminologie employée) de résolution d’une grille de sudoku. Il n’est même pas sûr que ces bons joueurs retiennent plus longtemps que d’autres la totalité de la table des multiplications. Vous êtes débiles au sudoku ? Restez-le, et passez à autre chose. C’était cela, l’astuce.