Les cacochymes ne poussent pas de « cri » et les seuls susceptibles de donner un « signal fort » sont les plus touchés par la crise et les mesures d’austérité inégalement réparties. C’est pourquoi le fameux nième sommet européen de Bruxelles, prélude à d’autres (à 17 ou 27 pays), est accueilli avec scepticisme. Le plus inquiétant n’est pas tant le fait que la Banque centrale d’Irlande et d’autres étudient leurs capacités à imprimer rapidement des monnaies nationales, comme le révèle The Wall Street Journal, ou que, depuis deux semaines, des compagnies d’agents de change font évoluer leurs logiciels en vue d’un retour à plusieurs monnaies européennes. Quand Joseph Ackermann, de la Deutsche Bank, reçoit un colis piégé (décelé à temps), d’autres dangers guettent.

Un sommet de plus, à la cacophonie soigneusement lissée et manucurée par les déclarations officielles, n’aura que peu de portée…

Quoique qu’on puisse en dire.

Les mesures annoncées sont une chose, leur calendrier d’application une autre. Et c’est là le talon d’Achille qui fait penser à beaucoup de protagonistes que le point de non-retour a déjà été dépassé.

Ce qui aurait pu être un signal fort, c’est que le futur fonds d’intervention européen prenne le statut d’une banque.

Cela fut envisagé, des pays ont opposé un veto.

Il n’est pas sûr que ce fonds soit suffisamment abondé pour intervenir efficacement. Il serait question de le doter de 150 milliards d’euros. Est-ce bien à la hauteur de la situation ?

Les interférences « extérieures » (celle des États-Unis, qui ont tout récemment mis une sourdine à leurs demandes), ou « semi-extérieures », comme celles de David Cameron, le Premier ministre britannique, vont sans doute s’apaiser, mais on ne sait pas comment des pays comme la Suède ou la Pologne (hors Eurozone) vont réagir. Pour le Royaume-Uni, qui veut préserver la City, un avertissement lui a été lancé : « Je n’accepterai pas qu’en matière de services financiers, le Royaume-Uni se voie réserver des droits et des libertés d’action que les autres n’auraient pas », a déclaré sur Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe, sur France Info. La crainte d’un Eurogeddon n’est pas écartée, ni même celle de l’expulsion pure et simple de certains pays d’Europe du Sud (la Grèce, en particulier). « L’euro peut exploser et l’Europe peut se défaire et ça peut être une catastrophe non seulement pour l’Europe, pour la France, mais pour le monde », a résumé le ministre des Affaires européennes, Jean Leonetti, sur Canal+. Les moyens de maintenair la cohésion sont drastiques. C’est d’ailleurs ce que reflète la caricature du Times de Londres : une affiche inspirée du film Grease, avec Olivia Newton-Merkel et John Sarkolta entonnant un chant à la Musset, « Désespérément voués à l’UE ».

Herman Van Rompuy a fait savoir aux journalistes présents à Bruxelles qu’ils devaient s’attendre à passer une « très longue nuit ».

L’Europe, après ce sommet, entrera de toute façon dans une zone de turbulences, et si la récession mute en dépression, le scénario d’une sortie « concertée » de l’Euro (progressive ou non) émergera de nouveau. James Ferguson, le caricaturiste du Financial Times, l’exprime cruellement : une Eurozone déglinguée, avec des « milices locales » tentant d’imposer l’austérité aux résidents récalcitrants.

Quelle austérité ?

L’autre question qui se pose sur l’issue de ce sommet, c’est ce qui sera réellement annoncé aux nations européennes. Il y a un discours pour « les marchés », un autre pour « les peuples », souvent réduits à leurs entrepreneurs. Soit ceux estimés capables de relancer un emploi vraiment productif.

Mais où au juste ? Poussant partout à une politique d’accès à la propriété, qui se traduit à présent par des expulsions, les gouvernements européens ont figé, sauf pour les cadres techniciens ou financiers, la mobilité européenne. Il faut donc pouvoir recréer des emplois locaux, mais on ne sait trop comment.

Par ailleurs, des milliers d’emplois ont été créés dans les banques et les assurances, tous voués non pas à répondre aux attentes des déposants, mais à spéculer, spéculer, spéculer.

Sans réelle efficacité si ce n’est de gonfler le salaire des dirigeants et des plus doués.

Pense-t-on que ce sommet se prononcera sur la question : quel type de retour à quel genre de croissance ?

Depuis la crise des subprimeset des emprunts toxiques, pratiquement rien n’a été fait : des mesures timorées aux États-Unis, contrecarrées par le parti républicain et des démocrates, de timides déclarations d’intention (sauf, bien sûr, la fameuse tonitruante « réforme du capitalisme » claironnée par Nicolas Sarkozy), et rien d’autre.

En revanche, alors que se préparent de nièmes plan de rigueur, il n’est jamais clairement annoncé la réelle répartition de l’effort demandé aux uns (les plus gros détenteurs de fonds privés) et aux autres (les plus faibles).

Ni clairement les conséquences de cette répartition.

Certes, les États savent (à peu près, pas toujours, et guère à moyen terme) et les nations se doutent des conséquences, sans déjà vraiment les ressentir fortement (sauf, par exemple, en Grèce et en Espagne, et en des pays européens ayant déjà appliqué des contreparties aux prêts du FMI).

La réduction de la « voilure » semble être symboliquement comprise par certains chefs d’État : Enda Kenny,l’Irlandaise, s’est rendue à Bruxelles sur… Ryanair, tandis que l’Italien Mario Monti a opté pour un Falcon 900, moins gourmand que l’Airbus de Berlusconi. Il n’y a plus de petites économies (sauf pour les petits épargnants, les taux d’intérêt bas, très bas, pour les petits déposants, étant érodés par l’inflation réelle, celle de leurs principaux produits de consommation, tandis que, par exemple, la Banque d’Angleterre maintient son taux directeur à… 0,5 %).

Bref, en cette mi-journée de jeudi 8 décembre, personne ne sait trop ce qu’il ressortira de ce sommet et encore moins comment cela se traduira pour les populations. À l’incertitude des marchés s’en ajoute une autre : comment, en 2012, en 2013, réagiront les populations frappées durement par l’austérité ? Nul ne le sait…

Dans l’immédiat, Mediapart titre : « Le Conseil européen est mal parti ». On nous assurera certainement du contraire au fur et à mesure que s’écoulera la journée. Mais de fait, tout le monde attend lundi rongé par de fortes appréhensions.

Ah, oui, au fait, l’envoi d’une lettre piégée à la Deutsche Bank a été revendiquée par une certaine Fédération Anarchiste Informelle. Il y aurait deux autres banques destinataires de telles lettres. Les rayons x ont été employés pour détecter la nature du courrier à la Deustche Bank. Un coup des Italiens (voyez, sur Wikipedia : Federazione Anarchica Informale) ? Cette FAI regrouperait : Cooperativa Artigiana Fuoco e Affini (occasionalmente spettacolare), la Brigata 20 luglio, les Cellule contro il Capitale, il Carcere, i suoi Carcerieri e le sue Celle et Solidarietà internazionale. Leurs derniers colis piégés remontaient à mars dernier (caserne de Livourne, une prison en Grèce, deux à Olten, en Suisse).
Référence : http://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9d%C3%A9ration_anarchiste_informelle

C’est surtout l’Autorité bancaire européenne (ou l’Autorité européenne de régulation des marchés) que craignent les banques. Elle a changé les modes de calculs et les besoins en fonds des banques européennes ont sensiblement augmenté (avec les Allemandes les plus touchées, voir le détail ci-dessous en commentaires).

Seule petite déclaration optimiste de la journée, celle de Vitas Vasiliauskas, qui a confié au Wall Street Journal que la Lituanie envisageait toujours de rejoindre, un jour, la zone euro (la Roumanie avait déclaré la même chose voici environ deux semaines, en marge d’une visite de son président à Berlin). En tout cas, pour les marchés, contrairement à ce qu’on avait cru en milieu de journée, la confiance ne remonte guère, et même au contraire…