Société: Les réalités « incontournables »

En survolant la presse, ce matin, j'ai été surpris du nombre de fois où j'ai lu les mots "réalités incontournables". Le propre de la réalité incontournable est qu'il n'est pas la peine de s'interroger sur ce quelle est, sur ce qu'elle représente, sur son bien fondé. La réalité incontournable est supposée avoir et devant toujours être.

Chaque pays a ses réalités incontournables. Aujourd'hui, chez moi, au Sénégal, c'était à propos des confréries, c'est souvent à ce sujet. L'utilisation de ces termes précède toujours l'idée que ce n'est pas la peine d'en parler puisque c'est un sujet sur lequel on ne peut rien changer. C'est comme ça, ça a toujours été comme cela et sera toujours ainsi. Quoiqu'on en pense.

 

C'est plus qu'un dogme, beaucoup plus qu'un dogme, puisque celui-ci ne s'applique qu'aux croyants et ne concerne pas, théoriquement, l'incroyant. La réalité incontournable s'applique à tous.

 

Pourtant, si on regarde un peu l'histoire, le monde est rempli de réalités incontournables qui, avec le temps et surtout le combat, ont été contournées et abolies. L'esclavage fut, pendant des siècles, un des socles de nombreuses sociétés, une réalité que quasiment personne ne remettait en cause. Plus tard, le servage et le féodalisme étaient des réalités sociales, longtemps incontestées.

 

Notre problème est là, en partie. Nous voulons que les choses changent, une autre vie, sans changer, précisément, ce qui soutend les pratiques actuelles et empêche l'émergence de comportements nouveaux. Nous voulons les résultats d'un autre mode de fonctionnement tout en respectant les "réalités incontournables".

 

Notons au passage que l'on ne parle de ces réalités qu'au sujet de situations discutées et discutables, pour évacuer le débat par abandon de la discussion et même du questionnement. Argument miracle pour conserver son petit confort intellectuel, dans sa petite vie, sans secousse, sans remise en cause, sans conflit.

 

La vie n'est pas un long fleuve tranquille, les fleuves trop tranquilles n'arrivent jamais à la mer, ils se perdent dans le désert bien avant.