Ce vendredi 19 juillet, un train en provenance de la gare parisienne de l’Est et se dirigeant vers la Picardie a été bloqué deux heures environ à Compiègne. Raison : la voie n’était pas libre, un train se trouvant en panne. Quelle panne, due à quoi, à la motrice, aux voitures, à l’état de la voie ? Après la catastrophe de Brétigny, et les révélations contradictoires quant à ses causes présumées, une association d’usagers, l’Avuc (voyageurs-usagers du chemin de fer), lance une pétition sur Change.org pour exiger de la SNCF « de publier toutes les informations disponibles sur l’état du réseau ferroviaire » français. Ce mois, en 20 jours – ce samedi 20 juillet en début d’après-midi – le cumul des retards de trains s’élève à 173 jours et 25 minutes. Mais les déclarations polémiques sur des actes délictueux à Brétigny ont pris quelques jours d’avance… 

Selon l’association Avuc, et son porte-parole Willy Colin, « neuf passagers sur dix empruntent le réseau secondaire, le plus vieillissant de la SNCF, dont la ligne Paris-Limoges fait partie. ». Sur ce réseau, ce vendredi, mais cela se produit aussi dans les deux sens, en particulier les vendredis, samedis et dimanches, un train se dirigeant vers Chauny s’est retrouvée bloqué deux heures à Compiègne. La raison invoquée a été qu’un train restait en panne sur la voie.

C’est relativement habituel sur ce tronçon, peu affecté par l’afflux de voyageurs en période de vacances. Il n’en était pas tout à fait de même sur la ligne Paris-Limoges. Le drame de Brétigny est peut-être dû à un sabotage des boulons d’une éclisse, mais un fournisseur de la SNCF, qui s’était confié au Parisien, a mis très formellement en cause l’état des voies.
Aujourd’hui, la presse rapporte qu’un agent de la SNCF, mandaté pour donner un avis d’expert, a considéré que les boulons qu’il a pu examiner n’étaient sans doute pas les bons, et que la police avait mal sécurisé le périmètre.

Cet argument est quelque peu « osé » dans la mesure où, sans aucun doute, les secours à donner aux victimes devaient primer sur toute autre considération. On sait qu’une éclisse avait sauté, alors qu’elle est normalement fermement boulonnée, et avait bloqué l’aiguillage en gare de Brétigny. Une probabilité infinitésimale, selon la SNCF, et cela a donné lieu à des supputations de sabotage.
Trois des quatre boulons fixant la pièce aux rails ont cédé ou auraient été dévissés, ou non remplacés, on se perd en conjectures. L’Association des usagers des transports d’Île-de-France ne sait trop comment se prononcer.

Dans un premier temps, l’Avuc, qui regroupe une centaine de personnes, n’a pas voulu directement mettre en cause l’entretien de la voie et le drame. Mais, « cette ligne est malade depuis 2011 », avait-il souligné. Est-ce la seule ? Absolument pas.

Quant à l’infime probabilité, elle n’est pas nulle. Je me souviens d’avoir projeté par inadvertance la clef d’une Renault Kangoo sur le siège passager avant. Je l’ai vue rebondir. Recherche minutieuse dans tout l’habitacle, en vain… En fait, la clef s’était totalement insérée entre la banquette arrière et son dossier, restant invisible tant depuis l’habitacle que depuis le coffre. Il est incompréhensible qu’elle ait pu être si violemment rebondir au plafond puis qu’elle puisse ainsi s’enficher profondément. Comparaison n’est pas raison, mais… la balistique a bien du mal à rendre compte de tout.

L’initiative de l’association Avuc ne vise pas à contribuer à déterminer la cause de la catastrophe, mais d’inciter SNCF, ministère des Transports et Réseau ferré de France à prévenir un autre drame dû à la vétusté des matériels ou équipements.

Pour l’Avuc, l’état de douze lignes secondaires est particulièrement inquiétant, voire critique. L’entretien est insuffisant, souvent confié à des sous-traitants, les investissements de rénovation sont faibles, la priorité est donnée aux lignes à grande vitesse. D’où cette pétition sur Change.org pour que la transparence la plus complète soit faite sur l’état du réseau ferré français.

Arrêt sur Images a recueilli « le témoignage d’un conducteur de train, qui a alerté à plusieurs reprises sa hiérarchie, après avoir ressenti des secousses anormales dans la zone de Brétigny. ». Ce témoin, Julien, a préféré conserver l’anonymat. Comme le résume Daniel Schneidermann, « la SNCF ne s’empresse pas de communiquer sur le nombre de kilomètres de rails qui tombent en ruine. ». L’image est certes un peu forte, tout comme la chaleur qui chauffe en ce moment les rails. 

L’Avuc réclame que l’ensemble des données relatives au réseau soi-t mise en ligne sur la plate-forme www.data.gouv.org.

L’UMP (et le FN) préfère surtout mettre l’accent sur des hypothèses de violences ou vols : il est soutenu que la préfecture aurait été sommée par le gouvernement de minimiser les faits. Certes, mais l’état du réseau ne peut, lui, être imputé à l’actuel gouvernement. On admettra fort volontiers que sa responsabilité, après un an, est engagée, au moins partiellement. 

Mais embrayer sur des actes de violence, supputés après l’envoi de photos fort peu probantes sur les réseaux sociaux, constatés de manière présumée par des CRS parvenant une heure et demie après les premiers secours, et ne trouvant pas les sauveteurs harcelés ou agressés, mais eux seuls, et ne pouvant attester pour le moment que de la disparition d’un téléphone portable, c’est faire preuve d’une attitude « responsable » évidente quant à l’ampleur du problème.

Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a évoqué un éventuel « camouflage » gouvernemental et dénonçant des « personnes cherchant à tirer parti d’une situation aussi dramatique »,  va très certainement s’empresser de signer la pétition de l’Avuc. Éric Ciotti, qui a dénoncé « une faute politique et morale » sera sans doute lui aussi au nombre des tout premiers signataires. Bernard Debré, ardent défenseur de Jérôme Cahuzac et pourfendeur de Mediapart, devrait suivre de très, très peu. De même que Marine Le Pen qui a suspecté « une véritable opération de dissimulation ».

Les signatures sont à présent, en ce moment, un peu plus de 1 700.

Bruno Deshayes, signataire, résume les aspects techniques :

1/ Depuis quelques années on peu constater une politique d’achat qui consiste à prendre le moins disant, avec parfois des dérives sur la qualité du matériel.
Question n°1 : Est-ce que le matériel en cause répondaient aux normes SNCF en vigueur ?

2/ Celui qui suit le marché et qui assure l’installation n’est pas toujours au fait des contraintes spécifiques de l’équipement. Quand il l’est, il faut que le dossier de sécurité soit convenablement constitué, avec les données techniques qui fixent les contraintes de maintenance.
Question n°2 : Est-ce que les conditions du marché et de la réception ont été respectées et si oui sont elles conforment aux exigences de sécurité exigées ?

3/ Le mainteneur doit donc adapter ses contrôles et vérifications suivant la nature des équipements en service et en défini la périodicité pour établir un plan de charge de la maintenance.
Question n°3 : Est-ce que les périodes de contrôle sont respectées et sont-elles adaptées à l’équipement ?

Rappelons que Nathalie Koscisuko-Morizet était ministre des Transports, avec Thierry Mariani en tant que ministre délégué. Qu’elle fut précédée par Dominique Busserau et Dominique Perben, par Gilles de Robien et François Goulard. Le ministre des Transports de Lionel Jospin, jusqu’en mai 2002 était Jean-Claude Gayssot.

NKM avait évoqué sa mésaventure en 2010 : « J’ai le souvenir d’avoir été bloquée par temps de neige l’hiver dernier dans le Thalys parce qu’il y avait un conseil environnement à Bruxelles. Je pense que ce n’est pas un très bon souvenir non plus pour Guillaume Pépy. ». Effectivement, puisqu’il s’agissait d’un suicide et que, dans ce cas, un procureur de permanence est dépêché et que les voyageurs doivent attendre qu’il ait constaté, que la police lève le périmètre de sécurité.

En 2011, elle évoquait la situation des lignes secondaires en ces termes : « Pour les Corail, trains importants en termes d’aménagement du territoire, on a prévu de faire financer par les autoroutes une partie du déficit depuis la conclusion de la convention des trains d’équilibre du territoire, en décembre 2010. Il faut accepter l’idée d’un transfert permanent d’autres modes de transport vers le train. ».

En fait, en février 2012, l’Avuc dénonçait la libération de sillons (parcours) pour le privé et que gouvernement et régions se renvoyaient la responsabilité d’une situation dégradée. Les régions étaient alors dirigées majoritairement par le PS, NKM ministre des Transports.

En février 2012, Gilbert Garrel, de la CGT-cheminots, adressait une lettre ouverte à NKM. Il faisait état « de la sous-traitance en cascade sur les chantiers, du manque de formation de certains salariés d’entreprises ferroviaires privées », et d’une « maintenance réduite des installations ». Cela découlait sans doute de l’impéritie du ministre Gayssot, en 2002. Il dénonçait « la suppression des brigades voies et caténaires » et le « dogme de la concurrence et de la sous-traitance des travaux ». « Je suis désolé de devoir vous écrire, mais la situation se dégrade si vite que j’ai l’obligation morale de vous en informer, » concluait-il. On ne se souvient pas que NKM se soit empressée de répondre, elle venait de découvrir Tweeter, et avait beaucoup de rendez-vous dans les studios de radios et télévisions…   

À Brétigny, il a bien été recensé, quatre plaintes pour des faits de vol, auprès du parquet d’Évry ou du commissariat de Limoges. Celle d’un médecin urgentiste ayant constaté la disparition de son portable, trois autres ont été déposées, qui seront ou non étayées. Quant aux actes de violence, ils ont été démentis par le Samu et la Croix-Rouge, présents bien avant l’arrivée des policiers. L’une des autres plaintes fait état de la disparition d’effets personnels et d’un ordinateur dans le bagage d’une jeune voyageuse. La nature des deux autres plaintes n’a pas été révélée.
Sur place, il y avait deux sections de la CRS-37 (soit 70 officiers, sous-officiers, policiers), puis quatre (140), puis des sections de la CRS-51 et des membres de la CRS autoroutière Sud-ïle-de-France. Bien évidemment, d’autres policiers étaient présents. Brétigny compte un commissariat de la police nationale. Brétigny et les communes de sa communauté sont dotées de policiers municipaux. Brétigny est distant de Paris de 42 km et la SNCF dispose aussi d’agents de sécurité. Il y avait également 300 pompiers sur place, dont 40 militaires des Pompiers de Paris. Aucun des huit hélicoptères n’a été abattu, que l’on sache. Faut-il conclure à l’incompétence des services de polices, débordés, dans ces conditions, par des hordes d’assaillants ? C’est un peu ce qu’évoque NKM, faisant état d’escadrilles de « vautours ». On en conclura ce qu’on voudra, mais il apparaît qu’elle n’a pas présenté ses excuses d’ancienne ministre aux victimes.

Il ne s’agit pas de nier que des incidents se soient produits. Qu’il aient été exagérés est possible, et après tout, quel syndicat de quelle branche d’activité dénoncerait des effectifs en surnombre ? Mais des pillages sur des scènes d’accident, serait-ce totalement inédit, tous les cas (car il en fut d’autres) auraient-ils été constatés à partir de juin 2012 ? Parmi les quelques interpellés, ne s’en était-il pas trouvé un l’ayant été aussi antérieurement à juin 2012 et relâché ?

Pour le moment, aucun responsable de la majorité ou de formations opposées à l’UMP ou au FN n’a soutenu que le mauvais entretien du réseau ferroviaire avait été prémédité afin de favoriser des accidents, des émeutes et des pillages. Mais après tout ? Car NKM avait mis l’accent sur la sécurité, les vols de cuivre, de métaux. Elle avait raison. Ce n’était pas superflu. Eh bien, quel est donc son bilan ? Il suffit de lire la presse régionale pour s’apercevoir que ces vols se poursuivent. Y compris, en avril dernier, dans la région lyonnaise : une cinquantaine de TGV se sont retrouvés bloqués. Selon la SNCF, les vols de cuivre représentent encore 10 à15 % des retards. NKM clame-t-elle qu’elle avait sous-estimé l’ampleur du problème ? L’en accuse-t-on de studios en studios, de réseaux sociaux en sites polémiques ?

Marine Le Pen fait à présent état d’une « véritable opération de dissimulation » de la part de l’État « avec la complicité évidente de certains relais médiatiques serviles ». C’est sans doute largement plus important que la véritable opération de dissimulation de l’état des voies SNCF avec la complicité des médias ? Mais n’y aurait-il pas une électrice, un adhérent FN parmi les victimes ? N’était-ce pas au fond un complot politique ?

Ce samedi midi, la pétition frôle les 5 000 signatures. Ce n’est ni grâce à Hollande, Marine Le Pen, Sarkozy ou Mélenchon, ou je ne sais qui.

La rédaction d’Essonne Info qui, elle, n’est pas arrivée sur les lieux après les CRS ou les premiers secours, est formelle. Il n’y avait pas que des jeunes, mais des habitantes, des habitants, l’une désireuse d’aller acheter des couches pour un bébé, l’un attendu pour dîner chez son frère. Le caillassage constaté se limite, rue Boyau, au jet d’une pierre. « Oui, une pierre a bien été lancée, cela dans un état de tension ambiante. Toutefois nul caillassage ou émeute, comme certains ont pu l’écrire. ». Conclusion : « un événement aussi tragique que ce déraillement de train peut devenir l’outil d’une instrumentalisation plus politique et pernicieuse. ».

Ce jour le TER 881304 est arrivé à Nice-Ville avec plus d’une heure de retard. À 14:15,  324 trains cumulaient un retard de trois jours, neuf heures et cinq minutes (source untrainderetard.com). Pour les 20 premiers jours du mois, le cumul s’établit déjà à 173 jours de retard. Mais les déclarations polémiques ont, elles, pris quelques jours d’avance. Cela compense sans doute…

Il faut les multiplier : le total annuel des retards s’établit à 1 545 heures, neuf minutes. Allez, encore un effort !