Ne dites plus « une bière d’Alsace » ; mais dites : « un linceul de Lorraine ». Après les obsèques de Maurice Sinet, dit Siné, il faut désormais distinguer la mise en bière et la mise en morgon. Franchement, n’en déplaise aux Ch’tis, aux Alsaciens, et autres, qui, pour celles et ceux présents à l’enterrement de Siné le concèdent volontiers, la mise en morgon sur quatre planches (de bois brut, et non de BD, avec cire rouge vineuse pour sceller), c’est beaucoup plus… quoi ? Pétillant ? Moussu ? Épithètes trop faibles quand l’épitaphe « Mourir ? Plutôt crever ! » ponctue la mise en morgon.
J’y vas-t-y, j’y vas-t-y pas ? Non point à l’enterrement de Siné (j’en fus) mais de mon évocation de son accompagnement vers sa dernière copropriété (son caveau en accueillera d’autres). N’est point Léon Zitrone (†1995) qui veut. Sur Arrêt sur images, Daniel Schneidermann relève qu’aucun grand commentateur radiophonique ou télévisuel des pompes et circonstances n’était présent au cimetière de Montmartre, hier, mercredi, pour évoquer en direct le grandiose cortège ayant accompagné Siné en sa dernière demeure. Il y avait pourtant du son (la fanfare réunie autour de l’ami Étienne Liebig), et toute une flopée d’images fortes, en sus des Guy Bedos et autres personnalités dont la liste serait trop longue pour que je vous la transcrive.
Et puis, si je ne m’y attarde pas, sur cette liste, et l’événement lui-même, c’est que j’avais opté pour ne pas me munir de mon carnet de notes et de mes photophores afin de privilégier le recueillement, voire la communion (laïque, hein, évidemment) avec la très nombreuse assistance.
Pas de regret. Si ce n’est de n’avoir pas été présent au cérémonial précédent, plus intime (quoique… également tonitruant), histoire de serrer la pince à Denis Robert et quelques autres. Toulouse-la-rose (non point le toponyme mais l’écrivain des éditions Sens & Tonka) eut cette satisfaction. Ancien voisin ayant émigré vers la rue Montmartre, je ne fus guère surpris de le retrouver au cimetière homonyme.
De l’événement, d’autres en ont rendu compte mieux que je ne saurais le faire, dont Nathalie Bourrus, de France Info, qui titre « Siné, et son cercueil tagué ». Allez la lire. Ou, sur le site de L’Humanité, la dépêche de l’AFP.
Nonobstant, Je ne m’abstiens pas total de revenir sur cet enterrement. Pour deux raisons.
D’abord parce que, comme Schneidermann, qui concède cependant que Pujadas a daigné consacrer vingt secondes d’antenne à Siné, je m’étonne encore (sans trop m’en offusquer) que divers médias dits de premier rang (au tirage, à l’audimat) n’aient pas, ou pas mieux, couvert l’événement. Surtout parce que l’un des présents, voyant Le Canard enchaîné dépasser de ma poche, m’a indiqué l’avoir lu, puis parcouru attentivement trois fois, pour relever la criante absence. Maurice Maréchal, fondateur du Palmipède, a dû taper des pieds sous son cercueil.
Ce, cette omission, alors que c’est un Daumier que nous portâmes en terre. Siné sort de l’école Estienne à 17 ans. 70 durant, il n’a cessé d’œuvrer. Excusez du peu. Voilà pour le dessinateur, graphiste et caricaturiste. C’est glisser sur l’auteur, l’agitateur, le trublion, ayant marqué de sa présence maintes fois l’actualité (voir, sur C4N, mon précédent truc sur lui et Prévert à Angers, parmi d’autres moments et faits plus marquants).
Si « mise en morgon » ne figurera sans doute pas dans le dictionnaire de l’Académie, je vous fiche mon billet qu’il y aura des commémorations, des expositions, des retirages, &c. ; sous peu ou dans un avenir proche, et certainement plus lointain. Si ce n’est au Panthéon, Siné entrera assurément aux musées.
J’ai consulté, aux lendemains du décès de Siné, le site de Charlie Hebdo. Rien, si ce n’est dans la page de l’historique de la publication, qui mentionne son nom. Idem après son enterrement. Triste constat. Je ne sais si la rédaction se rattrapera en fonction des courriers reçus…
Tant pis pour eux, tant pis pour vous si n’étiez pas à son enterrement.
Ensuite, je dois quand même vous faire part de ce que j’ai pu entendre au bar-restaurant Tifinagh (qui a débité un morgon de première). Non pour vous dire les chants et libations (glissons quand même un grand merci aux Geluck qui ont régalé les consœurs et confrères avec autre chose que de l’eau de rivière ou du puits, comprendra qui pourra), non pour ambiancer à postériori les prolongations de ce splendide enterrement. Mais pour vous faire part que la mémoire de Siné conforte celles et ceux qui manifestent avec Nuit debout. Et affrontent, oui, de véritables violences policières.
Ce ne sont pas de boutonneux excités, ni d’adolescentes égéries révolutionnaires, qui m’ont analysé le comportement des policiers. Mais des quarantenaires, et deux septuagénaires. Qui participent fréquemment aux rassemblements et manifs de Nuit debout.
J’ai encore des potes dans la Rousse et dans la truanderie retraitée (et fort mal pensionnée), j’ai recueilli quelques confidences d’Hugues Pagan (ex-inspecteur divisionnaire devenu écrivain et scénariste) et d’anonymes, du Pinot simple flic au grand chef des CRS de 1968. C’est complexe, diversifié, la police… Nul doute, les méthodes employées pour casser Nuit debout ne doivent rien au hasard, à des débordements, des bavures. Il ne s’agit pas simplement de faire du chiffre avec des interpellations. Mais bien d’expédier à l’hôpital et d’éclaircir les rangs. Rien à voir, pour les méthodes, avec celles opposées aux veilleurs et manifestants du mouvement contre le « mariage pour tous ». Ou si peu en degrés et techniques d’affrontement.
Non, aux dires des participantes et participants, les policiers infiltrés dans leurs rangs ne cassent pas des vitrines pour en inciter d’autres à les suivre et en rajouter en dégradations. Mais la confrontation est organisée de telles sortes qu’il s’agit de dégoûter toutes et tous de revenir sur le pavé, et à certains moments, de les en empêcher physiquement et durablement, en infligeant des plaies adéquates.
Siné en était informé. D’où sa rage. J’ai déploré sa mini-zone du 6 avril dernier proclamant qu’il fallait « cogner les keufs ». Mais ce premier degré d’un pamphlétaire prompt à pousser fort loin le second, et au point de les rapprocher à l’extrême, n’était pas gratuit ou simple effet de plume (du fait d’un contexte : d’aucuns lui reprochaient de ne pas s’exprimer plus souvent et il leur rétorquait qu’ils avaient mieux à faire, soit d’aller manifester). Il y a de quoi piquer un coup de sang.
« Plus jamais couchés ! », proclamait sa dernière couv’ de Siné Mensuel. Ni résignés. C’est l’hommage qu’on peut continuer à lui rendre jusqu’à le rejoindre…
En raison de la foule, il y avait, à son enterrement, un assez fort détachement de la police municipale. Normal de poser des barrières, pour éviter d’involontaires dégradations de sépultures, normal de canaliser quelque peu. Tant mieux s’ils étaient un peu plus nombreux que nécessaire. L’heure était plus à rigoler qu’à se lamenter ; et plus on est de fous… Parmi eux, sans doute quelques « braves pioupious du Dix-septième » (arrondissement et peut-être de Béziers). Ce n’était nullement à eux que Xavier Mathieu, syndicaliste de l’ex-usine Continental, s’adressait en reprenant des slogans contre la police. Sur le moment, je les trouvais déplacés, ou superflus. Par la suite, au bistrot, je les ai mieux compris, voire admis. Parce que certains, tu leur tends une joue, puis l’autre, mais ils suivent les ordres, et appliquent avec jubilation les consignes…
Avec Nuit debout, Hollande ferait bien de s’inspirer de Clemenceau, qui ne persista pas après les fusillades de Narbonne et la dispersion des habitants et des mutins de Béziers. Il n’est pas, de son bord, que Gérard Filoche à l’y inciter.
Sous le cactus en forme de doigt d’honneur où repose Siné se trouve aussi son ex-épouse, Anik Sinet, qui l’enfonçait déjà dans le fondement de Val et Malka en signant « l’ex-épouse juive de l’accusé » (qui n’avait jamais eu besoin d’injonction pour se lever). Il ne mesure qu’un modeste 1,70 m, ce cactée de bronze. À s’obstiner, à persister, quelques-uns risquent de s’en prendre un beaucoup plus costaud. C’est, crois-je pouvoir avancer, le message d’outre-tombe d’Anik et Maurice Sinet. Et son écho s’enfle…
P.-S. – en spécial copinage, je regrette l’absence de l’écrivain Alain (Georges) Leduc, retenu ailleurs. Il finit un bouquin sur Octave Mirbeau (†1917) qui reste en manque d’éditeur. J’aurais aimé en glisser un mot à Catherine Sinet, que j’ai saluée d’un coup de chapeau, mais ce n’était guère l’occasion. Une autre fois, peut-être… Rappelons que le controversé Mirbeau finit, en quelque sorte, en Siné de son époque. Un Mirbeau illustré par Siné ? Pas plus moribond que pas si con ?
N.-B. – pourquoi cette évocation en rubrique « restos, sorties, concerts » ? Ben, sérieux, deux concerts gratis sur le même thème dans la même journée, c’est rare, non ?
Bis – Match (Paris Match), sa rédaction ou sa direction, s’est fendue d’une couronne sur la tombe de Siné. Il paraît que celle(s) de Charlie a ou ont fait de même, ce qui ne m’a pas sauté aux yeux. Mais puisqu’on me l’affirme, cela mérite d’être signalé. N’empêche, rien sur le site (ou alors, cela m’aura échappé…), cela fait… comment dire ? Vide ?