Shell, BP, Total & Co : manipulation des prix à la pompe ?

La Commission européenne a fait examiner les données comptables de « plusieurs compagnies pétrolières » ayant leur siège en Europe, selon la presse britannique qui cite en particulier British Petroleum (BP) et la Shell. Lesquelles auraient passé des accords tacites pour faire grimper les prix à la pompe. Cela étant, jusqu’à nouvel ordre, le conditionnel s’impose.

On verra ce qu’en fera le nouveau titre de la presse française, L’Opinion, chantre du libéralisme, et financé par de grands groupes (industriels et de distribution). Selon la presse britannique, qui se focalise sur BP et la Shell, plus présentes en Grande-Bretagne que Total, une entente afin de conserver des prix élevés des carburants, aurait été passée entre « plusieurs compagnies pétrolières ».

La Commission européenne, si décriée par les Britanniques qui seraient tout disposés, majoritairement, à quitter l’Union européenne, se penche sur la comptabilité des compagnies pétrolières. Selon l’AA (Automobile Association), « le couvercle va exploser ».

Il s’agirait d’une entente illicite entre les principales compagnies européennes disposant de réseaux de stations services pour faire en sorte que les prix des carburants à la pompe restent élevés, et fortement lucratifs.

La presse britannique parle d’une manipulation aussi importante que celle de l’index boursier Libor (qui a déjà fait l’objet de condamnations d’établissement bancaires et financiers, et dont la définition est actuellement reconsidérée).

Les stations services britanniques (la PRA, leur association professionnelle) dit avoir lancé l’alarme depuis janvier 2012, en vain, les autorités de contrôle des prix et de la consommation ayant fait outre-Manche la sourde oreille.

Des enquêtes visant diverses compagnies, dans trois pays (non désignés par la presse du Royaume-Uni), sont diligentées. Les bureaux de BP, à Canary Wharf, le récent quartier des affaires de l’est de Londres, ont été perquisitionnés lundi et mardi matins, tout comme ceux de Rotterdam. La norvégienne Statoil serait aussi visée.

Le marché des carburants est plus ou moins « fixé » par l’agence Platts, qui, tout comme le Libor qui se fonde sur les prévisions des banques, oriente le prix des carburants à la pompe. C’est le dispositif Moc (Market on Close). Les compagnies déclarent ce qu’elles veulent, et le prix à la pompe est déterminé par leurs réponses.

Selon la Commission européenne, les principales compagnies pétrolières auraient fait en sorte d’être les seules à déterminer les prix, afin d’influer sur les cours.

Pour le Globe and Mail (canadien), Platts et d’autres agences auraient biaisé le prix de l’énergie (pétrole, gaz, autres carburants). Platts est détenue par McGraw  Hill Financial Inc., et plus ou moins détermine le prix du brut Brent. Soit les ressources pétrolières de la mer du Nord. Un autre indice est fourni par West Texas.

Pour le New York Times, cette affaire est l’aboutissement de longues interrogations. Les pays européens, pris à la gorge par le poids de leurs dettes, réagissent enfin. Automobilistes, compagnies de transport (routières et aériennes) ont tenté longtemps de saisir les autorités de régulation de la concurrence dans de nombreux pays, sans pouvoir être entendues.

Rappelons que le prix du brut est renchéri d’environ un tiers par la seule spéculation. C’est le libéralisme, la loi de l’offre et de la demande, plus ou moins biaisée par des intermédiaires. Avec les complicité des castes politiques et médiatiques des États, stipendiées indirectement.

Statoil aurait, selon Reuters, « orienté » les indices depuis 2002. Les Britanniques sont vexés. Il a fallu que Bruxelles, source de tous les maux du Royaume-Uni, selon la majorité des partis conservateurs ou nationalistes, se remue, pour que la Couronne s’inquiète… enfin !

Il ne faut pas, pour les actionnaires des grandes compagnies pétrolières, s’en faire vraiment. Si des amendes, fortes, lourdes, sont infligées, le cochon de consommateur paiera encore et encore, tout comme pour les banques qui se rattrapent sur les déposants pour rémunérer leurs actionnaires (et leurs dirigeants). Qu’on se rassure : aucun dirigeant ne sera sanctionné ou verra ses primes réduites.

Jérôme Cahuzac était vraiment un tout petit joueur. Le Guardian mentionne le groupe Total. Qui aurait considéré que les agences de notation déformaient les données. 

Cette histoire remémore les scandales du Libor et de l’Euribor. Il suffit de jouer sur de très faibles pourcentages pour orienter les prix des denrées ou des valeurs. Platts, filiale de McGraw Hill Financial, est liée à l’agence de notation Standard and Poor’s.

Royal Dutch Shell Plc (RDSA) et Statoil Asa disent coopérer pleinement avec les investigateurs de la Commission européenne (de l’Efta). Glencore Xstrata Plc serait aussi concernée, selon Bloomberg.

Prenez vos marques. Comme pour le scandale de la viande de cheval, les dirigeants s’en sortiront, avec la bienveillante mansuétudes des autorités publiques. Seuls les consommateurs seront marrons (et marooned). Ce n’est pas pour enrichir des traders ou des dirigeants que les prix à la consommation sont chers, mais en raison du « coût du travail ».

Tout cela porte sur des milliards et des milliards d’euros. Oil Trading Sa, la branche suisse de Total, aurait alerté la Commission. Certes. Mais comment sont fixés les prix à la pompe de Total ?

Selon The Independent, l’affaire n’est pas si claire qu’il semblerait y paraître d’emblée. Un rapport du G20 avait certes émis l’hypothèse que les cours étaient manipulés, mais rien n’est vraiment établi.

Ce qui est sûr, c’est que l’affaire n’aurait jamais fuité si la Commission n’estimait pas qu’elle avait quelques billes solides.

Tout cela se joue à travers une « fenêtre » d’environ une demi-heure. La Platts windows. Les traders en matières premières pétrolières disent à quel niveau ils achètent ou vendent. Pour le Brent, mais c’est l’indicateur pour toute la production pétrolière mondiale. Il existe d’autres indicateurs, comme ceux d’Argus Media Inc. ou celui de l’Oil Price Information Service.  Mais tout cela ressort de la même philosophie, celle d’un libéralisme laissant aux acteurs privés le soin de s’autoréguler. Comme pour les viandes, on fait confiance aux entreprises. Pas vu, pas pris…

Rendez-vous ce matin sur le site de L’Opinion pour voir ce que la rédaction de Beytout en pense. Ou sur Atlantico, chantre du libéralisme. Ah oui, L’Opinion estime, selon Raphaël Legendre, que le gouvernement français est prêt à exonérer les évadés fiscaux s’ils faisaient amende (réduite) honorable. L’UMP est pour, bien sûr. L’amnistie, ce serait rentable. Mais il ne faut pas employer ce terme. Au fait, L’Opinion, si vous nous disiez combien d’inspecteurs des Finances ou d’anciens des cabinets ministériels pantouflent chez Total ?

Avec des noms, des parcours… Question de crédibilité, non ?

Bon, en tout cas, les prix des carburants devraient baisser. Selon l’Agence internationale de l’énergie (IAE), gaz de schiste et permis d’exploitations au large de l’Amazonie, devraient influer sur les prix des carburants et sources énergétiques. L’Opep devrait prendre en compte un « changement de paradigme ». On verra… En tout cas, le prix du brut est en baisse. Celui des carburants à la pompe, ce sera autre chose. Les stocks de brut nord-américains seraient à leurs plus hauts niveaux. Le Brent passerait progressivement sous les cents dollars du baril.

L’offre outrepasserait la demande (d’environ cinq millions de barils par jour). L’Opep gonfle sa production. La Chine réduirait sa consommation. Bah, avant que cela se répercute à la pompe…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Shell, BP, Total & Co : manipulation des prix à la pompe ? »

  1. Je sais, je sais, article foutraque ne privilégiant guère (litote) la règle d’un angle, d’un seul.
    On ne pourra pas dire que je me montre peu confraternel avec la rédaction de [i]L’Opinion[/i], car il n’y a pas de mauvaise pub…
    En plus, j’écris pour Google, librement.
    Je sais, je sais, aussi, le « libéralisme [i]bashing[/i] », c’est une facilité, un défouloir. Et se faire blouser par des dirigeants d’entreprises ou par des énarques, de toute façon, on est cocus.
    Mais que voulez-vous, à défaut d’influer sur l’opinion, les caves se rebiffent. Au moins, cela – brièvement, furtivement – les soulage.

  2. [b]Comme d’habitude les amendes même lourdes infligées aux majors ne réparent pas les préjudices causées aux consommateurs. Ce sont les États, y compris supranationaux, qui encaissent quelques millions pour plusieurs milliards de préjudice (donc de bénéfices indus pour les compagnies pétrolières).
    A quand un système juste et honnête ? jamais! et ce dans n’importe quel système politique d’aujourd’hui ou d’hier.[/b]

Les commentaires sont fermés.