C’était sa toute, toute dernière fois, comme aurait pu le chanter Jeanne Mas, peu avant sa première (à lui, Siné) surprise-party mortuaire, au cimetière Montmartre, en l’absence de Sheila… Siné Mensuel en fait donc la couv’ d’un hors-série (en kiosques depuis le 18 mai dernier) titrant «ma vie, mon œuvre, ma mort». Quarante pages de crobars et de textes d’archives (de Marcel Aymé, Umberto Eco, Renaud…). On n’est jamais mieux servi que par soi-même, et cet auto-tommage posthume tout neuvième augmenté (fine allusion thomiste dévoyée à la cuistre) en témoigne.
Siné sentait sa fin se rapprocher depuis deux lustres, mais vraiment imminente au moment de signer la couverture du dernier Siné mensuel. Du coup, peu auparavant, le 15 février, il l’avait prévu (tant celui-là que ceux de Morgon bus au-dessus de son cercueil). Ce qui donne une pierre tombale ornée d’une couronne portant l’inscription « fauché en pleine vieillesse » (à 87 ans, dont une bonne dizaine de souffrances diverses, mais endurées avec un moral d’acier trempé dans la déconne, les fêtes avec les potes).
C’est donc la couv’ de ce hors-série de quarante pages qui constitue une sorte de « best of » de ce prolixe auteur. Des chats (dont un tchat-o’ agitant un mouchoir), des unes, des deux, des pochettes de disques de jazz, des photos… Quelques textes ou dessins de collègues et aussi les préfaces de Renaud, Eco ou du chanteur Marcel Aymé pour certains de ses livres ou albums.
Je relisais récemment Pérec, immense auteur malicieux et fervent amateur de la prose et du coup de crayon de Siné, qui le mentionne ou y fait allusion dans quelques-uns de ses romans. D’aucunes et certains n’ont pas très fort compris pourquoi on fit tant de cas de la vie et des écrits ou créations (satiriques ou commerciales, publicitaires, graphiques…) de Siné. Ben, pardi, c’est qu’il a fortement marqué son époque et nombre de ses contemporains, dont des plus célèbres, des plus talentueux, et des non moins éminents (en tout cas, discrètement, pour mon compte, mais assurément, dans un genre m’étant propre, ce dont parfois je m’auto-félicite en me rasant le matin, car il m’arrive de faire un brin de toilette, occasionnellement, pas trop fréquemment car c’est dommageable pour l’épiderme).
Épidermique humour vachard (notez la transition pas trop radiophonique mais nonobstant à peu près convenable) que celui de Siné, foisonnant plumitif et mineur de bois que la bêtise et l’injustice enrageait. On en retrouve le substantifique poil à démanger, gratouiller et chatouiller dans un texte inachevé. Celui du tome dix de Ma vie, mon œuvre, mon cul, soit l’autobiographie en neuf volumes et quelques pages reproduites dans cet hors-série. Pages saisies sans coquilles (ou alors fort peu de lapsus de saisie) sur clavier d’ordinateur portable lors de multiples séjours hospitaliers. Il n’a pas eu le loisir de les calligraphier. C’est un peu dommage… Lui qui fut à l’occasion faussaire pour ses bonnes causes, aurait peut-être apprécié qu’un émule reproduise pleinement ses déliés.
Cet opus n’est pas tout à fait donné (10,40 francs suisses pour les Helvètes, 6,20 euros pour les privés de boudin, tiens, une fois ; 5,90 pour les Hexagonaux) mais la rareté a son prix et vous n’avez plus que quelques jours avant épuisement (sauf navrant retirage au cul éventuel qui vaudra son pesant de cheveux de spéculateurs se tordant ensuite les mains portées de rage à la bouche pour se ronger les ongles). Sachez qu’à l’inverse d’un Dali, Siné n’a point signé de feuilles blanches (des chèques, si, parfois, me suis-je laissé conter). Mais foin de ces considérations bassement mercantiles…
Pour pas un rond, si vous avez accès à l’Internet (je ne sais plus si c’est possible à Pôle Emploi), passez donc un moment réjouissant sur le site du mensuel. Deux vidéos (mise en bière, enterrement) ont été récemment mises en ligne ainsi que divers documents (dont la liste des morceaux de jazz ou blues, des chansons de Dominique Grange et Marc Ogeret, qu’affectionnait particulièrement Siné). Avec pour cette liste, lors de mon accès, une publicité clin d’œil pour les poêles Biofire (et les cordons bickford). D’ac’, je reste fidèle à Brunner (« chaleur Brunner, chaleur pas chère »), mais il fallait y penser. Cela n’a rien à voir, ou si peu, mais j’ai comme la nette impression que la mélodie du fameux Ich Liebe Deutschland (longtemps numéro 1 en Allemagne) a été partiellement pompée sur celle de Dominique Grange…
Bon, c’était pour développer un peu qu’en France, tout se termine en chansons. Certes, cette chute est molle, mais je n’ai jamais reculé devant la facilité que je confronte vaillamment, voire avec une fougueuse témérité. On pouvait aussi le dire de ce perfectionniste qu’était Siné, parfois surnommé le Picasso de la caricature (tout comme Reiser et quelques autres, mais les poncifs éculés ne me sont pas non plus étrangers). J’aurais pu ménager une conclusion à partir du Lasset uns den nicht zerteilen (laissez-nous, ne la déchirons pas), car Siné appréciait aussi J.-S. Bach. Mais c’aurait été beaucoup plus coton. Même si c’est la ouate que je préfère (relevez l’allusion à Caroline Loeb, en reprise de l’évocation de Sheila et de Jeanne Mas du châpot, ce qui doit constituer une figure de style littéraire dont j’ignore le nom), je ne vais pas me fouler plus longtemps et m’allumer une tige.
James Joyce, qui chérissait les combinaisons langagières plurilingues, aurait pu écrire que Siné ne fut point occis, et que de son vivant, il était encore moins moron (crétin, minus, hocus, pokus, &c.). Mais on terminera paradoxalement par cette remarque moins anodine qu’il n’y paraît : le « s’il n’était point mort, il serait encore vivant » est fortement contredit par le personnage de Siné. Cet hors-série est un peu l’épiphanie de sa pérenne résurrection. Ridicule considération antilogique, certes, mais non point aux dépens de l’essentiel : longue vie à l’œuvre de Siné !