La série noire a commencé en juillet 2011.
Six jeunes hommes ont disparu en moins d’un an. Cinq ont été repêchés dans la Garonne. Et on cherche le sixième. D’après les dernières personnes à les avoir vus vivants, il étaient tous plus ou moins ivres.
Pour le deux premiers, on a parlé d’accidents. Ils seraient tombés dans le fleuve en urinant depuis la rive. Plausible. Pour les suivants on a évoqué des suicides. Mais les enquêtes familiales, comportementales et de voisinage infirment cette supposition.
Et puis, pour deux d’entre eux, le compte bancaire a été vidé le jour même de leur décès. On n’emporte pas son petit magot dans l’au-delà. Les linceuils n’ont pas de poches.
Reste l’hypothèse innommable : celle d’un serial pousseur.
Les 4 points clés du profiling
Pour essayer de cibler un criminel en série, on examine et relie ses méfaits en fonction de critères bien précis : La victimologie, l’opportunité, le modus operandi et la signature. Auxquels on peut
ajouter à titre de catalyseur, les traumas et le parcours de l’individu lorsque sa silhouete se précise. Qu’en est-il à Bordeaux ?
La victimologie fait apparaître une constante ; il s’agit uniquement d’hommes jeunes entre 19 et 24 ans et en bonne santé. Celui qui les a poussés à l’eau a profité de leur état d’ébriété. Sinon, il n’aurait probablement pas pu en disposer aussi facilement.
D’où le premier trait du criminel : vraisemblablement un homme jeune lui aussi, moins de 25 ans, chétif, malingre, complexé, sournois et pervers sadique. Et sobre ou légèrement alcoolisé (pour se donner du courage) au moment des faits.
L’opportunité renforce ce profil : l’esplanade et les quais étaient devenus un lieu de rencontre habituel pour une jeunesse fêtarde qui venait s’y alcooliser le soir. Le tueur n’avait que l’embarras du choix pour choisir ses victimes. Et à part l’âge, a-t-on cherché ce qui les rapproche ? En tout cas, la présence assidue d’un vieux ou d’un jeune qui ne boit pas, ou ne fait pas semblant de boire,
ne passerait pas inaperçue. Surtout après les premières disparitions.
Le modus operandi : toute la zone surplombe l’eau, il n’y a pas de rembardes partout, là où il y a des parapets ils sont facile à enjamber, et aller uriner dans la Garonne est un comportement naturel vu la topographie des lieux.
Les plus pudiques s’isolent, il n’y a pas un éclairage a giorno partout et encore moins de caméras de surveillance. Si un autre jeune s’approche pour pisser lui aussi, la future victime n’a aucune raison de se méfier.
Dernier point sur lequel il est difficile de se prononcer sans connaître tous les détails que la police a récueillis mais ne peut ou ne veut exploiter : la signature.
Au delà des similitudes entre toutes ces noyades, le "pousseur" respecte-t-il un rituel ? Sur les 6 noyés, 5 étaient tatoués. Une piste ?
Quant aux délais entre deux crimes, il varie de un à trois mois. Non significatif pour l’instant. Même si on note que la fréquence des disparitions tend à se rapprocher. On peut avoir affaire à un tueur opportuniste désorganisé, ou un maniaque agissant en fonction de ses crises et peut-être de ses internements curatifs. A-t-on cherché de ce côté là ?
J’en serais étonné. Puisque, pour les autorités, ce sont des accidents. Et nul ne veut en démordre !
Des points obscurs qui éclairent sur les oligarques
"Un serial killer dans notre bonne ville de Bordeaux, mais vous n’y pensez pas ma chère" gazouillent entre elles les bourgeoises dodues des Chartrons, le quartier chic proche des lieux du drame. Surtout ne pas ternir l’image de la ville.
Ce sont des accidents, on vous dit. Et l’alcoolisme en est la seule cause.
D’ailleurs, le commissaire Juppé toujours aussi culotté a éliminé d’office l’hypothèse du criminel en série en prenant des arrêtés imposant à la tombée de la nuit la fermeture des magasins vendant des boissons alcoolisées. Et comme deux précautions valent mieux qu’une, il a décidé de mettre à l’amende les personnes transportant des bouteilles, avec obligation de les vider illico dans la nature.
Suivant en cela le réflexe pavlovien de son maître Sarkozy : quand un problème sociétal se pose, on légifère à chaud et on n’en parle plus. Puisque le problème est réglé !
Si ces mesures contribuent à réduire (un peu…) l’alcoolisation de notre belle jeunesse, on ne s’en plaindra pas. Mais comment expliquer que dans d’autres villes où coule la Garonne, la Loire, la Seine, le Rhône et quelques autres rivières de moindre importance, on n’assiste pas à une telle
hécatombe. Certes, il peut y avoir un ou deux accidents, mais nulle part avec une telle régularité sur un si bref laps de temps.
Au delà d’un certain seuil, les statistiques bouleversent "la faute à pas de chance".
Les affaires Chanal et Emile Louis, entre autres fiascos judiciaires pollués par l’intervention du politique dans la gestion des affaires criminelles, devraient inciter à moins de légéreté.
Pendant des années, on a imputé au hasard pour les auto-stoppeurs et à la désertion pour les militaires, la disparition de jeunes gens dont personne n’entendait plus jamais parler.
Pendant des années, on a imputé à des fugues, la disparition de jeunes filles légères déficientes mentales dont personne n’entendait plus jamais parler.
A Bordeaux, certains flics pensent très fort au serial killer.
Mais ils ne peuvent d’épancher qu’off the record. Leur carrière pourrait en pâtir. Il n’est jamais bon de contester le roitelet local.
Surtout quand, en plus, on s’expose à l’accusation d’incompétence. Parce que, si un jour on arrête le pousseur, il faudra bien désigner un coupable à tant d’aveuglement… Et, bien entendu, ce ne sera jamais le politicien !