En cas de profonde misère ou de véritable malheur, la consolation véritable et constructive ne nous tombe pas dans la bouche toute rôtie.

Et si la société de consolation est toute prête à nous gaver de ses douceurs trompeuses et éphémères, pour pallier à nos petits soucis quotidiens, elle ne pourra jamais combler le terrible vide et le sentiment profond d'abandon que nous ressentons dans la traversée des grands tourments de la condition humaine.

C'est à nous d’entreprendre ce chemin de consolation et d'aller à la rencontre de notre propre consolation intérieure.

Cette consolation ne pourra se produire que si nous avons entamé nous même ce processus de désir authentique pour retrouver cette harmonie perdue dans notre coeur et notre âme.

Dans ce cas, la consolation fera son chemin à notre rencontre et viendra à nous.

Ainsi pense Sénèque, philosophe stoïcien dans son antique époque, quand il écrit sa « Consolation à Marcia », une femme qui a perdu son fils, la « Consolation à ma mère » quand sa propre mère se désole de l'honneur perdu et de la mise en exil de son fils, ainsi que sa « Consolation à Polybius », un ami en deuil.

La Consolation était alors un style littéraire consacré qui donnait au lecteur ou à l'auditeur en peine une impression glaciale et ardue à comprendre. Les arguments cités y allaient à l'encontre des plaintes et gémissements de pitié ou compassionnels que le consolé avait envie d'entendre et entendait d'ailleurs le plus souvent dans l'entourage proche qui partageait sa douleur.

Pas facile de consoler et d'être consolé du temps de Sénèque…!!!

 

Imaginez donc un peu que Sénèque vous parle aujourd'hui, cela pourrait se résumer à ces quelques phrases, noyées dans un long discours bien tourné, peut-être, mais bien rébarbatif :

en cas de pertes matérielles, pas de soucis :

"se réjouir de ce que l'on a eu serait plus juste que de se plaindre de ce que l'on a perdu"

"les choses matérielles sont éphémères, seules comptent les vertus"

dans la décision de l’exil, rester centrés sur soi et ne pas se disperser :

"l'exil n'est rien"

"la nature est partout la même et nos vertus nous suivent partout"

"le changement de lieu est chose en soi indifférente, notre véritable maison est à l'intérieur de nous-même, dans notre coeur et dans notre âme"

"nous sommes tous citoyens du monde et notre patrie est partout"

en plein marasme de déshonneur, stoïcisme oblige :

"le déshonneur n'atteint pas le sage en devenir"

"grandeur oblige"

en flagrant-délit de faute, réflexion :

"les lamentations et accuser les autres ne servent à rien"

"la faiblesse est une mauvaise excuse"

envahi par la misère, ne pas se fier aux cache-misères :

"la pauvreté n'est pas un mal"

"la possession des richesses, principale sources des misères de l'homme !"

En peine de deuil, à brûle-pourpoint :

"la mort est la loi ultime de l'Univers"

"la mort est un événement normal qui fait partie prenante de la vie"

"Ô vie ! si je peux t'aimer, c'est grâce à la mort"

 

Âpre vérité de cette époque-là où :

Le suicide, en cas de déshonneur, est qualifié de remède exemplaire

Le courage ne peut être qu'héroïque

La loyauté est forcément aveugle

Le désintéressement se doit d'accepter l'injustice totale et ne se rebelle jamais

La véritable justice est de ne pas fuir l'épreuve ou la sanction infligée et de ne jamais désobéir aux lois

Comment donc les Anciens faisaient-ils pour se dépatouiller et digérer aussi bien ces modèles exemplaires, qu’ils soient rhétoriques, textuels ou imagés, et consolateurs de leurs pauvres misères ?

Étaient-ils donc encore plus obéissants et plus candides que nous ?

Bien sûr que non… ils les assimilaient tout aussi mal que nous, et même, tout comme nous, ils s'en moquaient, ils les trouvaient puérils et… scolaires et… moralisateurs ; ils les ridiculisaient, ils les trouvaient très naïfs et très inefficaces! des beaux discours…

Nous dirions aujourd’hui : « du blablabla ! on voit bien que c’est pas toi qui y est, dans la mouise… »

Les consolés antiques regardaient leurs consolateurs stoïciens d'un très mauvais œil ! des empêcheurs de tourner en rond, ni plus ni moins !

Trêve de cette Consolation-là…

Ils préféraient également largement qu'on les plaigne, qu’on manifeste quelque pitié, et qu’on les prenne en charge, eux et leur peine. Ils ne supportaient absolument pas tous ces rudes sermons, ou bien seulement de loin, quand ils n'étaient pas vraiment concernés, ou par amour des belles-lettres et de la rhétorique. Ils préféraient aussi les petites douceurs et arrangements de leur propre société de consolation qui existait aussi bel et bien et à laquelle ils s’adonnaient avec plus ou moins de chance et de talent. Et Sénèque tout autant que les autres, si cela peut nous rassurer…

Et Sénèque lui-même n'est pas dupe de cette autosuggestion pleine de stoïcisme entreprise pour se convaincre lui-même et les autres, afin de s'armer pour supporter les épreuves et les douleurs de la condition humaine présentes et à venir. Et qui s’appliquait, vainement parfois, à mettre en accord ses discours et ses actes, en tout bon stoïcien qu’il était.

 

Sénèque donne en fait difficilement à comprendre que la consolation n'est pas un cadeau tombé du ciel. Qu’elle se mérite et ne s’acquiert qu’au prix d’un énorme effort fait sur soi-même.

Pour Sénèque, la meilleure des petites consolations, après l'affection et l'amitié de nos proches, est l'étude de soi, pour soi et en soi.

L'âme tournée vers la nature et ses bouleversements nous conduira ensuite au sommet de la plus haute consolation, représentée par le monde divin et ses mystères, et où :

"l'âme parcourt, reprenant conscience de son éternité, tout le passé et tout l'avenir, d'un bout à l'autre des siècles".

La vision de la Terre et de ses merveilles, vue comme du haut du Ciel pour en saisir toute la variété et l’immensité, est l’une des rêveries consolatrices les plus chères à Sénèque.

Car Sénèque, tout stoïcien qu’il est, sous sa « méthode Coué » de rêve, rêve beaucoup et a des trésors de lyrisme caché.

Il a été dit de Sénèque qu’il avait une imagination et une vision de cosmonaute !

Pour lui, toutes les autres consolations, dérivatifs, substituts, leurres ou distractions, ne sont que des moyens et des cache-misères éphémères pour endormir la douleur et nous rendre dépendants d’habitudes artificielles encore plus douloureuses. Ces consolations-là ne pourront jamais nous permettre d'exercer notre désir sincère pour surmonter les épreuves et pour passer à autre chose.

La tache principale est de se mettre chaque jour à l'ouvrage et de travailler sur soi-même.

Peu importent les épreuves et les douleurs, méprisables… Seule compte la manière dont nous tacherons de les traverser pour parvenir à la consolation authentique.

La seule qui marche et la seule qui vaille la peine !

 

Sévères ou légères, anorexiques ou boulimiques, profondes ou superficielles, inconsistantes ou compassionnelles, toutes nos consolations ne seraient donc que de bien maigres consolations si nous n’y mettons pas forcément et énormément du nôtre !

Alors…?

Consolé par ces consolations à rebrousse-poil… ?

Non… ?

Sans doute préférez-vous les consolations qui vont dans le sens du poil… ?

Non plus… ?

Je vous comprends… entre lâcher-prise de nos habitudes et volonté ascétique, laisser-aller et épicurisme, l’équilibre de consolation est très difficile à maintenir… moi-même je ne parviens toujours pas à faire un choix définitif.

En ce cas, essayez au moins de vous plonger quelque temps avec délice dans les affres de la méthode Sénèque jusqu'à ce que vous en soyez imbibés et peut-être persuadés…

Cela peut représenter l'ultime Consolation de la difficulté d'être consolé !