Le baron Ernest-Antoine Seillière a les « honneurs » du Parisien et d’Aujourd’hui en France ce dimanche. « Fraude fiscale : le baron Seillière dans la tourmente », titre Marc Lomazzi. Ayant bénéficié d’un non-lieu le 4 août dernier dans l’affaire de la réorganisation du groupe Wendel (si, vous savez, l’exemple même de l’adage « nationaliser les pertes, privatiser les bénéfices »), faute de pouvoir établir des abus de biens sociaux, Ernest, le mal nommé (se traduit par « sincère » en anglais), n’est toutefois pas définitivement tiré d’affaires. L’ancien patron des patrons, du temps du CNPF, était pourtant un grand donneur de leçons et voulait tirer un trait sur les avancées sociales du Conseil national de la Résistance.
Or donc, le prédécesseur de l’actuelle présidente du Medef, ayant succédé au Centre national du patronat français, aura, de 1988 à 2005, passé tout son temps à prêcher la vertu, la valeur travail, à détricoter ce que maintenait Jean Gandois, estimé trop mou, et à promouvoir l’affairiste Denis Kessler, son vice-président, dont l’ambition était de faire table rase des avancées sociales de la Libération. Cela valut à ce dernier d’être promu par Sarkozy dans l’ordre de la Légion d’honneur.
Seillière est, lui , commandeur de l’ordre, de celui d’Orange-Nassau, et officier de celui du Mérite. Ce n’est pas pour cela que le juge Renaud Van Ruymbeke l’a blanchi du chef d’abus de bien social et recel à la suite d’une plainte d’une ex-administratice du groupe familial Wendel.
Mais juridiquement, ce n’était pas trop solide. Aussitôt, le baron se fendait d’un communiqué :
« Ce non-lieu met ainsi un terme à une période où des rumeurs, des insinuations injurieuses et des calomnies pénibles pour les miens ont été répandues… ».
Raté !
Eh non, l’histoire ancienne ne le reste pas à jamais. Le 25 septembre dernier, descente policière chez de Wendel et au domicile du baron, ex-président du conseil de surveillance du groupe. Cette fois, c’est Bercy, le fisc, qui s’agite. En sus, relève Le Parisien, une autre plainte pour abus de bien social, délité d’initié, manipulation de cours, a été déposée par l’ancien directeur juridique, Arnaud Desclèves.
Lorsque l’action Wendel baisse, des cadres supérieurs et membres du comité exécutif du groupe s’abstiennent de se défausser des titres et « la première raison réside dans la volonté de ne pas attirer inutilement l’attention des autorités fiscales françaises par une sortie désorganisée du capital. ». Que ces choses-là sont joliment dites. La phrase figure dans une convention de transaction soumise à discussion le 27 janvier 2009.
Il s’agit aussi de solder l’affaire du montage financier élaboré par un autre capitaine d’industrie, Jean-Bernard Lafonta, qui permettra à l’intéressé, à Seillière, à Bernard Gautier, ainsi qu’à une douzaine de dirigeants de capter près de cinq pour cent du capital de Wendel, puis de réaliser une plus-value d’une bagatelle de 254 millions d’euros (dont 65 pour Seillière).
Selon le fisc, dès 2004, « Le groupe Wendel a tout mis en œuvre pour garantir à ses dirigeants et cadres managers regroupés dans la compagnie de l’Audon un gain maximal à un coût minimal ». Tout l’audit financier avait été plus ou moins maquillé pour favoriser les dirigeants. Prix d’achat minoré, conditions de paiement inouïes. 31 millions d’euros d’apport rapportent 324 millions grâce à des tours de passe-passe. Tout cela serait légal – on peut procéder à tous les licenciements boursiers que l’on désire, favoriser sans vergogne les dirigeants – mais le fisc a estimé que « le montage a été élaboré dans un but exclusivement fiscal. ». Via des sociétés écran, sans produit, sans salarié, sans local, avait résumé Martine Orange pour Médiapart.
Les cours montent, et une attaque sur le groupe Saint-Gobain est montée. Malheur, la crise des subprimes survient, le titre de Wendel s’effondre. Mais le fisc se fonde sur les comptes arrêtés en mai 2007. Et Bercy réclame 240 millions d’euros. Ce qui ne laisse que des « miettes ». Mais bon, 50 millions réclamés au seul Seillière ne le met nullement sur la paille.
Comme par hasard, Seillière pourra limiter la casse en revendant ses actions avant qu’elles ne s’effondrent, en compagnie de Lafonta. Les autres, les niais, seront ruinés. On leur aura interdit de vendre, assure Arnaud Desclèves. Il produit, pour appuyer ses dires, une pièce datée de janvier 2009 selon laquelle le groupe Wendel, via sa filiale Trief Corporation, domiciliée comme il se doit au Luxembourg, se proposait de concéder aux floués de quoi se refaire un peu et de couvrir un possible redressement fiscal. Comme le conclut Le Parisien : « Contactés, les avocats d’Ernest-Antoine Seillière, Jean-Bernard Lafonta et Bernard Gautier n’ont pas souhaité faire de commentaire. ».
C’est pourtant encore davantage le moment de mettre fin aux rumeurs, insinuations, calomnies…
Il semble aussi que le sieur Seillière ait tenté de négocier avec les services de Jérôme Cahuzac, ministre du Budget. Le but : obtenir discrètement l’indulgence, voire la bienveillance. Bah, cela s’était vu par le passé : c’était sur proposition de Dominique Strauss-Kahn que le pourfendeur des 35 heures et des acquis sociaux avait une première fois été promu dans la Légion d’honneur. Là, vus la publicité, les rumeurs qui reprennent, Bercy, et peut-être même François Hollande, surtout après l’affaire Pinault (évadé fiscal potentiel qui s’en défend), sont gênés aux entournures pour faire un geste.
Poursuites pénales ?
Déjà, en avril 2012, Le Journal du dimanche avait signalé que la Commission des infractions fiscales menaçait Ernest-Antoine Seillière et ses acolytes de poursuites au pénal. Évidemment, avant les élections, agir aurait fait mauvais effet. Là, l’affaire prend un tour politique. Transiger, cela revient à s’afficher en ami des « patrons voyous ». Bien sûr, il n’y a pas de troubles de l’ordre public, puisque la manifestation du Front de gauche ne s’est pas déportée sous les fenêtres du baron…
Mais amortir le coup pour ce bon Seillière ferait désordre. Nul doute que, mercredi, faute de passer des petits billets en conseil des ministres, il sera question, au moins en aparté, de l’affaire.
Dès ce dimanche soir, jour peu propice aux analyses de fond, la presse internationale tend l’oreille. Norbert Navarro, de RFI, rappelle aux documentalistes qui sont Seillière et Wendel, le baron étant le patriarche héritier des « maîtres de forge » (et au nombre des « cent familles »), soit « les propriétaires de la métallurgie et de la sidérurgie française » dont ils ont pris à temps les bénéfices avant que l’État éponge les pertes. Il n’a pas fallu beaucoup de temps à L’Essentiel (titre luxembourgeois) pour reprendre intégralement la dépêche de l’AFP.
L’Est Républicain, tout aussi prompt, en rajoute. Seillière est soupçonné d’avoir vendu un peu plus de 150 000 actions…
Tiens : pourquoi le groupe Wendel ne reprendrait pas les hauts fourneaux de Florange à ArcelorMittal ? 600 emplois sont en jeu.
Le plus farce, c’est qu’à droite, on saura peut-être aussi oublier les bons services de Seillière. Voici donc Bruno Le Maire, ancien ministre de Sarkozy, qui estime « logique, compréhensible » la manifestation du Front de gauche. Et bientôt les récriminations contre le laxisme fiscal à l’égard et au bénéfice des grandes fortunes ? Rappelons que le baron figure dans le bas du tableau des trente plus grandes fortunes françaises. Wendel a certes perdu un quart de sa valeur en un an, mais le groupe pèse encore près d’un milliard d’euros. Et vous, c’est combien ? Et c’était quand votre dernière conversation avec le fisc ?
[b]Comment se fait-il que Sellières ne soit pas personna non-grata depuis le temps ?[/b]
Ils ont été imprudent, c’est sur. A leur place je partirais m’installer en Belgique et je déménagerais le siège social de Wendel pour ne plus être emmerdé par les politiciens français et un fisc piloté par des cryptocommunistes revenchards.