Seguela dans l’Echo des Savanes : c’était mieux avant !

Croyez-vous que je vais vous entretenir du numéro anniversaire, le  trois-centième, de L’Écho des Savanes ? Nan ! Ou si peu.  Mais de l’entretien non titré avec Jacques Séguéla, pages 67 et 68 de ce daté février 2011, oui, en large et de travers. Si vous n’avez rien compris de Guy Debord et de la société du spectacle, si vous reniflez mal l’air du temps, c’est une géniale illustration valant rectification des sinus (munissez-vous plutôt d’encens que de Febreze, pour masquer l’effluve). Ce texte (celui de Séguéla, pas le mien… quoique…) vaudrait d’être commenté dans les lycées, voire les collèges !

On aurait pu s’attendre à un tel entretien de Séguéla dans Le Causeur, magazine quelque peu prétentieux et parfaitement en phase, en dépit des apparences, avec le baratineur auquel on attribue d’avoir superficiellement fait de Sarkozy le bonimenteur que l’on sait. On ne prête qu’aux riches et L’Écho des Savanes, qui donne aussi la parole à quelques faux pauvres, pour ce numéro 300, illustre l’adage. Je vous avais évoqué, le 28 septembre 2009, ici même, comme dirait Tardi, le gigantesque 400 de Fluide Glacial et son Magnum BD. Histoire de ne pas sembler trop partial (mais partiel, j’assume), quelques mots quand même sur ce numéro anniversaire de L’Écho des mauvaises manières. On y retrouve les rubriques de brèves habituelles, des extraits d’albums, dont un Ranx et le désormais trop longtemps attendu Borgia, tout est vanité, de Manara et Jodorowsky, un papier central « Peut-on encore provoquer ? » de Philippe Cohen, et une flopée d’entretiens avec ceux (très peu celles, comme Brétécher, et autres absentes à la pelle) qui ont fait le trimestriel, l’hebdo, le mensuel. Ces entretiens (de Gotlib, incontournable, Tignous, Ardisson, qui fut redchef de l’hebdo) se doublent d’autres, de lecteurs (et les lectrices, alors ?) qui font se côtoyer Mocky, Lafesse, Charlelie Couture, &c., et… Jacques Séguéla. Tout cela, comparé au « coup » du 400 de Fluide glacial, fait très conventionnel, mais là, le Jacquot se caricature lui-même.

De Séguéla je n’ai guère lu que la relation plus ou moins bidonnée ou magnifiée de son périple autour du monde en 2 CV Citroën et une ribambelle d’entretiens généralement aussi bien calibrés les uns que les autres. Avec les habituelles fanfaronnades, comme celle-ci qui laisse croire que, sur la dalle d’Aubervilliers, à La Courneuve, Séguéla se fait interpeller par des « jeunes » le félicitant de les avoir décomplexés avec son coup de la Rolex avant le cinquantième anniversaire. Bref, Jacques S. est entré dans l’histoire tel Gainzbar brûlant un biffeton de 500 balles à la télé : fallait l’oser (non pas Gainsbourg, qui en fit bien d’autres et des plus crédibles, mais J. S., qui croit pouvoir réchauffer son plat à  la flamme du Serge).

Si la pub est en France « ennuyeuse et craintive », c’est parce que sa société l’est tout autant. Peu transgressive et inventive, quoi. Le Benjamin Arouet d’occasion sait cependant garder la mesure : « Tant qu’on n’aura pas montré un homme en érection dans une pub, on n’aura pas franchi la barrière, et j’espère qu’on ne le fera jamais. Parce qu’on passe (…) de l’homme à l’animal. ». Cela, c’est pensé. Fortes paroles. Et montrer sa femelle qui se fait du bien, ce serait sans doute contre-productif, rapport aux Chiennes de garde qui ne savent plus se lécher l’une l’autre le bouton ? Le peine à jouir (rapport à son grand âge ? 76 ans ? Le bois bandé ivoirien ne doit plus opérer, peut-être) et désormais à oser désaligner les clichés considère gravement que « les libertés d’expression se restreignent. ». Ne comptez pas sur lui pour les recalibrer, car pour le J.-C. de la com’, tout était mieux avant. Il lui suffit de revisiter l’histoire à sa façon. Ainsi Gainsbourg n’est plus que l’incarnation du romantisme poétique et Coluche exprimait avec bienveillance et générosité « l’âme de la France, ses tripes. ». Ce si bon Coluche, ce si poétique Gainsbourg ; les voilà en chromos bien-pensants, en époux de Thierry Le Luron, en émule, non plus de Brassens ou Brel, mais du Trenet repris par Carla Bruni avec sa Dolce vita gallica. Alors que maintenant, ma brave dame, tout fout le camp. D’accord, « il y a de l’humour, mais toujours au détriment des autres. ». Un Canteloup, un Guerra ? Ils ont fait « tout descendre d’un cran. ». C’est cela même, et Séguéla, avec Bigard, va nous concocter un comité auprès du Vatican pour la béatification du Professeur Choron, ce grand philanthrope chrétien qui exprimait si bien les racines de la France et traitait avec un humanisme bien compris (pas trop féministe, donc, mais quand même moderniste, mais point trop n’en faut, façon) les aînées et les cadettes du catholicisme romain.

Bic rase certes toujours plus blanc, mais l’Internet encore plus gris que la bonne presse d’antan. « La vulgarité, la méchanceté, le verbe débridé, les attaques, les insultes, c’est l’effet Net qui ressurgit dans la presse ou la télévision. ». Le Souverain Poncif vous prie de le croire, et il a su faire valoir ses arguments auprès de Sarkozy qui ne pose plus en jogging mais avance à présent « le menton en avant (…) plus jamais sans cravate. ». C’est cela, l’effet Séguéla : nœud Pape et altière jugulaire. Ruquier ? C’est quand même, à plein baquets, « distiller de la haine. ». Finalement, Coluche, Bedos, c’était dans le droit fil des chansonniers du Grenier de la Chanson sous Peyrefitte, ministre de la communication gaullienne, mais là, tout dérape. Vous êtes priés (à genoux si possible, avec le rosaire de la nouvelle bienpensance au pouce) de le croire, de gober avec indulgences ces pieuses images d’un Boris Vian bon enfant et de ses jésuitiques émules. Polac ? Tiens, c’est rigolo, quelques pages auparavant (p. 48), John Paul Lepers rappelait qu’à Droit de réponse, son émission, « on fumait, on buvait de l’alcool et on se lançait des cendriers à la figure. ». Le même, revu et rectifié par Séguéla, était un modèle de « quant à soi », ses invités étaient courtois… Un peu comme un Maurice Clavel réincarné en Mélenchon, dont les talents de déballeur de foires et marchés séduisent tant le publicitaire nostalgique de Georges Marchais. Attention, tu peux casser la vaisselle, faire du treize à la douzaine, promettre un gros lot de mouchoirs rouges pour épater le bourgeois, mais ensuite, place à la vente, aux pépètes, au pognon. On y reviendra.

Sarkozy, « le seul qui a fait avancer la France », n’est pas crédité d’avoir totalement enterré la jeunesse. Ce n’est pas lui, c’est les autres. Ceux d’avant ? « Un pays qui enterre sa jeunesse est un pays moribond, » énonce doctement Séguéla. Petit bémol cependant. Pourquoi n’avoir pas gardé la si  sémillante, si télégénique Rama Yade ? La jeunesse, l’audace, c’est Rama Yade, à laquelle il est sans doute dommage de n’avoir réservé pour piètre fromage qu’une ambassade à l’Unesco avec tout juste une Twingo de fonction, sans doute. Un exemple, Rama, à donner aux rappeurs des banlieues en haleine de Rolex. D’ailleurs, c’est bien connu, comme eux, elle a commencé par en fourguer des fausses du côté de Barbès, n’est-il point ?

Parce qu’au final, un Mélenchon, ça va, mais deux, comme dirait Hortefeux… Trop taxer les riches, mais vous n’y songez pas ! Séguéla nous ressort la théorie du trickle down : les ortolans, il y a des pauvres pour en broyer les os et s’en faire de la farine, et c’est plein de vitamines. « S’il n’y a plus de riches, il n’y a plus que des pauvres. Les riches, cela sert au moins à faire qu’il y ait un peu moins de pauvres, » enchaîne Séguéla qui ne doit pas trop se pencher sur les statistiques ou se souvenir qu’il a dû dégraisser les emplois qu’il se targue d’avoir créé comme s’ils ne l’avaient pas un peu aussi, lui, créé. De Séguéla à Mélenchon : « je t’aime, mais essayons d’inventer une société où tout le monde va trouver son compte. ». Séguéla, c’est un peu un Hessel au Conseil national de la Résistance, en dépit de certaines apparences. Faukon et yaka faire en sorte « que tout le monde devienne riche. ».

Séguéla n’a pas réussi à faire en sorte que ce numéro de L’Écho embarque davantage de pub que les deuxième, troisième et quatrième de couverture, et une malheureuse page pour la série Piranha 3D en DVD, mais c’est un début. Ah si, Drugstore s’est fendu d’une page pour le quatrième Borgia de Manara, dispo début décembre, et une autre pour la série Motomania. Ces deux-là, il a fallu devoir les chercher avec les dents en cassant les tarifs. À moins que ce ne soit de l’auto-promo. C’est Glénat, l’éditeur, qui a fait inviter Séguéla pour nous donner le la de sa vigoureuse pensée ? Et Frank Tapiro, ex-associé de Séguéla, qui dirige l’agence de pub Hémisphère droit, pour faire bonne mesure ? Et surtout le pendant de Rémi Malingrëy, du Comité de soutien à Denis Robert (non mentionné), et de tous les nombreux autres, Ardisson mis à part (mais cela se justifiait).

La chute de l’article de Philippe Cohen est parfaitement illustrée par l’entretien avec Séguéla : « un glissement insidieux de l’époque dans un monde orwellien qui enterre la liberté qu’elle célèbre. ». À présent, on peut aussi dire blairien (Tony, pas Éric), ou strauss-kahnien, ou ce qu’on voudra. Séguélanien serait plus farce, plus saltimbanque, mais tout aussi significatif.

La brochette des grands anciens n’est pas si complète qu’elle le paraît dans ce numéro souvenir. On aimerait faire la part des omissions involontaires et des manques obligés (les sollicitées qui n’ont pas trouvé le temps ou le goût de répondre, les témoignages marbrés car parvenus trop tard). La médialogie, c’est faire la part des pleins et des déliés, mais aussi des creux. Finalement, le discours le plus creux, celui de Séguéla, est de même le moins vide : il symbolise le mieux l’illusionnisme à rebours, celui qui vous fait croire que s’il n’y a pas un lapin pour chaque chapeau tendu, la poule au pot sera fournie par celles et ceux qui détiennent celle aux œufs d’or. Il mérite certes de figurer aux programmes des écoles, mais surtout pas pour une dissertation, un résumé de texte sans le moindre commentaire s’impose. En fait, il est déjà inscrit aux programmes. Des radio-télés, ceux qui comptent.

En fin de cahier, une double page sur les spots d’Igfm.de, site d’une organisation rivale d’Amnesty International qui inclut une version en farsi, faute peut-être d’avoir trouvé les fonds d’en créer une en arabe ou nord-coréen. « Les dictateurs ont peur d’Internet », a illustré Ogilvy Frankfurt pour cette ONG. Pas qu’eux, sans doute, comme l’établit l’acharnement contre WikiLeaks. L’effet Internet, Séguéla sait aussi s’en servir afin de promouvoir un monde forcément meilleur, le sien. Il finira peut-être par réussir, même dans la presse, même dans L’Écho des savanes. Dans lequel, pour ce numéro, Tignous propose un « strip-tease des copines » avec une Marianne s’effeuillant pour révéler un postérieur en invitant quelques-uns à dégager.

Claude Maggiori, 60 ans, le dir’ mol de rédac’, décrété un temps « Sauveur de L’Huma » (qui lui a survécu), espère bien, comme Jean Daniel à l’Obs’, durer encore trente ans avec L’Écho. On comprend mieux que Gotlib ait renoué avec Nikita Mandryka et se cantonne à lui écrire des scénarios pour sa Clopinette. D’ailleurs, pour retrouver l’esprit échosavanesque, j’ai plutôt envie de vous orienter sur le site des POOfs, Tani et les autres, Quellesconnes.com. Comme c’est tout en copyfl00z™ (et non copiegauche), je n’ai pas trop osé y pomper d’autres illustrations. Pour L’Écho, faute de site officiel, allez peut-être sur celui des BDoubliées.com. Et pour le visuel, comme le magazine s’est assagi, je ne vous montre ici que le haut : elles n’y enlèvent plus le bas, vous n’aurez rien perdu.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Seguela dans l’Echo des Savanes : c’était mieux avant ! »

  1. Toi aussi, Chère Petite Lectrice, Cher Petit Lecteur, tu peux avoir ta Rolex dès maintenant… Participe au grand concours « Deviens stagiaire Junior » (non rémunéré) chez Séguéla and Co. On se croirait dans le [i]Pilote[/i] de Goscinny (que Gotlib égratigne au passage), dans ses tout premiers numéros (créé en 1959, il est repris par Charlier et Goscinny vers 1963). Séguéla finira comme Jean Nochet. Pour [i]L’Écho des savanes[/i], on se pose des questions. Comme [i]Le Hérisson[/i] ? Comme [i]L’Almanach Vermot[/i] avec quelques touffes de poils dedans ?

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