Une précédente contribution, portant sur le rôle des ONG, des institutions internationales, de la presse à et au sujet d’Haïti a valu de nombreux commentaires. Merci de vos commentaires. L’une des réactions était en substance : « il n’est pas temps de tergiverser, agissez ! ». Oui, mais pas comme par le passé, pas n’importe comment.  Voici, non sollicité parce que je savais que ce n’était pas le moment d’interrompre le cours des correspondances de l’auteure, l’avis d’une spécialiste d’Haïti ayant conservé de nombreux liens sur place et en contact étroit avec la communauté haïtienne en France…


Natacha Giafferi-Dombre est maître de conférences, spécialiste d’Haïti (et, pour résumer, du métissage), soit chercheuse sans poste mais active en ses spécialités, l’anthropologie et l’ethnologie, et galeriste à Paris. Sa galerie, Marassa Trois (une figure de l’imaginaire vaudou), est l’un des rendez-vous des artistes et intellectuels haïtiens de Paris. Voici son texte reçu par courriel…

 

« À tous, amis, collègues, parents, je demande un moment d’attention (si possible suivie d’action…) :

Je n’ai pas encore de liste d’ONGs ou d’associations locales à proposer auxquelles adresser vos éventuels dons à la population haïtienne, et singulièrement port-au-princienne dont vous savez combien je l’ai aimée, haïe, chérie. J’attends donc toutes vos suggestions, sachant qu’il est à la fois urgent de partager et nécessaire d’inscrire toute bonne volonté dans la durée.

Je réfléchis ces jours à une forme de “correspondance active” entre citoyens des deux pays, enfants et adultes, peut-être de famille à famille – puisque c’est semble t-il, prise dans son sens nucléaire le plus étroit, la valeur ultime dans nos existences repues –, qui permettrait d’expérimenter au quotidien et de manière concrète notre communauté d’esprit, d’aller peut-être au-delà d’une charité de pure forme, hâtive, sans regard.

En attendant donc de mûrir ce projet à plus long terme, je vous demande de bien vouloir diffuser à vos contacts, ainsi qu’à moi-même qui les répercuterai, des suggestions d’organismes efficaces et désintéressés qui porteraient secours aux malheureux sous les pieds desquels la terre n’est plus synonyme de fermeté. J’en dresserai de mon côté une liste non exhaustive que je vous invite à compléter ou infirmer le cas échéant. Avec votre aide, je pourrais ainsi répondre au mieux aux propositions de dons qui affluent à la galerie Marassa Trois et que je voudrais bien orienter.

Les Haïtiens comptent sur nous et nous estiment encore, essayons d’être à la hauteur de leur espérance…

Amicalement, »

Natacha Giafferi-Dombre

 

Il est évident, du moins pour moi, que Natacha Giafferi-Dombre disposait de contacts parmi les personnels des ONG sur place et que sa retenue n’est pas que de pure forme. Les choses évoluent. Certaines petites ONG, travail accompli au regard d’un objectif nécessairement limité, se replient, d’autres se dispersent. D’autres encore sont dans l’impossibilité d’agir utilement, soit que leurs effectifs aient été amputés, soit que leurs compétences et moyens ne soient pas adaptés à l’urgence. Pour mon compte, j’aurais sans doute pu, dès hier (mais je me suis bien gardé de solliciter mon contact, une responsable d’ONG survivante et débordée par la tâche…), obtenir deux fois par jour de succincts aperçus de son action, de ses réflexions.  Je m’abstiens, jusqu’à retour à des conditions plus convenables,  et j’ajouterai, plus décentes.

 

Voir aussi : Secourir Haïti… avec discernement .

 

Certes il faut, dès à présent, de l’argent pour contribuer à des actions ponctuelles de terrassement, d’acheminement d’hôpitaux amovibles (tentes équipées), d’érection d’abris très provisoires. Je signalais que, notamment, les ONG très présentes sur le terrain de l’aide aux SDF, aux situations les plus précaires dans nos pays, sont représentées sur le terrain, depuis souvent de longues années. Vous les connaissez.

 

Pour la suite, qui ne saurait être différée inconsidérément, je n’ai rien à rajouter. L’appel de Natacha Giafferi-Dombre n’est pas destiné d’abord au grand public, mais à des « sachants », soit à des personnes déjà impliquées. Pour certaines, il est inutile : elles savent depuis longtemps, ont pris contact sans attendre ce courriel, communiquent d’ores et déjà leurs réflexions, suggestions, premiers comptes rendus. Si des personnes voulant réellement s’impliquer le désirent, elles sauront trouver, faire la démarche mûrement pesée. Il est inutile, voire contreproductif, de submerger Natacha Giafferi-Dombre de courriels, et il ne s’agit pas d’un appel à envoyer des chèques à la galerie (vous pouvez le faire, ils ne seront pas encaissés immédiatement ou vous seraient retournés si, notamment pour des raisons légales, ils ne pouvaient l’être : la galerie n’est pas à ce jour un organisme associatif).

 

Cette contribution n’a d’autre but, dans la lignée de la précédente, que de vous, de nous inciter à une action réfléchie, durable… Il n’est pas question, ni ici, ni ailleurs, de dicter ou d’orienter, avec des arguments passionnels, émotionnels, la conduite de quiconque. Les Haïtiennes et Haïtiens n’en n’ont nul besoin. Elles et ils ont déjà, sinon reçu (l’aide a été largement détournée par le passé), du moins connu, depuis de trop longues années. Elles et ils « nous estiment encore ». Je vous épargne le commentaire de texte…

 

Cela n’a bien sûr « rien à voir ». Mais au voisinage immédiat du courriel de Natacha Giafferi-Dombre, dans ma liste de sollicitations reçues quotidiennement, j’avais un autre appel : « les journalistes de TF1 ont besoin de vous… ». Allons donc. Voici une autre cause estimable. Serait-ce pour creuser l’information sur les mesures de rétorsion à l’égard des Échos exercées par ce nouveau papivore qu’est devenu le Crédit-Mutuel-CIC (voir sur C4N et ailleurs) ?  Serait-ce pour leur faire relayer les témoignages reçus par des Haïtiennes ou Haïtiens ou des ONG sur place ? Non, il s’agit de vous inscrire à un jeu et par là-même de récupérer des renseignements mercatiques sur votre compte.
Je ne regarde pas TF1. J’ai cru, sur la photo, reconnaître une speakerine, ou un anchorman. Ou des animatrices et animateurs d’antenne. Il se peut qu’une ou un journaliste figure sur cette photo de « famille ».
L’un des premiers objectifs des secours d’urgence à HaÏti a été un hôtel de luxe qui logeait, en cas d’actualité digne de la présence des grands médias, les plus en vue des « journalistes » (les équipes techniques étant souvent logées ailleurs), et les représentants des grandes puissantes étrangères qu’ils mettent en valeur.

Mais, après tout, ce n’est qu’un jeu… N’est-ce pas ?
infostf1.png  Ne pas se méprendre. Il ne s’agit pas de décourager qui que ce soit d’apporter des soutiens financiers à des ONG spécialistes de l’urgence (MSF, Médecins du monde, pour n’en citer que deux), ni de tenir pour négligeable l’action d’autres qui, comme le Secours Populaire français, ont prouvé la validité de leur démarche en Haïti. Pour cela, il y a des spécialistes de la propagande et de la réclame.

Ainsi de l’essayiste audio-télévisuel Rush Limbaugh qui accuse Barrack Obama de se refaire une popularité à bon compte auprès de l’électorat noir américain : « Nous avons déjà donné à Haïti, cela s’appelle les impôts américains, » a-t-il tout récemment déclaré, sans s’interroger sur l’affec(ta)tion (infecte, parfois) des sommes sous la présidence de G. W. Bush.

Ainsi du télé-évangéliste Pat Roberson, ancien candidat républicain à la présidence étasunienne, qui propage l’idée que les Haïtiennes et Haïtiens n’ont que ce qu’ils méritent : « ils ont passé un pacte avec le diable. Ils ont dit “Nous vous servirons si vous nous libérez des Français“ (…) Et le diable à dit : “d’accord, marché conclu.“. »

L’aide (et non l’assistance) à moyen et long terme, suppose de la lucidité.