Le FBI, la police fédérale étasunienne, a mis en garde en lançant un sérieux appel à la vigilance : faites des dons sans intermédiaire aux organisations connues. Il faudrait ajouter « connues de vous-même dans le détail ». L’histoire de l’aide humanitaire à Haïti est longue, très longue. Haïti, dont les gouvernements successifs, ceux de Duvalier, du « père » Aristide, l’actuel, étaient depuis longtemps alertés sur les mesures à prendre pour réduire le bilan d’un séisme ô combien prévisible. Le FMI, de multiples ONG ayant pignon sur rue et une visibilité internationale, n’ont pas remédié aux causes de la misère depuis… des décennies. Haïti, c’est le luxe le plus effréné et la misère la plus atroce…


L’Arche de Zoé n’était certainement pas la plus farfelue des ONG improvisées. On sait ce qu’il en est advenu : condamnations de ses dirigeants, scandale international, médias déconsidérés. Là, avec la catastrophe d’Haïti, c’est déjà pire. Si la police fédérale a mis en garde les donateurs, ce n’est pas forcément uniquement pour éviter que de l’argent qui générera énormément de fonds pour  les organismes alimentant la corruption, le maintien des structures en place, tombe dans de mauvaises mains « non autorisées ». Il s’agit simplement de prendre en compte de multiples arnaques de bas niveau qui sont d’ores et déjà constatées.  Mais il faut aussi, plus largement, bien considérer la donne des dons…

 

Je connais peu Haïti, mais assez bien au moins deux spécialistes ayant séjourné ou résidant sur place. Une anthropologue, la galeriste de Marassa Trois à Paris, une responsable d’une organisation internationale vivant hors de la capitale. Cela ne fait pas de moi une autorité en la matière. Mais vous pouvez vous informer par vous-mêmes.

 

« À Piétonville tout est beau, propre, ordonné…  Sur les grilles de ces résidences de luxe il y a des enseignes, d’une ONG puis d’une autre ONG, puis celle de la Croix Rouge, des diverses agences diplomatiques présentes à Haïti, des hommes d’affaire peu scrupuleux qui ont émergé de la lie de la ville et de la mission de stabilisation Minustah (Mission de stabilisation des Nations Unies à Haïti). » Peu importe la source (parfaitement traçable). L’état de fait m’a été amplement confirmé.

 

Le « père » Aristide, ancien président, qui vivait dans une somptueuse villa sur les hauteurs, est désormais réfugié en Afrique du Sud. Il a transmis ses condoléances et lèvera sans doute des fonds pour profiter de la situation, sinon pour lui-même, du moins pour ses proches. De même que les gros propriétaires et les affairistes, ou les chanteurs « populaires » qui roulent en Bentley, Jean-Bertrand Aristide, à la suite de la famille de Duvalier, est multimillionnaire.

 

À lui seul, mais il n’est parmi quelques milliers, Jean-Bertrand Aristide peut faire davantage que la Communauté européenne par elle-même et ses ressortissants réunis. Mais pourquoi encore croire que la réelle destination des secours et aides sera celles et ceux qui ont le plus besoin d’être secourus ? Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis le départ d’Aristide ? Ni les aides, ni leur emploi n’ont vraiment évolué.

 

Haïti était encore, au soir du séisme, un pays où n’importe qui ne possédant pas d’appui se retrouve en prison, entretenu par des colis d’aide alimentaire et peut-être par des parents, sans qu’il puisse savoir pourquoi, de témoin pris par hasard, il se retrouve, en compagnie d’une cinquantaine d’autres, dans un gourbi depuis années. N’importe qui risque de n’être jamais jugé : la police ne retrouve plus les griefs, s’il en était, la justice attend que la police lui fournisse de quoi statuer, ce qui peut ne jamais arriver. Les ONG sont parfaitement conscientes de cet état de fait.

 

Pourtant, bien sûr, des ONG, souvent les plus modestes, voire systématiquement les plus modestes, réalisent des « avancées » qui prolongent l’état de misère en la rendant, c’est parfaitement réel, pour un temps plus supportable. Et quand l’utile est le strict indispensable, c’est déjà beaucoup, énormément, pour les bénéficiaires.

 

Vers quelle ONG se tourner ? Sur son blogue-notes, Chris Sacca en indique quelques-unes, nord-américaines. Il signale aussi que la Croix-Rouge dispose, aux États-Unis, d’un numéro spécial d’appel permettant de collecter des fonds.  Il résulte toujours quelque chose des dons versés à ces très grandes ONG, même si la répartition entre les pays et les actions n’est pas forcément celle à laquelle les donateurs s’attendaient. Après tout, il y aura d’autres catastrophes, moins médiatisées, et la détresse des uns et des autres n’est pas plus poignante, plus pathétique.

 

L’aide internationale institutionnelle ira tout d’abord à des intermédiaires chargés de remettre en état les mêmes institutions qui ont laissé la population exposée aux risques terrifiants d’un séisme qui n’étonne aucun scientifique, aucun responsable gouvernemental haïtien ou international. Mais même si les gangs qui rançonnent (et en ce moment même, pillent), même si les plus aisés parmi les Haïtiens se tailleront, encore une fois, la part du lion, il vaut mieux un hôpital qui fonctionne qu’un détruit. HaÏti fut la première république de cette partie du monde, la France fut l’une des toute premières républiques d’Europe, on sait ce qu’il est advenu de la France… en dépit de la corruption, des remises en cause incessantes de la réelle solidarité nationale. Que la famille de Jean-Claude Duvalier, « bébé Doc »,  soit à la tête d’une immense fortune et prospère en France, avec l’assentiment des gouvernements successifs, ne doit pas faire oublier la réalité actuelle des orphelins, des blessés (qui vont pour la plupart mourir faute de soins) qui resteront invalides. Notons cependant qu’on ne sait trop à quoi furent affectés les 7,6 millions de francs suisses de Jean-Claude Duvalier restitués à Haïti après sept ans en février 2009.

 

S’informer et trouver les bonnes sources, et par conséquent qui aider, n’est pas si facile. La surabondance des critiques circonstanciées adressées à pratiquement toutes les hiérarchies religieuses d’Haïti ne doit pas faire oublier que de simples religieux – pourvus qu’ils sachent se taire – œuvrent réellement en faveur de leurs communautés. Les organisations religieuses qui luttent effectivement contre l’exclusion sociale en France et en Belgique ont très souvent des correspondants en Haïti. Le Secours populaire français, non confessionnel, qui apporte de réels soutiens aux plus démunis en France, est présent depuis 1980 en Haïti. L’aide d’urgence la plus efficace et immédiate ne sera sans doute pas le fait de ces organisations, mais elle sera réelle. Mieux vaut, sachant que les secours d’urgence seront assurés d’abord par de grandes ONG et des États, savoir prendre un temps – à ne pas prolonger si ce n’est en s’intéressant désormais durablement à ce pays, à ce qui s’y passe vraiment – de réflexion. Qui n’agit pas, en France, Belgique, Suisse, Canada, dans les rues des grandes villes, dans les cités, en milieu rural, au contact des plus précaires, ou qui consacre la majeure partie de ses ressources à ses frais de fonctionnement (les « Pièces jaunes » en ont donné de flagrants exemples), n’apportera rien de plus à Haïti que ce qui a déjà été apporté par ces organismes depuis des décennies parfois. Au contraire, parfois, certains de ces organismes confortent l’emprise des plus puissants et aggravent le sort de l’immense majorité des Haïtiennes et des Haïtiens. L’émotion, dans le cas d’Haïti plus encore qu’en d’autres circonstances, ne doit pas occulter le discernement immédiat ni la vigilance fondée à l’avenir sur de solides informations recoupées.

 

J’irai peut-être à Haïti, non pas dans les jours qui viennent, mais dans les semaines ou mois à venir, si ma présence peut y être utile et non « encombrante ». Je ne veux pas être de nouveau à la charge d’une ONG qui se « paye » un journaliste pour recueillir des fonds et assurer prioritairement le confort de ses dirigeants. Une fois m’a suffi… J’espère vivement qu’aucun journaliste ne prendra la place d’un sauveteur ou de matériels à bord d’un avion de premiers secours, j’espère qu’aucun dirigeant mondial ne viendra encombrer les pistes avec son avion « personnel » et sa suite. J’étais, la nuit dernière comme cette nuit, informé par l’Internet et une correspondance privée, de la situation en Haïti. J’ai pris le temps de la réflexion. Vous pouvez aussi le prendre… Par exemple, le temps de vous informer sur certaines ONG. AgoraVox a publié, le 26 décembre dernier, une tribune à propos de diverses ONG américaines confessionnelles. Ce document, aujourd’hui comme demain, en Haïti ou ailleurs, reste d’actualité. Et largement transposable à des réalités bien françaises…