Le sordide « palmarès » des départements

Ainsi que je le laissais entendre dans un commentaire au premier article, j’ai entrepris d’en savoir un peu plus sur la répartition géographique des camps recensés. On la trouvera ci-après, étant précisé que les départements sont ceux que nous connaissons, dont la délimitation, en région parisienne, ne correspond pas à celle de l’époque (de même que la dénomination de certains, en particulier ceux qui n’ont plus supporté d’être taxés d’« inférieurs » …). Les sites sont ceux listés par Wikipédia (corrigés par élimination de deux doublons), complétés, pour la Haute-Vienne, par deux omissions qui figurent sur la carte publiée sur le site du Mémorial de la Shoah.

Dans ce classement, les Bouches-du-Rhône se détachent avec 10 sites, suivies de près par le Loiret (9), le Loir-et-Cher et les Vosges (8).

Vient ensuite le groupe des « échappés » (un petit cinquième des effectifs) : l’Isère (7) ; l’Orne, le Pas-de-Calais et la Haute-Vienne (6, chacun) ; le Gard, la Haute-Garonne, la Moselle, Paris et la Vendée (5, chacun) ; puis les Alpes-de-Haute-Provence, le Calvados, le Cher, la Gironde, l’Hérault, la Loire-Atlantique, la Mayenne, les Pyrénées-Orientales et le Tarn (4, chacun).

54 départements (plus de la moitié, donc) forment le gros du peloton en hébergeant entre un et trois camps : l’Allier, l’Ardèche, la Charente-Maritime, la Côte-d’Or, l’Ille-et-Vilaine, la Loire, la Meurthe-et-Moselle, l’Oise, la Sarthe, le Var, l’Yonne et la Seine-Saint-Denis (3, chacun) ; l’Ariège, la Charente, le Doubs, l’Eure-et-Loir, le Finistère, l’Indre-et-Loire, le Lot, la Lozère, la Marne, la Haute-Marne, le Morbihan, le Puy-de-Dôme, le Rhône, la Saône-et-Loire, la Seine-Maritime, la Somme, le Tarn-et-Garonne, la Vienne et le Val-d’Oise (2, chacun) ; les Hautes-Alpes, les Alpes-Maritimes, les Ardennes, l’Aube, la Corrèze, la Dordogne, la Drôme, l’Eure, le Gers, l’Indre, la Haute-Loire, le Lot-et-Garonne, le Maine-et-Loire, la Manche, la Meuse, la Nièvre, les Pyrénées-Atlantiques, le Bas-Rhin, la Seine-et-Marne, les Deux-Sèvres, le Vaucluse et l’Essonne (1, chacun).

Enfin, il est quelque peu réconfortant de constater que 19 départements (un dernier petit cinquième) sont vierges de toute pustule d’infamie : l’Ain, l’Aisne, l’Aveyron, le Cantal, la Corse, la Creuse, le Jura, les Landes, le Nord, les Hautes-Pyrénées, le Haut-Rhin, la Haute-Saône, la Savoie, la Haute-Savoie, les Yvelines, le Territoire de Belfort, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne !…

Sur ces 95 départements, 36 se situent en zone dite « libre » et totalisent 82 camps, alors que 45 autres, situés en zone occupée, en accueillent 110. On dénombre 26 camps dans les 14 départements restant, qui sont mixtes (la ligne de démarcation ne suivait pas les limites départementales, mais le plus souvent des routes et/ou des cours d’eau ; ce qui conduisait parfois à des situations ubuesques, telle celle du château de Chenonceau : bâti à cheval sur le cours du Cher, son entrée principale se trouvait de la sorte en zone occupée, tandis que le parc s’ouvrant au sud de la galerie était en zone libre …).

A priori, la proportion la plus importante (un peu plus de la moitié) se trouvait donc en zone occupée. Mais ce critère n’est pas nécessairement représentatif. En effet, il conviendrait de prendre en compte les capacités d’« accueil » des différents camps (statistique qui n’est disponible que de manière très parcellaire) plutôt que de leur simple nombre. Ainsi le département des Pyrénées-Atlantiques, pour ne citer que lui, bien que ne recélant que le seul camp de Gurs remonterait très en amont dans le classement si le critère de la population était retenu.

De plus, il conviendrait également de faire la différence entre les camps qui existaient en tant que tels et dont seule la destination a été amendée (par exemple, les six destinés à l’origine aux réfugiés d’Espagne et dont Gurs, précisément, donne l’illustration), ceux qui ont été aménagés dans des constructions préexistantes (l’exemple le plus caricatural en est le fort d’Antibes) et ceux qui ont été spécifiquement construits pour les besoins de la cause, après la promulgation des lois pétainistes d’octobre 1940 et de juin 1941.

Mais il n’en demeure pas moins vrai que la distinction entre zone dite « libre » et zone occupée ne semble pas a priori suffisante pour expliquer certaines concentrations, telles celle qui vaut aux Bouches-du-Rhône sa place sur le podium.

Alors quelle autre explication envisager ? Peut-être celle liée à un zèle particulier de certaines personnalités locales, au premier rang desquelles seraient donc les préfets. Elle vaut sans doute, mais pour partie seulement, car on imagine mal Jean Moulin ordonnant la création ou même supportant l’existence de deux camps en Eure-et-Loire.

Peut-être Maurice Rajsfus nous donne-t-il une piste : « L’ouverture rapide de nouveaux camps sera créatrice d’emplois … » (in Drancy, un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944. Le Cherche-midi Éditeur, 2005, ISBN 2862744352). Car s’il n’est pas évident que la résorption du chômage constituait une priorité pour les gouvernants d’alors (avec une population masculine amputée des prisonniers de guerre et des réquisitionnés du STO), il n’est pas pour autant inenvisageable que le chiffre d’affaires ait été une réelle préoccupation pour d’aucuns. Alors, la collusion de hauts fonctionnaires zélés et la créativité d’affairistes intemporels ???

Le mystère reste à élucider. Chers confrères et consœurs reporters citoyens, votre contribution reste plus que jamais bienvenue

Classement des départements :

10 camps :

1.       Bouches-du-Rhône (Carpiagne, Lambesc, Marseille-Hôtel Bompard, Marseille-Hôtel Terminus, Marseille-Hôtel du Port, Marseille-Hôtel du Levant, Les Mées, Miramas, Les Milles, Saliers)

9 camps :

1.       Loiret (Beaune-la-Rolande, Cepoy, Fleury-les-Aubrais, Jargeau, Mignères-Gondreville, Montargis, Pithiviers, Saint-Jean-de-la-Ruelle, Véruches)

8 camps :

1.       Loir-et-Cher (Blois, Bourg-Saint-Julien, Grand Champ, Marolles, Lamotte-Beuvron, Villebarou, Villemalard, Villerbon)

2.       Vosges (Bazoilles-sur-Meuse, Harchéchamp, Mattaincourt, Mirecourt, Neufchâteau, Sionne, Villers, Vittel)

7 camps :

1.       Isère (Arandon, Bourgoin, Chambaran, Fort-Barraux, Saint-Savin, Vienne, Vif)

6 camps :

1.       Orne (Argentan, Athis-de-l’Orne, Carrouges, Damigny, Domfront, L’Épinay-le-Comte)

2.       Pas-de-Calais (Ambleteuse, Béthune, Etaples, Hesdin, Lens, Sallaumines)

3.       Haute-Vienne (Limoges, Nexon, Saint-Germain-les-Belles, Saint-Paul-d’Eyjeaux, La Meyze, Séreilhac)

5 camps :

1.       Gard (Cascaret, Remoulins, Saint-Nicolas, Uzès, Le Vigan)

2.       Haute-Garonne (Le Fauga, Noé-Mauzac, Portet-sur-Garonne-Clairfond, Portet-sur-Garonne-Récébédou, Toulouse-Stade du TOEC)

3.       Moselle (Amnéville, Maizières-lès-Metz, Metz, Rombas, Woippy)

4.       Paris (Vélodrome d’Hiver, Les Invalides, Stade Buffalo, Stade Roland-Garros, Les Tourelles)

5.       Vendée (Chantonnay, Martinet, Monsireigne, La Roche-sur-Yon, Les Sables-d’Olonne)

4 camps :

1.       Alpes-de-Haute-Provence (Le Chaffaut, Forcalquier, Manosque, Sisteron)

2.       Calvados (Dampierre, Falaise, Lisieux, Meuvaines)

3.       Cher (Avord, Bengy-sur-Craon, Neuvy-sur-Craon, Vierzon-Les-Forges)

4.       Gironde (Bassens, Libourne, Mérignac, Talence)

5.       Hérault (Agde, Olargues, Saint-Pons, Sériège)

6.       Loire-Atlantique (Châteaubriant, Gétigné, Gorges, Moisdon-la-Rivière)

7.       Mayenne (Grez, Mayenne, Meslay-du-Maine, Montsûrs)

8.       Pyrénées-Orientales (Argelès-sur-Mer, Le Barcarès, Rivesaltes, Saint-Cyprien)

9.       Tarn (Albi, Brens, Plateau Saint-Antoine, Saint-Sulpice-la-Pointe)

3 camps :

1.       Allier (Domérat, Huriel, Vallon-en-Sully)

2.       Ardèche (Chabane, Le Cheylard, Vals-les-Bains)

3.       Charente-Maritime (Montendre, Montguyon, Saint-Martin-de-Ré)

4.       Côte-d’Or (Marmagne, Moloy, Montbard)

5.       Ille-et-Vilaine (La Lande-des-Monts, Rennes, Vitré)

6.       Loire (Chazelles-sur-Lyon, La Fouillouse, Saint-Jodard)

7.       Meurthe-et-Moselle (Briey, Écrouves, Thil)

8.       Oise (Compiègne, Grandville, Saint-Just-en-Chaussée)

9.       Sarthe (Coudrecieux, Fresnay-sur-Sarthe, Mulsanne)

10.    Var (Chibron, Signes, Toulon)

11.    Yonne (Lalande, Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes, Les Vaudeurs)

12.    Seine-Saint-Denis (Drancy, Romainville, Saint-Denis)

2 camps :

1.       Ariège (Mazères, Le Vernet)

2.       Charente (Angoulême-Les Alliers, Angoulême-La Braconne)

3.       Doubs (Arc-et-Senans, Besançon)

4.       Eure-et-Loir (Dreux, Voves)

5.       Finistère (Audierne, Quimper)

6.       Indre-et-Loire (Avrillé-les-Ponceaux, Avon-les-Roches)

7.       Lot (Catus-Cavalier, Catus-Villary)

8.       Lozère (Le Malzieu-Ville, Mende)

9.       Marne (Hauteville, Mourmelon)

10.    Haute-Marne (Peigney, Saints-Geosmes)

11.    Morbihan (Port-Louis, Pontivy)

12.    Puy-de-Dôme (Bourg-Lastic, Le Mont-Dore)

13.    Rhône (Dardilly, Vénissieux)

14.    Saône-et-Loire (La Guiche, Montceau-les-Mines)

15.    Seine-Maritime (Les Essarts-Varimpré, Neufchâtel-en-Bray)

16.    Somme (Doullens, Rosières-en-Santerre)

17.    Tarn-et-Garonne (Montauban, Septfonds)

18.    Vienne (Poitiers, Rouillé)

19.    Val-d’Oise (Aincourt, Argenteuil)

1 camp :

1.       Hautes-Alpes (Aspres-sur-Buëch)

2.       Alpes-Maritimes (Antibes)

3.       Ardennes (Les Mazures)

4.       Aube (Troyes)

5.       Aude (Bram)

6.       Corrèze (Altillac)

7.       Dordogne (Trélissac)

8.       Drôme (Loriol-sur-Drôme)

9.       Eure (Gaillon)

10.    Gers (Masseube)

11.    Indre (Douadic)

12.    Haute-Loire (Tence)

13.    Lot-et-Garonne (Casseneuil)

14.    Maine-et-Loire (Montreuil-Bellay)

15.    Manche (Barenton)

16.    Meuse (Bar-le-Duc)

17.    Nièvre (Nevers)

18.    Pyrénées-Atlantiques (Gurs)

19.    Bas-Rhin (Schirmeck)

20.    Seine-et-Marne (Chelles)

21.    Deux-Sèvres (Prin Deyrançon)

22.    Vaucluse (Vedène)

23.    Essonne (Linas-Montlhéry)

Aucun camp :

1.       Ain

2.       Aisne

3.       Aveyron

4.       Cantal

5.       Corse

6.       Côtes-d’Armor

7.       Creuse

8.       Jura

9.       Landes

10.    Nord

11.    Hautes-Pyrénées

12.    Haut-Rhin

13.    Haute-Saône

14.    Savoie

15.    Haute-Savoie

16.    Yvelines

17.    Territoire-de-Belfort

18.    Hauts-de-Seine

19.    Val-de-Marne

Surlignés en rouge : les départements en zone occupée

Surlignés en vert : les départements en zone dite « libre »

Surlignés en jaune : les départements en zone mixte