Ressortissants des puissances ennemies et nomades ne furent pas les seuls à bénéficier des attentions des gouvernements successifs. La population des internés s’enrichit également des prisonniers politiques, au premier rang desquels se trouvaient les communistes (ou présumés tels), particulièrement suspects depuis la signature du pacte germano-soviétique.

page 368 : « En zone Sud, le principal camp de politiques français se trouvait à Saint-Sulpice-la-Pointe, dans le Tarn. Les autorités avaient depuis longtemps mis la main sur ce vaste espace idéalement placé, à un kilomètre de la gare, carrefour de lignes vers Toulouse, Montauban, Albi et Castres, à 30 km de Toulouse, à 50 de Montauban, Castres et Albi. En outre le camp se trouvait tout proche des premières maisons de Saint-Sulpice, dont il était cependant séparé par un ravin encaissé. Construit en 1939 pour les réfugiés, le camp avait hébergé des Belges, des Sarrois, puis la troupe ».

page 369 : « En zone Nord (commandement militaire de Paris), le premier camp fut la conséquence directe de la rafle du 5 octobre 1940. Le camp d’Aincourt, en Seine-et-Oise, était un ancien sanatorium, dont il utilisait l’un des trois bâtiments ».

page 370 : « le préfet du département où se trouvait le centre montra un zèle particulier, craignant jusqu’à l’obsession « ce rassemblement des éléments les plus agités et les plus déterminés du parti communiste aux portes de Paris » » [à ce sujet, on pourra se souvenir du slogan qui fit florès à l’époque et servit de credo notamment lors de la manifestation du 6 février 1934 : « Plutôt Hitler que le Front Populaire » …].

page 371 : « Les quelque 150 internés qui, le 6 septembre 1941, furent transférés d’Aincourt à Rouillé, dans la Vienne, se plurent également à souligner la différence de traitement, ce qui n’eut pas l’heur de plaire non plus au préfet de Seine-et-Oise ».

Ceci confirme bien, comme on pouvait l’imaginer, le rôle joué par certaines personnalités locales aux sensibilités aussi particulières que tranchées, une explication que rien n’autorise cependant à généraliser.

page 374 : « L’internement des personnalités politiques posait, on le voit, des problèmes politiques. Pour les étrangers en général, et les étrangers juifs en particulier, les questions étaient d’un autre ordre et d’une autre dimension. La neutralisation de ces étrangers constitua l’un des défis majeurs du nouveau régime et l’objectif poursuivi participa au premier chef de la crise du modèle vichyste de l’internement dès la fin de l’automne 1940 ».

On imagina un temps trouver une solution « élégante » en leur émigration et c’est à ce titre que le camp des Milles hérita du statut de camp de « transit » par décision signifiée le 27 septembre 1940 au préfet des Bouches-du-Rhône par son ministre de tutelle :

page 376 : « Vous informe qu’en accord EMA 2e Bureau ai décidé grouper camp des Milles réfugiés étrangers en instance émigration. Vous prie après entente M. le général commandant région 1° transférer sur Gurs en informant votre collègue Basses-Pyrénées étrangers actuellement camp des milles ; 2° faire procéder toute urgence aménagements indispensables. Dispositions complémentaires vous seront données prochain courrier. Me faire savoir télégraphiquement date réalisation ces opérations ».

Mais le pétard fit long feu en raison du peu d’empressement des pays d’accueil pressentis et aussi des réticences de l’occupant :

page 379 : « Dans le même temps, dans une logique militaire qui explique nombre de leurs décisions, les Allemands s’inquiétèrent rapidement du risque de fournir, par l’émigration, des hommes, souvent expérimentés qui plus est, à des puissances qui pourraient se retourner contre le Reich ».

Il semblerait que les premiers contingents de Juifs internés proviennent des rangs des « indésirables » expulsés des territoires allemands ou annexés (Alsace) ou occupés par le Reich (Belgique, Luxembourg).

page 390 : « Lettre de Eichmann à Ribbentrop, 16 janvier 1941 [par laquelle il donnait son accord à l’émigration de sept Juifs internés à Saint-Cyprien, "à condition qu’en aucune manière ils puissent revenir sur le territoire du Reich"] … : "Ensuite il fut parlé des possibilités d’hébergement pour le cas d’un internement éventuel des Juifs et le directeur ministériel Best me déclara que l’autorité militaire avait elle-même le plus grand intérêt à ce que les Juifs disparaissent le plus vite possible, mais que l’on ne pouvait libérer, au maximum, qu’un camp pour 5 000 personnes, qu’il ne fallait pas songer à agrandir ce camp ou à rendre d’autres camps disponibles, parce que pour le moment il n’était même pas possible de procurer les cantonnements nécessaires à l’organisation Todt. Je proposai donc de faire occuper ce camp ou bien par les éléments juifs les plus insupportables du point de vue politique, économique et social, ou bien de le considérer éventuellement comme camp de transit et d’essayer de se débarrasser des Juifs par fournées expédiées dans les camps de la zone non occupée." ».

page 406 : « Le 6 février 1941, la presse annonçait : « À la suite d’une minutieuse enquête, [le ministère de l’Intérieur] vient de décider la réorganisation complète de ce service ; il en a chargé le Dr Limousin, chargé de mission à son cabinet ».
Dans la foulée, Limousin proposait effectivement une nouvelle spécialisation des camps : les vieillards, tuberculeux et mutilés devaient être orientés vers Noé (Haute-Garonne), les « étrangers adultes de bonne conduite et particulièrement susceptibles d’être employés à la mise en culture des terrains actuellement inexploités qui dépendent de ce domaine » à Récébédou (Haute-Garonne ; camp « modèle » nouvellement mis en place au même titre que Noé ); Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) recueillant les familles avec les enfants de moins de 14 ans et les adolescents, les autres étrangers non dangereux étant concentrés au Barcarès et à Septfonds, Le Vernet restant consacré aux étrangers dangereux et le camp des Milles à tous ceux qui étaient en instance d’émigration.
 Ainsi pour Limousin, Saint-Cyprien et Argelès devaient être démantelés, Gurs devait être vidé et mis en réserve, l’ouverture de Rivesaltes, de Noé et de Récébédou et les libérations massives permettant de régler la plupart des problèmes ; or Gurs resta un des camps les plus importants de zone Sud jusqu’en 1943 et survécut à la Libération, tandis que le site et la situation de Rivesaltes démentirent rapidement les espoirs de Limousin
 ».

page 410 : « Sorti de l’enfer de Gurs, l’autrichien Wilhelm Ganz fit tout de suite la différence : « Sous le sourire d’un pâle soleil de mars, les internés furent introduits dans un ensemble de baraques propres et pimpantes, construites pour la grande partie en dur, avec des toits en ciment ondulés et des murs blanchis à la chaux. Entre leurs rangées, on avait même aménagé des parterres de fleurs, encore nus à cette époque de l’année. Les allées qui séparaient les bâtiments étaient asséchées par du gravier. Le camp ne portait pas, ici, le sceau du provisoire qui avait caractérisé les centres d’hébergement qui nous avaient accueillis jusqu’ici.
[…] En prenant possession de nos logis, chacun constatait qu’un véritable lit l’attendait, avec paillasse et sac de couchage en toile écrue. Chacun avait deux ou trois couvertures, plus les siennes. Le dortoir ou salle commune remplissait tout le bâtiment, à l’exception d’une petite entrée où des bacs de béton recevaient l’eau d’une rangée de robinets. Plus de toilette en plein air en perspective… L’intérieur des baraques était spacieux, quoique frais. Aussi spartiate qu’était l’installation, c’était le grand luxe comparé à Gurs
 ».

C’est en 1937 que le ministère de la Guerre avait décidé de prendre le contrôle d’un vaste terrain d’une quinzaine d’hectares à proximité du village de Noé, non loin de Toulouse »

Le camp de Noé fut donc construit en 1941 [page 412 : « … c’est le 12 février suivant que les travailleurs espagnols d’un GTE [NdR : Groupements de Travailleurs Étrangers, structures créées par la loi vichyste du 17 septembre 1940, placées sous l’autorité du ministère de la Production industrielle et du travail (art. 2) … il revenait au ministère de l’Intérieur (les préfets) de désigner les étrangers auxquels la loi devait être appliquée (art. 2)] engagèrent les travaux d’aménagements … »], sur un terrain militaire acquis à des fins bien différentes longtemps avant les hostilités.

Voici au moins un cas où la question de la localisation semble exempte de toute arrière-pensée, l’opportunité, dans l’urgence, suffisant amplement à la « justifier ». C’est également ce qui vaut pour un autre site :

page 663 : « Le camp de Voves (Eure-et-Loir) était, pour une part, le répondant en zone Nord de celui de Saint-Sulpice-la-Pointe. L’Armée avait depuis longtemps jeté son dévolu sur le lieu puisque, pendant la Première Guerre mondiale, Guynemer y avait fait aménager des hangars spéciaux et des baraquements pour son escadrille. Il avait servi bientôt de camp de prisonniers de guerre allemands, fonction qu’il devait assumer encore la guerre suivante si ce n’est que, dans la débâcle, ce furent des prisonniers de guerre français qui s’y retrouvèrent. À la fin de 1941, le MBH [NdR : sigle non défini ; ne conviendrait-il pas plutôt de lire MBF Militärbefehlshaber in Frankreich (Chef de l’administration militaire allemande en France), à savoir  Otto von Stülpnagel à cette date] accepta de mettre ces installations à la disposition des autorités françaises pour l’internement des communistes ou présumés tels ».

Mais deux cas élucidés sur 240 : le compte n’y est pas !

Une piste s’entrouvre pourtant, ou plutôt se confirme :

page 472 : « Seul représentant dans le département du chef de l’État, président du Conseil des ministres, devant qui il est responsable, [le préfet] surveille l’exécution des lois et est chargé de l’application des décisions du gouvernement. Il est le représentant de toutes les administrations publiques civiles de l’État. Tous les fonctionnaires qui sont placés à la tête d’un service technique de l’État organisé dans le département ou la région, à l’exception des magistrats de l’ordre judiciaire, sont placés sous son autorité personnelle. Les chefs de service sont tenus de lui fournir tous renseignements utiles à l’accomplissement de sa mission »

puis se précise :

page 473 : « Dans la pratique le préfet déléguait le suivi des camps à tel ou tel de ses collaborateurs, soit un membre de son cabinet, soit, plus rarement, le sous-préfet concerné par le site. Ainsi, dans le Loiret, les trois camps relevèrent du chef de la 1ère division de la préfecture, [P…] ; celui-ci eut même, dans l’urgence, à diriger en sus le camp de Jargeau pendant plusieurs mois après le départ du directeur en titre, en septembre 1942. En Loire-Inférieure, ce fut le sous-préfet de Châteaubriant, |L], qui suivit pour le préfet le camp de Choisel au moment des exécutions d’otages. Mais il n’y avait pas que le suivi des camps. Les services de police intervenaient en amont, avec l’arrestation, et en aval, avec la déportation ou la libération. Dès lors, l’Intendant de police pouvait devenir une pièce majeure dans le dispositif, comme ce fut le cas de |R}. Directeur des services de police des Bouches-du-Rhône et de Marseille en octobre 1940, il était devenu intendant de police à la préfecture régionale dès sa création jusqu’au 18 février 1943. Il intervint même dans l’organisation du camp des Milles, à côté du service des camps de la préfecture, dans la mesure où il avait à gérer la question des réfugiés juifs et l’organisation de leur émigration. Il confia cette tâche à son chef de cabinet, [A]. Dans chaque préfecture, d’autres services intervenaient également plus ou moins directement dans la procédure, ainsi de ceux qui suivaient les affaires juives. Ce fut le cas de Maurice Papon à Bordeaux. Après le retour de Laval au pouvoir en avril 1942, il avait suivi [S], le nouveau préfet régional. Bien que le principal collaborateur de ce dernier, il eut le titre de secrétaire général de la préfecture de la Gironde et il eut dans ses attributions le suivi des affaires juives. Ainsi, suivant des modalités et des partages de responsabilités divers, l’administration préfectorale joua un rôle majeur dans l’organisation de l’internement en France entre 1940 et 1944 ».

page 474 : « On imagine sans peine que la situation variait en outre en fonction des zones. Ce que le préfet gagnait en latitude en zone occupée vis-à-vis des autorités françaises de la police (DGSN puis DGPN), il le perdait et au-delà au profit de l’occupant ».

« … dans une note du 22 juin 1941 … [on] … apprend que le 2e Bureau ne fut avisé officiellement de camps en zone occupée qu’en décembre 1940 ».

En lisant en creux, on peut en déduire qu’en revanche, il n’ignorait rien de ceux situés en zone dite « libre » !

page 475 : « Les camps de zone occupée étaient classés en trois catégories : dans la 1ère ne se trouvaient que des personnes internées à la demande des Allemands, dans la 2e à la seule initiative des Français et la 3e catégorie était mixte. Le camp de Beaune-la-Rolande était classé dans la 1e catégorie et Pithiviers, à cette date, dans la 3e. Or seuls les camps de 2e et de 3e catégorie étaient entretenus sur les crédits du ministère de l’Intérieur si bien que, jusque-là, certains organes de l’Administration centrale étaient absents des camps de 1e catégorie ».

L’exploration de cette thèse magistrale se solde donc par une déception eu égard à notre interrogation. Il est vrai que son auteur précise qu’il ne le partageait pas, les siennes étant :

page 811 : « quelle est la part de la continuité des politiques publiques et l’importance des ruptures ? Quelles règles régissent le fonctionnement du système internemental ? ».

D’autres sources seront donc nécessaires. Je compte bien sur la communauté des rédacteurs de Come4News pour en mettre au jour ; encore que la tâche s’avère des plus ardues et des plus complexes, car il importe de garder à l’esprit cette mise en garde de Denis Peschanski :

page 382 : « Encore une fois, on évitera d’appréhender Vichy comme un monolithe ; les contradictions qui s’y firent jour tenaient, pour partie, à la diversité de ses composantes, pour partie, au poids des logiques structurelles héritées ».

Reste la question économique et ses multiples facettes sur laquelle la thèse apporte de précieux éclairages. Tant d’infâmes vérités, des plus « doctrinales » aux plus sordides, sont encore à dire que ce sera à l’occasion d’un article à venir.

 

PS : hier, ont été diffusés sur France 2 les deux premiers épisodes d’« Apocalypse – La 2ème guerre mondiale » ; à en juger par la qualité documentaire de cette production, ses prochains épisodes pourraient bien contribuer utilement à l’alimentation de cette chronique (épisodes 3 et 4 programmés le 15 septembre ; épisodes 5 et 6 : le 22 septembre).